Trois équipes de chercheurs ont réussi à modifier des fruits sauvages pour leur donner des caractéristiques compatibles avec une exploitation commerciale, tout en conservant leurs qualités de goût et de résistance originelles. De quoi ouvrir la porte à une immense diversité de fruits jusqu’ici délaissés. 

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    Aux côtés des fraises et des pommes, nous trouverons peut-être bientôt dans les supermarchés des cerises d'hiver, des tomates sauvages ou des cynorhodons. Plusieurs équipes de chercheurs, dont les travaux viennent d'être publiés dans les revues Nature Plants et Nature Biotechnology, viennent en effet de trouver un moyen d’accélérer la domestication de certains fruits sauvages pour leur donner des caractéristiques compatibles avec une commercialisation. De nombreux fruits sauvages, bien que comestibles, ne sont en effet pas adaptés à une exploitation à grande échelle car ils sont trop acidesacides, trop petits, peu productifs ou parce qu'ils se conservent mal. Mais grâce à quelques modifications génétiquesgénétiques par CRISPR-Cas9CRISPR-Cas9, ils pourraient bientôt arriver sur nos étals.

    La cerise de terre PhysalisPhysalis pruinosa fait partie de ces fruits injustement ignorés. De la famille des Physalis, aussi appelées lanterne japonaise, coquerets du Pérou ou amours en cage, ce petit fruit orangé est entouré d'un calicecalice doré. D'une saveur entre la tomate et l'ananasananas, elle est souvent utilisée pour faire joli mais n'est pas cultivée à grande échelle, notamment à cause de sa fâcheuse tendance à tomber au sol, avant que l'on puisse la cueillir, due à une abscission prononcée.


    Physalis pruinosa,
    une variété sauvage de Physalis a pu être améliorée par CRISPR-Cas9 pour donner des fruits 50 % plus nombreux, 24 % plus gros et qui ne tombent pas au sol. © Zachary Lippman, Cold Spring Harbor Laboratory. 

    Des tomates résistantes aux maladies et 5 fois plus riches en lycopène

    En modifiant à peine deux gènesgènes grâce à la technique de ciseaux génétiques CRISPR-Cas9, une équipe américaine a obtenu une variété de cerise de terre produisant 50 % de fruits en plus par branche et avec un fruit 24 % plus gros. « Il est possible d'arriver au même résultat avec des techniques traditionnelles, comme l'irradiationirradiation ou un traitement chimique des graines, mais cela prend des années », souligne Zachary Lippman, un des auteurs de l'étude publiée dans Nature Plants. « La cerise de terre a le potentiel pour devenir un fruit majeur », assure le chercheur.

    Parallèlement, une autre équipe de l'Académie chinoise des sciences explique dans la revue Nature Biotechnology comment elle a réussi à donner à une variété de tomate sauvage (Solanum pimpinellifolium) des caractéristiques semblables à celles des tomates commerciales, comme des fruits plus gros, plus riches en vitamine Cvitamine C et avec une meilleure duréedurée de conservation en modifiant quatre de ses gènes. Le tout en conservant les avantages de la tomate sauvage, à savoir une résistante aux maladie et à la salinitésalinité. Enfin, une troisième équipe indépendante a elle aussi pu « domestiquer » la même tomate sauvage pour donner des plants dix fois plus chargés, avec des fruits trois fois plus gros et cinq fois plus riches en lycopène que les tomates commerciales. « Nos tomates sont beaucoup plus goûteuses et aromatiquesaromatiques », se régale Jorg Kudla, de l'université de Munster en Allemagne et coauteur de l'étude.  

    Les fruits obtenus sont plus gros et plus goûteux tout en gardant leur résistance à la sécheresse et à la salinité. © T. Li et al. <em>Domestication of wild tomato is accelerated by genome editing, Nature Biotechnology, </em>octobre 2018.

    Les fruits obtenus sont plus gros et plus goûteux tout en gardant leur résistance à la sécheresse et à la salinité. © T. Li et al. Domestication of wild tomato is accelerated by genome editing, Nature Biotechnology, octobre 2018. 

    Exploiter l’immense patrimoine génétique des espèces sauvages

    Cette découverte pourrait radicalement transformer notre alimentation, estiment les chercheurs. « On compte plus de 50.000 espècesespèces végétales comestibles dans le monde, mais 90 % de nos caloriescalories proviennent de 15 céréalescéréales uniquement », avance Jorg Kudla. Grâce à CRISPR, il serait possible d'améliorer de nombreuses plantes « mineures » pour exploiter leur richesse génétique, perdue lors du processus de domesticationdomestication.

    Seules les plantes dont le génomegénome est parfaitement étudié sont cependant éligibles. « CRISPR est un outil très précis, qui nécessite donc des connaissances très précises », souligne Martin Mascher, généticiengénéticien au Leibniz Institute of Plant Genetics and Crop Plant Research (IPK) en Allemagne. De plus, la technique est plus difficile à utiliser pour les céréales ou les arbresarbres, dont les parois des cellules sont plus épaisses. Mais le plus gros problème viendra sans doute des autorités de régulation : en juillet, la Cour de justice de l'Union européenne a établi que les organismes modifiés par mutagénèse comme CRISPR doivent être considérés comme des OGMOGM et obéir à la même règlementation. De quoi freiner considérablement les ardeurs des scientifiques, alors même que cette avancée permettrait de revitaliser des variétés abandonnées.