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Owen Gent /Colagène

Souvenez-vous, il y a tout juste un an. Des dizaines d'actrices accusent Harvey Weinstein de viols, d'agressions sexuelles ou de harcèlement. La planète se passionne pour la chute du nabab d'Hollywood. L'intéressé, lui, se terre. A peine l'article publié dans le New York Times, il a discrètement quitté son domicile new-yorkais. Destination l'Arizona pour une cure de désintoxication sexuelle. Quelques semaines plus tard, l'acteur Kevin Spacey, lui aussi accusé d'agressions sexuelles, l'y rejoint.

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MeToo

Il y a un an, le producteur Harvey Weinstein, accusé de multiples agressions, se réfugie dans un centre spécialisé dans les addictions sexuelles. Un argument mis en avant au tribunal (ici, en juillet).

© / AFP

En France, on rit volontiers de cette société américaine toujours puritaine où demander pardon est déjà le début de la rédemption, de ce système judiciaire où faire preuve de contrition est le premier pas vers une négociation de peine. Pourtant, la pratique n'y est pas si différente. Bien sûr, les consultations à l'hôpital public remplacent les discrètes cliniques ultrachics, les citoyens lambda se substituent aux célébrités. Mais, en correctionnelle comme aux assises, la scène est devenue banale. Dans les affaires de viol ou d'agression sexuelle, les magistrats posent désormais systématiquement la question au prévenu : Etes-vous suivi ? Par qui ? Un psychiatre ? Un psychologue ? A quel rythme ? L'accusé hoche la tête, donne quelques détails. Son avocat présente un certificat du médecin traitant attestant de l'existence des soins.

Un sursis avec mise à l'épreuve plutôt qu'une peine ferme

Le recours aux psys s'est largement démocratisé. Les prévenus, quelles que soient leurs origines sociales, n'hésitent plus à consulter. Et leurs avocats à en faire état à la barre. "Dans les affaires d'agression sexuelle, il y a très peu d'éléments matériels. Entre deux adultes, c'est parole contre parole. Du coup, il peut y avoir deux stratégies de défense : soit faire blocus, attendre que ça passe en attaquant la crédibilité de l'accusation, soit le prévenu reconnaît les faits et on est dans l'explication. Dans ce cas, les arguments deviennent plus audibles lorsqu'on a un suivi médical particulier", résume Arnaud Adélise, avocat.

"C'est un argument qui aura évidemment des conséquences sur la peine, un sursis avec une mise à l'épreuve plutôt qu'une peine ferme, une décision de non-réincarcération", confirme Jacky Coulon, magistrat et secrétaire national de l'Union syndicale des magistrats. La tactique n'est pas sans risque. Revendiquer une addiction sexuelle peut, par exemple, se révéler à double tranchant : "Ce n'est pas toujours favorable à la défense car les traitements sont longs et le risque de récidive paraît plus élevé", reprend Jacky Coulon. Mais, en général, même si aucune étude chiffrée n'existe, la pratique l'atteste : aller voir un psy profite à l'accusé.

Avi Bitton, avocat à Paris, se souvient de ces deux hommes qu'il a défendus pour des faits quasi similaires. Le premier comparaît devant une cour d'assises pour avoir abusé une de ses belles-filles adolescentes. L'homme est primo-délinquant. Il est placé en détention provisoire où il bénéficie d'une prise en charge thérapeutique, psychologique et psychiatrique. Il participe à des groupes de parole et, devant la cour d'assises, il reconnaît les faits : "Il encourait vingt ans, le procureur a requis quinze ans, il a été condamné à dix. Et comme il avait fait trois ans de détention provisoire, il est sorti à mi-peine, donc au bout de deux ans après sa condamnation." Le second est poursuivi pour avoir abusé de sa petite cousine. Il refuse les soins car il conteste les faits. La cour d'assises le condamne à onze ans de prison, il fait appel, la peine monte à treize ans en deuxième instance.

Reconnaître les faits plutôt que s'enfoncer dans le déni

Le raisonnement des magistrats est simple. Pour eux, reconnaître les faits, les accepter et s'engager dans un processus thérapeutique est signe que l'on est prêt à s'amender, avec un moindre risque de récidive. La durée et la forme de la peine doivent permettre de poursuivre la thérapie, pas risquer de l'entraver. Un choix qui heurte certaines victimes parce qu'elles voient leur agresseur comme un monstre et un manipulateur. Beaucoup l'acceptent parce qu'elles préfèrent l'entendre reconnaître les faits et se soigner, plutôt que de le voir s'enfoncer dans le déni ou leur renvoyer la responsabilité. "Les victimes se disent que s'il se soigne, il y a une chance pour qu'il ne recommence pas et que ce qu'elles ont subi aura servi à quelque chose", souligne Carole Damiani, directrice de l'association Paris Aide aux victimes.

MeToo - NE PAS REUTILISER

Place de la République à Paris, le 29 septembre, manifestation pour dénoncer les violences sexuelles, un an après le lancement du mouvement #MeToo.

© / NurPhoto/afp

Encore faut-il que la démarche soit sincère. Au tribunal, les juges prennent soin de "tester" la volonté de l'accusé. Si le traitement a commencé quinze jours avant la comparution, juste au moment où la convocation devant le tribunal a été envoyée, ils seront moins enclins à l'indulgence. Idem lorsque le juge a assorti le contrôle judiciaire d'une obligation de soins : si le prévenu a traîné avant de s'y plier, il en sera tenu compte. S'ils n'ont pas le droit de poser de questions sur le contenu des soins, protégé par le secret médical, les magistrats peuvent déceler les mots qui ne sonnent pas juste ou le manque de sincérité.

Il y a quelques semaines, un homme comparaît devant le tribunal correctionnel à Paris. Il est accusé d'avoir agressé sexuellement une SDF dans un lieu public. Il explique à la barre qu'il est allé voir un psy, qu'il a tout compris, qu'il avait des problèmes avec sa femme et que c'est pour se venger de cette dernière qu'il a agi ainsi. L'explication est brouillonne, peu crédible, le doute flotte dans la salle d'audience. "Quand on est devant le tribunal, il faut expliquer, pas se justifier. Dans le premier cas, on reconnaît sa responsabilité. Dans le second, on avance qu'on avait une raison valable, indépendante de sa volonté, de faire ce que l'on a fait", décrypte Arnaud Adélise.

Les jurés d'assises sont particulièrement sensibles à la reconnaissance de la responsabilité. Carole Damiani se souvient de ces deux hommes jugés pour des faits proches, des viols sur des enfants, l'un condamné à vingt ans, l'autre à neuf : "La différence, c'était notamment l'attitude hautaine de l'un, contre les excuses de l'autre." Et ce qui vaut pour des viols sur mineurs l'est aussi quand la victime est majeure.

Une des conditions d'aménagement des peines

Désormais, en matière de délits sexuels, le médical s'invite à toutes les étapes de la procédure judiciaire, bien au-delà des seuls prétoires. La loi le facilite, avec des dispositifs comme l'obligation ou l'injonction de soins à la disposition des magistrats. L'accueil des patients s'améliore avec la création de structures spécialisées dans les hôpitaux publics et en milieu carcéral. Et les professionnels disposent d'outils grâce à la création de centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS).

Qu'il s'agisse, en amont, de déterminer si un prévenu doit être placé en détention provisoire ou, en aval, de l'adaptation de la peine d'un condamné, le recours ou non à un psy fait souvent pencher la balance. "Les délinquants incarcérés sont fortement incités à se soigner. S'ils ne justifient pas d'un suivi, ils n'auront pas de remise de peine ou d'aménagement de peine, ils le savent", précise Anne-Hélène Moncany, psychiatre à Toulouse, intervenante au centre de détention de Muret.

Simple tactique ? Comme au tribunal s'entremêlent enjeu stratégique et intérêt thérapeutique. "En milieu carcéral, les patients ont conscience que c'est une des conditions de l'aménagement de peine. Et ils viennent pour cette raison. Mais, après tout, pourquoi pas, si cela nous permet de créer une rencontre, puis une demande et de travailler à un suivi ?" complète Jean-Philippe Cano, psychiatre au centre hospitalier Charles Perrens de Bordeaux.

MeToo

L'affaire Weinstein n'en finit plus de provoquer des réactions. A New York, une fresque murale représentant quatre personnages publics accusés d'agressions sexuelles.

© / AFP

En l'absence de chiffres, il est difficile d'évaluer l'efficacité sur le long terme de ces thérapies. Tous les professionnels savent que, en dépit de leurs efforts, le suivi des prévenus ou des condamnés est hétérogène, faute de moyens, faute, aussi, de formation d'un nombre suffisant de médecins au suivi de ces patients si particuliers. Reste le taux de récidive, seul indicateur disponible. Et il se révèle relativement bas : aux alentours de 6 % pour les agressions et les crimes sexuels, preuve que la justice joue son rôle.

Beaucoup redoutent pourtant un effet boomerang après les affaires Weinstein, #MeToo ou #Balancetonporc. Dans une période où la réprobation sociale est encore montée d'un cran, le danger est grand de voir les auteurs d'agressions sexuelles hésiter, plus qu'avant encore, à reconnaître les faits. Donc à entrer dans un processus thérapeutique, donc à apprendre à maîtriser certaines de leurs fameuses pulsions. Par peur d'être cloués au pilori, ils préféreront se taire et se présenter en victimes plutôt que d'essayer de comprendre et de travailler sur leur geste. Paradoxe d'une époque où libérer la parole des unes conduit au silence des autres. Au risque que tout le monde y perde.

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