Changer de prénom : sous l'état-civil, les replis d'une histoire de l'immigration

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Changer de prénom : sous l'état-civil, les replis d'une histoire de l'immigration

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Dans une école primaire à Marseille, en 1988.
Dans une école primaire à Marseille, en 1988.
© Getty - Georges Merillon

Ils sont nés Khalid, Niloufer ou Yeram et parfois Aouregan ou Eflam. Après18 ans, ils ont demandé à franciser leur prénom. La polémique autour des récentes provocations d'Eric Zemmour sur le plateau de l'émission "Les Terriens du dimanche" est l'occasion de replonger dans l'histoire de l'état civil.

En France, on change bien plus souvent de prénom pour en choisir un qui sonnerait "plus français" que parce qu'on estime que celui dont on a hérité à la naissance est "trop ringard" ou encore parce qu'on estimerait "ne pas avoir la tête de son prénom", convaincu de se vivre bien mieux en Léa qu'en Quitterie. Aujourd'hui, une demande sur trois, parmi les dossiers de modification de prénom, émane de Français soucieux de franciser le leur.

Les changements de prénom ou de patronyme ne sont pas médiatisés en France, comme cela peut l'être aux Etats-Unis où la loi veut que ces modifications fassent l'objet de publications dans la presse sous la forme de ce qu'on appelle des "notices légales" qui renvoient au document officiel. Vous ne trouverez aucune "Nedjma" annonçant dans le Midi libre ou Le Figaro qu'elle est officiellement devenue "Estelle" sur sa carte d'identité... ou son CV. 

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Chaque année, plus de 3 000 personnes font cependant cette démarche en France, dont un gros millier pour choisir un prénom réputé plus en phase avec un versant plus hexagonal de l'histoire de France. Longtemps, un tribunal était nécessairement saisi pour statuer du droit des individus à utiliser le prénom de leur choix. Une démarche qui impliquait d'engager des frais d'avocat et de patienter. 

Mais la procédure a été simplifiée, si bien qu'aujourd'hui le code civil indique à son article 60 que "toute personne peut demander à l’officier de l’état civil à changer de prénom”. C'est seulement "s'il estime que la demande ne revêt pas un intérêt légitime, en particulier lorsqu'elle est contraire à l'intérêt de l'enfant ou aux droits des tiers à voir protéger leur nom de famille, l'officier de l'état civil saisit sans délai le procureur de la République", poursuit le texte. Cette libéralisation est intervenue en 2016 dans le cadre de la loi de modernisation de la justice alors que, dans les faits, le parquet se montrait très rarement hostile au changement que réclamaient les requérants, comme le rappelle le sociologue Baptiste Coulmont, qui publiait en 2016 Changer de prénom, aux PUL.

Si un tiers des demandes consistent à franciser un prénom ou à troquer un prénom étranger pour un prénom réputé "très français", c'est parce que l'histoire des changements de prénom procède de longue date d'une histoire de l'immigration. Dans 80% des cas, au moins un des deux parents de la personne qui fait la demande est né à l'étranger, précise le sociologue. Et dans un cas sur deux, ce sont les deux parents qui sont nés hors du territoire français. 

Dans l'histoire de la jurisprudence, on observe que les juges se sont d'emblée montrés favorables à ce versant de l'intégration. Lorsqu'on interroge les intéressés, la démarche relève souvent explicitement d'une quête pragmatique de débouchés, et d'une crainte des discriminations, comme on peut l'entendre en (re)découvrant le documentaire diffusé en 2011 sur France Culture dans l'émission "Les Pieds sur terre".

Alors que leur demande était en cours au tribunal, Sacha, Noël, Madeleine, Yoesvaran racontent pourquoi ils désiraient changer de prénom, tandis qu'Amin se souvient du jour où il a dû éplucher un calendrier de La Poste en "dix minutes, à peine un quart d'heure" dans le bureau de l'officier d'état civil. Pour finalement choisir Raphaël "en pensant à ses amis" qui s'appelaient Julien ou Philippe et parce que son deuxième prénom était Raouf. Ecoutez-le se souvenir de "plusieurs moments de flottement" alors que l'almanach passait de mains en mains dans la famille :

Changer de prénom, dans "Les Pieds sur terre", le 05/02/2011

24 min

Dans cette archive, vous entendrez aussi Alexis concéder qu'il a "deux prénoms". Lui préfère Alexis "même si, dans les papiers c'est Vangelos le prénom principal" - celui de son grand-père, Grec. Même à la troisième génération, la coexistence de deux prénoms apparaît plus saillante chez des Français nés dans des familles issues de l'immigration. Pourtant, même dans des histoires hexagonales de plus longue date, l'usage de deux prénoms a longtemps été monnaie courante, avec un prénom pour l'état civil, et un prénom plus usuel. Baptiste Coulmont rappelle d'ailleurs que Ségolène Royal est née Marie-Ségolène tandis que Marine Le Pen est Marion-Anne à l'état civil.