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Le pari fou de Stockton, première ville américaine qui testera le revenu universel de base

En 2012, la petite ville californienne située à l’est de San Francisco faisait faillite. Aujourd’hui, avec l’aide de patrons de la Silicon Valley, elle s’apprête à devenir la première ville américaine à lancer un projet pilote de revenu universel de base

Michael Tubbs est l’un des plus jeunes édiles des Etats-Unis et le premier Noir à accéder à la mairie de Stockton. Il a créé la Stockton Economic Empowerment Demonstration pour mettre en place un projet pilote de revenu universel de base. — © REUTERS / JANE ROSS
Michael Tubbs est l’un des plus jeunes édiles des Etats-Unis et le premier Noir à accéder à la mairie de Stockton. Il a créé la Stockton Economic Empowerment Demonstration pour mettre en place un projet pilote de revenu universel de base. — © REUTERS / JANE ROSS

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Du haut de ses 28 ans, le maire démocrate Michael Tubbs est bien décidé à faire parler de sa ville autrement que comme celle qui s’est déclarée en faillite en 2012. Située à une centaine de kilomètres de la Silicon Valley, Stockton sera la toute première ville des Etats-Unis à tester un revenu universel de base. Dès février 2019, 100 habitants recevront 500 dollars par mois pendant un an et demi. Michael Tubbs compte bien faire de cette expérience unique une réussite totale.

Fondée pendant la ruée vers l’or, Stockton est une petite ville rurale de près de 310 000 habitants, encore très marquée par la crise des subprimes de 2008. La ville s’était notamment endettée en raison de projets immobiliers pharaoniques. Près d’un quart des habitants vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Selon les derniers chiffres du Bureau du recensement des Etats-Unis, le revenu médian par foyer y est de 46 033 dollars, alors qu’il tourne autour des 55 000 dollars sur le plan national. La ville s’est aussi caractérisée ces dernières années par un boom de la population: des milliers de personnes ont décidé de s’y installer pour fuir la cherté de San Francisco.

Michael Tubbs a braqué les projecteurs sur lui en octobre 2017, quand il a pour la première fois publiquement fait part de son projet de revenu universel de base. Maire de Stockton depuis novembre 2016, il a succédé au républicain Anthony Silva, arrêté trois mois plus tôt pour avoir joué au strip poker avec des adolescents qu’il aurait encouragés à boire de l’alcool. Michael Tubbs est l’un des plus jeunes maires des Etats-Unis. Il est aussi le premier Noir à accéder à la mairie de Stockton.

L’aide du fondateur de Facebook

Dans son combat, il a un allié de poids: l'Economic Security Project (ESP), une fondation philanthropique de promotion du revenu universel de base dirigée par Chris Hughes, l’un des fondateurs de Facebook. Auteur du livre Fair Shot: Rethinking Inequality and How We Earn, ce dernier fait parti des patrons de la Silicon Valley qui, comme Mark Zuckerberg, Elon Musk ou encore Richard Branson, donnent régulièrement de la voix pour dénoncer le fossé des inégalités sociales qui se creuse aux Etats-Unis.

Près d’un quart des habitants de Stockton vivent sous le seuil de pauvreté

Chris Hughes a décidé d’offrir 1 million de dollars à Michael Tubbs. Ou plus exactement à la structure que le maire a créée pour promouvoir son projet, la Stockton Economic Empowerment Demonstration (SEED). Dans un post de blog, Natalie Foster, la coresponsable d’ESP, expliquait en octobre comment elle a été convaincue d’aider le «charismatique et visionnaire maire de Stockton»: «Je l’ai appelé il y a quelques mois pour entendre son avis sur le revenu universel de base, une idée que mes collègues et moi-même explorions. Et il se trouvait qu’il était déjà en avance sur nous. Il m’a dit qu’il s’y intéressait depuis qu’il avait lu le dernier livre de Martin Luther King Where Do We Go from Here: Chaos or Community? raconte-t-elle. Comme nous, il pense que cela peut être une bonne stratégie immédiate pour lutter contre la pauvreté et l’insécurité salariale.»

Impact sur le stress et le bien-être?

Qui exactement sera sélectionné pour bénéficier de cette aide régulière de 500 dollars par mois? Le projet a déjà pris du retard, ses contours restent encore à affiner, mais, théoriquement, ce seront des individus dont le revenu familial n’excède pas 46 000 dollars par an. Mille foyers correspondant à ces critères seront sélectionnés, puis invités à participer au projet. Parmi ceux qui répondront, 100 d'entre eux seront ensuite choisis.

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Michael Tubbs vient lui-même d’un milieu modeste. Son projet de revenu universel de base n’est d’ailleurs qu’un volet d’un plan plus large qu’il met en place pour réduire la pauvreté dans sa ville. Il a notamment créé un fond doté de plus de 20 millions de dollars pour permettre aux écoliers de milieux défavorisés de poursuivre leurs études.

© Hector Amezcua/Sacramento Bee/MCT via Getty Images
© Hector Amezcua/Sacramento Bee/MCT via Getty Images

Cette expérience de Stockton, qui vise surtout à récolter des données sociodémographiques et à mesurer les effets d’un coussinet de sécurité financière sur de possibles prises de décision, n’est pas anodine. Si elle réussit, d’autres villes américaines pourraient se lancer sans son sillage. «Nous sommes impatients de voir ce qui se passe quand nous décidons de soutenir financièrement des individus. Nous espérons pouvoir répondre à certaines questions que nous nous posons comme, par exemple, voir si cela peut avoir un impact positif sur le stress et le bien-être», souligne Lori Ospina, la directrice du SEED. Ou sur l’émancipation des femmes.

Pour Lori Ospina, le montant de 500 dollars n’est pas trop bas. Il permet de payer des factures, de réduire des dettes ou de couvrir certaines dépenses basiques. «Nous pensons que 500 dollars peuvent déjà faire une grande différence dans la vie des Stocktoniens. Beaucoup nous le disent. Ces 500 dollars mensuels n’ont pas pour but de remplacer une source de revenu, mais bien de la compléter et de permettre une certaine sécurité économique», précise-t-elle. Chris Hughes n’est pas le seul à avoir mis la main au porte-monnaie. D’autres fondations et donateurs ont été séduits par le projet de Michael Tubbs.

L’exemple de l’Alaska

Souvent qualifiée d’utopique, l’idée d’un revenu universel de base a déjà été testée dans plusieurs pays, sans vraiment rencontrer le succès escompté. Depuis janvier 2017, 2000 Finlandais âgés de 25 à 58 ans reçoivent par exemple environ 550 dollars par mois, mais le projet, jugé peu concluant, est en passe de se terminer. Dans la province de l’Ontario au Canada, 4000 résidents reçoivent jusqu’à 2500 dollars canadiens – environ 1800 francs suisses – par mois depuis le début de l’année, mais là aussi le projet pilote, qui devait initialement durer trois ans, a fait un flop.

En Suisse, l’idée d’un revenu de base inconditionnel a été rejetée en votation en juin 2016, par 76,9% des votants et l’ensemble des cantons. Si le montant du revenu n’était pas précisé dans le texte de l’initiative, ses auteurs proposaient 2500 francs par mois pour les adultes et 625 francs pour les moins de 18 ans. Une somme qui n’a rien à voir avec celle, presque symbolique, de Stockton.

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L’exemple de l’Alaska revient souvent sur la table. Depuis 1982, tous les habitants de l’Etat, enfants y compris, reçoivent chaque année un montant fixe issu des revenus de l’exploitation pétrolière et gazière. Cet argent – 1600 dollars pour 2018 – est distribué grâce à l’Alaska Permanent Fund. Dans les faits, il s’apparente à une sorte de revenu universel de base, au montant fluctuant.

Aux Etats-Unis, Stockton sera bien la première et seule municipalité à tester le revenu universel de base. Mais une pépinière de start-up, Y Combinator, réfléchit aussi au meilleur moyen d’assurer une sorte de minimum vital pour compenser les pertes de millions d’emplois menacés par les robots et les logiciels. En automne 2017, à peu près au même moment où Michael Tubbs rendait son projet public, l’entreprise a précisé le sien sur son site internet: 1000 personnes résidant dans deux Etats américains recevront 1000 dollars par mois pendant cinq ans et 2000 recevront uniquement 50 dollars. Pendant un an, Y Combinator avait déjà mené une expérience similaire à Oakland en Californie, sur un petit échantillon de personnes qui recevaient entre 1500 et 2000 dollars par mois. Le nouveau projet peine apparemment à décoller. Il prend lui aussi du retard.

Mais Michael Tubbs préfère oublier les exemples négatifs. Motivé, le cofondateur de Facebook est sûr d’une chose: il ne fera pas faillite.