Des victimes de la tuerie du Bar du Telephone dans L'Express n°1422 du 14 octobre 1978

Des victimes de la tuerie du Bar du Téléphone dans L'Express n°1422 du 14 octobre 1978

L'Express

Dans L'Express du 14 octobre 1978

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Neuf morts à Marseille dans un règlement de comptes. Comment ne pas les ajouter aux 33 qu'a faits en deux ans la guerre des gangs du Midi ?

Le 14 février 1929, au numéro 2122 de la North Clark Street, sept gangsters, amis du bootlegger George Morao, sont abattus dans le garage qui leur tient lieu de salle de conseil. Les tueurs sont des employés d'Al Capone. Histoire du crime : le "massacre de la Saint-Valentin" vient d'avoir lieu.

Mardi 3 octobre 1978, à 20 h 15, au Bar du Téléphone, à Marseille, un bistrot caché dans les platanes du boulevard Final-Duclos, des tireurs masqués ont, dans la tuerie, dépassé l'exploit de Capone. "Massacre de la Saint-Gérard" : trois gangsters équipés d'automatiques 11,43 et 9 mm, d'un calibre 12, ont exécuté neuf clients - pas tous vertueux - de ce bar du quartier du Canet. Laissé pour mort dans le couloir : Francis Fernandez, 51 ans.

En ratissant le macadam aux abords du Bar du Téléphone, les policiers ont retrouvé la "main" d'un jeu de cartes et une Renault 12 volée. Ces modestes trouvailles et l'identification des "calibres" des tueurs ont une signification. Les assassins étaient trois, attendus dans la rue par un chauffeur. En cas d'incident, une voiture relais, la R 12, avait été postée. Les cartes envolées ? Le geste d'un client du bar qui, lui, a eu le temps de s'échapper.

Le Bar du Téléphone, menu à 16 francs, n'était pas ce que la police appelle un repaire de voyous. Cela n'empêchait pas les truands de venir y boire, d'y jouer à la coinchée. Parmi les neuf victimes de cette boucherie, cinq étaient "connues des services de police". Attaque à main armée, tentative d'homicide, cambriolage : l'occupation de ces cinq-là. L'un d'eux, Noël Kokos, 28 ans, avait même une certaine réputation de "porte-flingue". On a retrouvé dans ses poches quatre balles de calibre 9 mm. En toute logique, si ce n'est l'homme qui a fui belote à la main, ce sont ces voyous que les tueurs avaient "au contrat".

La besogne a été bien faite. A l'intérieur du bar, si l'on excepte le sang et l'incroyable monceau de cadavres, tout était en ordre. Aucune vitre n'a été brisée. Froids, comme il convient aux tueurs, les assassins ont tiré au ventre ou aux jambes. Ensuite, ils ont donné le coup de grâce. L'identité judiciaire n'a décompté que deux balles "perdues".

Il fallait que meurent tous les témoins

Contrairement aux justiciers qui, le 31 mars 1973, au Tanagra - toujours à Marseille - avaient abattu la tenancière, les gangsters du Bar du Téléphone ont épargné la patronne. "En descendant de l'appartement, je me suis trouvée face à eux. L'un m'a regardée fixement. Je suis remontée me cacher. A la fin de la fusillade, mon mari et son beau-frère étaient morts".

A Marseille, l'étonnement est né de la démesure. Que les truands meurent, c'est une coutume. Mais l'épicier, les autres joueurs de cartes ? Selon un policier, il semble que les assassins aient été identifiés par un ou plusieurs consommateurs, qu'il y ait eu un incident. Il fallait donc que meurent tous les témoins. Vingt-quatre heures après l'attaque, des oracles du quartier de l'Opéra accréditaient l'expédition punitive : "Ce bar était un repaire d'indics, il fallait nettoyer tout ça".

Responsable de la sécurité urbaine de Marseille, le commissaire Pierre Châtelain aime le paradoxe et déteste les hypothèses aventureuses. Selon cet expert, les tueurs sont à la fois des "petits fous de quartier" et des "professionnels du crime". A quel stade devient-on un "grand" tueur ?

D'autre part, le policier, qui a admiré la "propreté du travail" des exécutants, se refuse à penser quoi que ce soit de ce fait divers pourtant bien gros : "Il ne faut pas rationaliser l'irrationnel".

Le directeur des Affaires criminelles au ministère de l'Intérieur, Honoré Gévaudan, a pourtant fait le voyage de Marseille, comme toujours dans les grandes circonstances, pour estimer que les auteurs de ce règlement de comptes étaient au moins des "amateurs très doués".

Un univers de "balançoires"

Le massacre de la Saint-Valentin avait bouleversé l'Amérique, celui du Bar du Téléphone ne choque déjà plus personne. Dans une déclaration officielle, M. Gaston Defferre, le maire de Marseille, a fait savoir que, "depuis longtemps, sa ville avait cessé d'être la capitale du crime". Au passage, il a ajouté une amabilité à l'adresse du maire de Lyon : "Ici, on ne tue pas de magistrat". Et M. Defferre de déplorer "les trop faibles moyens de la police". En fait, le maire de Marseille sous-estime les policiers. Faute d'être en mesure d'agir, ils sont mieux informés qu'il ne le pense.

Depuis qu'à l'été 1972 le commissaire Charles Javilliey, chef de la police judiciaire de Lyon, a été blâmé pour avoir pénétré le milieu de trop près, certains policiers affectent de ne plus rien connaître du monde des truands. Ce n'est qu'une façade. Partout en France, des inspecteurs ou des commissaires savent très exactement ce qui se trame dans le monde des voyous, un univers bourré d'indicateurs, de "balançoires".

Dans le Midi, depuis deux ans, la "guerre des gangs" a provoqué la mort de trente-trois personnes, parmi lesquelles de paisibles promeneurs et quelques touristes. Si, comme cela est vraisemblable, le "massacre de la Saint-Gérard" est à mettre au compte des gangs en bataille, le nouveau et affligeant score de quarante-deux morts devrait inciter les enquêteurs à utiliser plus efficacement les utiles révélations de leurs informateurs privilégiés.

Couverture de l'Express n°1422 du 14 octobre 1978

Couverture de l'Express n°1422 du 14 octobre 1978.

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