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A l’hôpital Broca à Paris, des robots de compagnie pour les personnes âgées

A Paris, un laboratoire intégré à l’hôpital Broca expérimente l’usage des robots sociaux pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et de syndromes apparentés.

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Publié le 04 octobre 2018 à 09h13, modifié le 09 décembre 2019 à 15h53

Temps de Lecture 5 min.

Photo tirée de la série « Archives » de l'artiste Yves Gellie, actuellement présentée au Musée d’art contemporain de Marseille dans le cadre de l’exposition « Un amour de collection séquence 2 ». Travail réalisé avec l’aide du laboratoire Lusage, à l'hôpital Broca (Paris, 13e).

« Coucou. Coucou. Un vrai garçon. Impeccable… Gentil garçon. Impeccable… » De ses grands yeux bleus ébahis, Madame P. lance des regards coquins. Face à elle : Paro, un robot en forme de bébé phoque, façon fourrure toute douce et très blanche. Madame P. a 93 ans. Atteinte de la maladie d’Alzheimer à un stade avancé, elle oscille entre des moments d’extrême agitation et des phases d’apathie. Néanmoins, lorsqu’on la retrouve dans sa chambre d’hôpital, assoupie devant un flan au chocolat qu’elle a boudé, il ne lui faut que quelques secondes pour reconnaître Paro, s’éveiller et le caresser.

Le robot possède, comme elle, de grands yeux assortis de cils interminables. Une bouille ronde et réconfortante dotée d’une intelligence artificielle : Paro - fabriqué au Japon par National Institute of Advanced Industrial Science and Technology (AIST) - s’adapte ainsi au comportement de chacun, pousse des cris de plaisir ou de surprise, remue la tête et la queue.

Dans cette unité de séjour longue durée de l’hôpital Broca (Paris, 13e) de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), spécialisé en gériatrie, les patients souffrent de troubles cognitifs plus ou moins sévères. Isolés ou avec peu de moyens, tous termineront leurs jours ici, à l’hôpital, comme s’il s’agissait d’une maison de retraite publique. Manon Demange, neuropsychologue, finit son doctorat deux étages plus bas, au sein du Living Lab Lusage (pour Laboratoire d’analyse des usages en gérontologie) : « Le cadre est encore expérimental mais il y a consensus. Paro fait du bien aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et de syndromes apparentés : pour calmer des troubles du comportement, pour débloquer la communication lorsque le patient s’isole, pour soulager pendant un soin douloureux. »

Rôle de médiation

Tout comme Madame P., Madame C. a participé au protocole de recherche sur le robot-phoque. Installée dans un fauteuil roulant, à l’heure du goûter, elle bulle dans la salle commune. Parfaitement sourde, ou presque, elle présente le plus souvent des signes de dépression. A la vue de la peluche articulée, Madame C., 89 ans, se met à rire. « On avait une ferme, oui ! En Ardèche. Avec des moutons », se remémore-t-elle, à présent lumineuse. Pour gratter la tête de l’animal, elle ose même lâcher ce petit sac à main auquel elle s’agrippe sans cesse. « Ohh. Ohhh. C’est adorable. Adorable. Adorable », se réjouit-elle. Et de s’interroger : « C’est comment ? C’est branché sur l’électricité ? » Puis : « En fait, il mange ? Il boit du lait peut-être ? »

S’il n’y a ni sens ni cohérence, Paro joue un rôle de médiation, instaurant une relation triangulaire entre lui, le patient et le soignant. « Notre intervention a un effet très aigu, et pas sur le long terme, précise Manon Demange. On permet un temps de plaisir et de partage qui répond à un moment d’angoisse ou d’agitation. » Par ailleurs, lucide sur l’adoption de l’outil dans la vie réelle, la neuropsychologue connaît bien le contexte de la gériatrie à l’hôpital : « Cette unité est en sous-effectif. Avec deux infirmières pour 35 lits, on débarque avec notre sourire et nos nouvelles technologies, mais on ne résout pas les problématiques des soignants. On leur propose un robot à 5 000 euros, mais on sait qu’ils ont besoin de bras humains. »

Usages éthiques

C’est dans cet environnement complexe que l’implication de l’ensemble des acteurs prend tout son sens. Maribel Pino, docteure en psychologie et ergonomie cognitive, est la directrice du Broca Living Lab depuis bientôt dix ans : « On peut tout faire dans un labo de recherche. Mais dans la vraie vie, le moral des équipes de l’hôpital n’est pas toujours au beau fixe. Il faut distinguer l’outil de l’usage. Alors on implique les utilisateurs dans la conception de ces technologies – pour qu’ils détaillent leurs besoins, qu’ils amènent le produit vers quelque chose de plus réel. »

Les malades, mais aussi les proches, les familles, les associations de quartier et les professionnels de santé travaillent ainsi de concert : « On ne peut pas laisser ce rôle aux concepteurs, poursuit Maribel Pino. Eux, ils fabriquent des machines et ils veulent les vendre, c’est leur business. Nous, en santé, on a le devoir de contribuer à trouver des usages plus éthiques et plus utiles pour les patients. » En bref : moins de commercial, davantage de sciences humaines et sociales.

Dans la même idée de bien-être, même si très différent du phoque Paro, le robot Nao est un humanoïde de 8 kg, avec trois doigts à chaque main, des haut-parleurs à la place des oreilles et de multiples capteurs sensoriels. Il est fabriqué en France par l’entreprise SoftBank robotics (ex-Aldebaran Robotics). « Bonjour je suis Zora, je suis complètement chargée et prête à l’emploi », annonce la bestiole lorsqu’on la sort de sa boîte en carton. Benoît Charlieux, également neuropsychologue au Broca Living Lab, expérimente divers types d’activités d’animation en groupe avec Nao. Gym douce, respiration, musique : « La solitude est importante à l’hôpital. Nao, aux côtés de l’animateur, apporte une petite bulle d’oxygène aux malades. » Le robot n’est jamais seul avec la personne âgée. Un ingénieur reste posté derrière l’ordinateur et lui dicte ses faits et gestes. Telle une marionnette à qui donner vie, Nao n’a aucune autonomie.

Avec ses yeux immenses comme ceux des bébés, Nao donne envie d’être en empathie, y compris aux personnes sans pathologie. « C’est incroyable d’observer les patients s’ouvrir à lui, raconte Benoît Charlieux. Tout en sachant qu’il s’agit d’une machine, ils lui prêtent des intentions psychiques, des émotions. » Alors qu’elle est filmée, une vieille dame lance au robot, rattaché à l’ordinateur par un câble : « Fais attention à ne pas te prendre les pieds dans ton fil ! C’est bien, tu es très bien élevé… »

« Il ne remplacera jamais un être humain : c’est un simple outil de médiation, il apporte autre chose »

Toujours neutre et bienveillant, parce qu’il ne porte pas de jugement, Nao met les gens à l’aise. « J’ai vu des patients lui raconter des éléments très forts de leur vie passée, se rappelle Benoît Charlieux. Mais il ne remplacera jamais un être humain : c’est un simple outil de médiation, il apporte autre chose. » Les cliniciens interrogés sont unanimes : les patients ne sont pas dupes. Ils savent que le robot n’est qu’un robot, ils le prennent comme un jeu. Sans pouvoir s’empêcher, très souvent, de s’y attacher.

Puisque les interactions sont encore rudimentaires, et que la robotique se place aujourd’hui au tout début du temps lent de la recherche, les questions éthiques restent largement ouvertes. Paro et Nao ne sont, en aucun cas, des remèdes miracles, « mais pourquoi ne pas faire confiance aux patients eux-mêmes ? », propose Anne-Sophie Rigaud, chef de service à l’hôpital Broca et professeure de gériatrie à l’université Paris-Descartes : « Pourquoi les priver de ce soutien, s’ils sentent que ça leur fait du bien ? Et, à l’inverse, pourquoi leur imposer s’ils n’en veulent pas ? »

Le plus urgent serait alors de régler l’aspect financier pour des objets très coûteux : « Comment faire pour que ceux qui en ont besoin puissent en bénéficier ? », interroge le professeur Rigaud. Avant de relativiser l’usage de ces nouvelles technologies : « L’idée est d’adjoindre le robot aux soins. Ce n’est qu’un moyen parmi d’autres, en plus de l’intervention humaine. » Comme une canne ou des lunettes. Une béquille supplémentaire.

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