“Le conflit entre la direction artistique et l’administration de [la Fondation] Serralves a une conséquence objective, qui est aujourd’hui de plus en plus entendue : le préjudice de réputation dont souffre l’institution n’échappe plus à personne.” Ainsi s’ouvre l’éditorial du dernier numéro en date du magazine portugais Expresso. Selon l’hebdomadaire, la Fondation Serralves, qui abrite à Porto le plus grand musée d’art contemporain du pays, se trouve désormais “dans une situation de fragilité et de vulnérabilité”.

En cause : la polémique qui a accompagné le lancement, le 20 septembre, de l’exposition Pictures consacrée à Robert Mapplethorpe, un photographe américain célèbre notamment pour ses nus masculins et ses images sadomasochistes. Quelques jours après le vernissage, le conseil d’administration de la fondation a décidé d’interdire aux moins de 18 ans l’accès à cette exposition (qui doit durer jusqu’au 6 janvier) et d’en retirer certains clichés en raison de leur caractère explicitement sexuel.

Une œuvre souvent décriée

Ce n’est certes pas la première fois que l’œuvre de Mapplethorpe se trouve au cœur d’un scandale. On ne compte plus les débats, protestations et retraits de photos qui ont accompagné les expositions consacrées au photographe depuis sa mort en 1989, à l’âge de 42 ans. Lors d’une rétrospective à Paris, au Grand Palais, en 2014, les organisateurs avaient ainsi choisi d’interdire aux mineurs une salle où étaient regroupées certaines images classées X. Une décision que beaucoup avaient qualifiée à l’époque d’acte d’autocensure.

Au Portugal, l’attitude des dirigeants de la Fondation Serralves a d’emblée eu des conséquences retentissantes. Dans la foulée des retraits et de l’interdiction aux moins de 18 ans, le directeur artistique du musée et commissaire de l’exposition, João Ribas, nommé en janvier dernier, a présenté sa démission. Pour marquer sa solidarité avec ce dernier, le collectionneur Luiz Teixeira de Freitas a fait savoir au musée son intention de retirer les quelque 700 œuvres qu’il avait mises à disposition de l’institution. Dans une lettre ouverte, 400 personnalités du monde de la culture ont accusé l’administration de Serralves de “céder au puritanisme”.

Une “régression de la civilisation”

Dans la presse, la plupart des commentateurs sont vent debout contre ce qu’ils considèrent comme une décision liberticide. Le critique Pedro Lapa en arrive ainsi à cette conclusion dans Público :

“Si tout n’est pas encore clarifié dans cette affaire, il ne fait aucun doute qu’il y a eu un acte de censure.”

“C’est de l’art, enfin ! La pornographie, c’est autre chose”, s’exclame quant à elle la journaliste Patrícia Reis dans une chronique publiée sur le portail d’information Sapo. Pour elle, les événements qui se sont récemment produits à la Fondation Serralves achèvent d’asseoir “l’empire du politiquement correct”, qu’elle définit comme “une hygiène morale imposée par celui aux yeux duquel le public en général n’est qu’un enfant en quête d’orientation”. Et d’asséner :

“La régression de la civilisation à laquelle nous assistons est terrifiante.”

Le chroniqueur Miguel Conde Coutinho conclut dans le Jornal de Notícias :

Quelle qu’en soit la raison, qui que soit le responsable, [le musée] Serralves [qui a été inauguré en 1999] a raté son test Mapplethorpe. Et cela, pour un musée d’art contemporain du XXIe siècle, c’est triste.”