Antiterrorisme

Grande-Synthe : une nébuleuse chiite dans le viseur de la police

Après un coup de filet dans un centre religieux du Nord, mardi, les autorités ont annoncé avoir gelé des avoirs français des renseignements iraniens, suspectés d’être impliqués dans l’attentat déjoué de Villepinte en juin.
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 2 octobre 2018 à 20h36

Trois personnes ont été placées en garde à vue pour détention illégale de cinq armes à feu, après l'opération antiterroriste de grande ampleur menée mardi matin à Grande-Synthe, près de Dunkerque (Nord). L'un d'entre eux a été déféré, les deux autres remis en liberté en fin de journée. Etait visé le centre religieux Zahra, d'obédience chiite, qui se présente sur sa page Facebook comme un «centre de conciliation pour la mémoire de l'homme». Les autorités le soupçonnent d'apologie de mouvements considérés comme terroristes, à l'instar du Hamas à Gaza ou du Hezbollah au Liban. Ces deux organisations islamistes sont soutenues par l'Iran, pays qui rassemble par ailleurs la plus forte communauté chiite au monde.

Coïncidence

Officiellement, l’opération policière de Grande-Synthe n’est pas liée à l’enquête sur l’attentat déjoué de Villepinte, le 30 juin, qui visait un rassemblement des Moudjahidin du peuple - organisation opposée à la République islamique - où 25 000 personnes étaient attendues. Mais dans la foulée du coup de filet, les ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères et des Finances ont publié un communiqué commun annonçant le gel des avoirs français de deux ressortissants iraniens, ainsi que ceux de la Direction de la sécurité intérieure du ministère iranien du Renseignement. Cette double offensive n’est pas une coïncidence, glisse une source gouvernementale. La France a voulu envoyer un avertissement à l’Iran : elle n’acceptera pas d’ingérence sur son sol.

«Une enquête longue, précise, détaillée de nos services […] permet d'arriver à la conclusion sans aucune ambiguïté de la responsabilité du ministère [iranien] du Renseignement dans ce projet d'attentat», a déclaré sous couvert d'anonymat une source diplomatique française à l'Agence France Presse. Trois personnes, dont un diplomate iranien, avaient été arrêtées cet été dans le cadre de cette enquête. «Une fois encore, nous démentons avec véhémence ces accusations», a réagi un porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères.

Sulfureuses

A Grande-Synthe, «une procédure de fermeture de la salle de prières» a été engagée, précise le ministère de l'Intérieur. Salle de prières dont n'avait pas connaissance la mairie. Le centre Zahra - dont les avoirs et ceux de trois autres associations liées ont aussi été gelés - est surtout connu dans la ville pour les conférences qu'il organise, souvent sulfureuses. Comme par exemple l'invitation de Kémi Seba, président du Mouvement des damnés de l'impérialisme, condamné plusieurs fois pour incitation à la haine raciale, ou de son ami Dieudonné, condamné, lui, pour propos antisémites. A l'adresse du centre est aussi logé le Parti antisioniste, dont Dieudonné a été le candidat pour les européennes de 2009 et les législatives de 2012. Ce parti n'a qu'un seul but, comme il l'explique sur son site web : «Témoigner, informer et combattre ce mal qu'est le sionisme.»

Le point commun entre ces deux entités ? Leur fondateur, Yahia Gouasmi. Sur les nombreuses photos du site internet et de la page Facebook du centre Zahra, il arbore une allure de prophète, barbe blanche et regard doux sur fond de soleil couchant pour ses vœux pour l'Aïd el-Fitr. Les propos qu'il tient sont beaucoup plus inquiétants. Israël est la principale cible de Yahia Gouasmi qui reprend et alimente le vieux mythe de la mainmise des sionistes sur le monde. Pour promouvoir ses causes, il  diffuse de nombreuses vidéos d'auto-interviews à l'intention de la «population désinformée».

Surveillée

Yahia Gouasmi dirige également la Fédération chiite de France et est décrit comme proche de l'Iran. C'est ainsi qu'en 2009, il accompagne Dieudonné à Téhéran, et rencontre avec lui Mahmoud Ahmadinejad, alors président conservateur du pays. Alain Soral, essayiste de l'extrême droite, qui fut également candidat du Parti antisioniste, avait d'ailleurs affirmé lors d'un dîner à Nice en mars 2013 que l'argent de la campagne des européennes de ce mouvement venait d'Iran, avant de se rétracter et d'affirmer à des journalistes de Rue 89 qu'il provenait en fait de la communauté chiite française, via celui «qui l'incarne», Yahia Gouasmi.

C’est dans cette étrange nébuleuse, surveillée de près depuis des années par les services de renseignement intérieur, qu’est intervenue l’opération qui a demandé le déploiement de 200 policiers, mardi matin. Le siège du centre Zahra, les domiciles de ses principaux dirigeants, mais aussi le snack appartenant à la famille Gouasmi ont été perquisitionnés. De nombreux clients se rendaient dans cet établissement sans vraiment savoir qui était derrière. Les Gouasmi, commerçants prospères, possèdent aussi une boucherie halal et une boulangerie.

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