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EntretienPesticides

Fabrice Nicolino : « Contre les pesticides, c’est maintenant ou jamais »

L’Appel des coquelicots pour l’interdiction de tous les pesticides de synthèse a été lancé en septembre. En ce vendredi 5 octobre, à 18 h 30, se déroule un premier rassemblement devant les mairies. Fabrice Nicolino, un des initiateurs de l’appel, explique pourquoi il appelle à une mobilisation massive.

Rendez-vous ce soir, vendredi 5 octobre, à 18 h 30 devant votre mairie. Pourquoi ? Pour demander l’interdiction de tous les pesticides de synthèse. Et cela recommencera tous les premiers vendredis du mois, pendant deux ans. L’ambition est de réunir d’ici là cinq millions de personnes, afin de pousser le gouvernement à agir. Ce pari fou a été lancé le 12 septembre dernier par un Appel de la jeune association Nous voulons des coquelicots. Son président est Fabrice Nicolino, journaliste spécialiste des questions d’écologie et collaborateur de Reporterre. Il explique pourquoi il donne rendez-vous ce soir pour le premier rassemblement des coquelicots.

Fabrice Nicolino.

Reporterre — Tu es engagé en faveur des questions écologiques depuis bien longtemps. Qu’est-ce qui t’a fait choisir la cause des pesticides en particulier ?

Fabrice Nicolino — Les pesticides sont un poison universel qui s’est infiltré dans tout ce qui est vivant. Mon sentiment est que l’on assiste à un événement de nature apocalyptique. Je sais que c’est un mot qui est connoté et qu’on hésite à employer, mais c’est celui que j’ai envie d’employer parce que ce qui me frappe, c’est la rapidité extraordinaire de la disparition de toutes formes de vie. Une étude du Muséum national d’histoire naturelle et du CNRS montre qu’un tiers des oiseaux a disparu en quinze ans en France. Si l’on s’en tient aux études allemandes, qui semblent pouvoir s’appliquer aussi à la France, elles disent que 80 % des insectes volants ont disparu. Il s’agit de chaînes alimentaires qui sont rompues probablement à jamais.

Tout le monde le sait, enfin peut-être 80 ou 90 % de la population et, dans le même temps, on ne fait rien. On doit attendre je ne sais quoi, Godot peut-être, mais rien ne se produit : on est spectateurs d’une catastrophe totale et qui menace beaucoup d’espèces vivantes et aussi la santé des humains ! Il ne s’agit pas seulement des forêts de Birmanie ou des océans au large des Galapagos, il s’agit de la France, qui a changé de visage en l’espace de 50 ans. Il suffit de regarder les papillons : c’est extravagant, jadis, au temps de ma jeunesse, il y avait des papillons absolument partout, dans tous les prés. Il y avait des coquelicots et des bleuets, parce qu’il n’y avait pas encore le même niveau de pesticides. Si on n’agit pas maintenant, là où on est, contre les pesticides, on ne fera rien parce qu’il n’y aura plus rien à faire.

Et puis, en ce qui concerne les pesticides, il y a une base « objective » au soutien d’un Appel comme celui-ci. En l’espace de 25 ans, des millions de gens ont commencé à consommer des produits bios. En 2016, selon l’Agence bio, 91 % des Français avaient consommé au moins une fois un produit bio.

Donc je me suis dit que d’abord, c’est maintenant ou jamais, et ensuite, qu’il existe une base réelle dans la société pour soutenir l’appel à l’interdiction de tous les pesticides.



Pourquoi une mobilisation sous forme d’Appel ?

C’est tout le contraire d’une pétition. C’est un appel à l’action, à une action qui va durer deux ans et qui consiste à rassembler au moins 5 millions de personnes. C’est très ambitieux, on a conscience que cela n’a jamais été fait.

Cet appel va se concrétiser dès aujourd’hui 5 octobre avec des rassemblements partout en France devant les mairies. Il y aura au total 24 rendez-vous mensuels devant les mairies, le premier vendredi de chaque mois, à 18 h 30. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’avec des moyens dérisoires — on est une douzaine de bénévoles et on n’a pas un rond —, on a permis que des centaines de rassemblements se produisent le 5 octobre. Trois cents sont d’ores et déjà enregistrés dans le cadre du site. Mais compte tenu de ce que l’on entend, par-ci par-là, il y a énormément d’autres rassemblements qui n’y ont pas été enregistrés. On pense qu’il y aura au moins quatre cents rassemblements en France, ce qui est considérable. Ils seront peut-être modestes. Mais c’est la première fois, le premier mois. L’idée, depuis le départ, est que l’on sera de plus en plus nombreux pour être, le dernier mois de l’appel, en octobre 2020, des centaines de milliers de gens, voire des millions, devant les mairies.



Tu parles d’action. Le fait de se rassembler devant les mairies est-il suffisant ?

Pour l’instant personne n’a rien fait, donc c’est déjà quelque chose de rassembler des gens, de les sortir de chez eux, de les faire quitter leurs ordinateurs et Facebook. C’est déjà quelque chose de différent, une action concrète. Notre rêve est qu’une sorte de Téléthon anti-pesticides se mette en place et que les gens inventent des formes d’action adaptées à ce qu’ils sont, à l’endroit où ils vivent, à la nature de leur travail. Dessiner un coquelicot et le mettre à sa fenêtre est déjà une action concrète qui engage la personne. Notre idée est que, pour obtenir cinq millions de soutiens, il faut aller loin dans la société française, toucher des gens qui ne sont pas habitués faire quelque chose, à montrer leur opinion. Il faut trouver des moyens de toucher les gens partout, dans le moindre recoin de la société française.

Ensuite, il y a deux hypothèses. Soit on ne réussit pas, mais cela n’empêche pas d’y aller. Soit on réussit à avoir un très grand soutien populaire à cet appel — qui est radical parce qu’il demande l’interdiction d’une industrie — et on sera face à un cas de figure inédit. Dans un pays démocratique, un pouvoir peut-il considérer que face à une société civile qui dit quelque chose, il peut détourner le regard et passer à autre chose ? Je pense que non, que si on arrive à des millions de soutiens, cela créera une onde de choc, en France mais aussi en Europe et pourquoi pas dans le monde. Car je pense que cet appel concerne la totalité de la planète, même si on commence par la France.

Il faut montrer qu’une société vivante a le droit d’exiger un certain nombre de choses. C’est le grand enjeu de cet appel : si la société est vivante, elle saura se défendre et va nous rejoindre facilement. Et si par extraordinaire, elle ne nous rejoignait pas, que faudrait-il en conclure ? Que rien n’est possible. Si une société ne se défend pas contre des poisons qui vont jusque dans ses tréfonds, elle ne se défendra pas non plus contre le dérèglement climatique ou la disparition de la biodiversité. Elle va accepter toutes les conséquences de la crise écologique. Je plaide pour un sursaut de nature historique.

Les pesticides ont commencé il y a environ 70 ans en France. Il y a un début. Maintenant il faut voir si on est capable de décider collectivement de la date de fin des pesticides en France.



Si vous obtenez l’interdiction des pesticides, comment imaginez-vous la suite, notamment pour les agriculteurs ?

Je vais dire les choses avec simplicité. Notre Appel ne vise pas les agriculteurs. Je crois que le mot n’est même pas énoncé. Ce n’est pas le sujet de notre Appel. Notre Appel est une réaction d’autodéfense de la société qui est confrontée à un poison. Si la société est capable de se lever pour dire qu’elle ne veut plus de poison, elle saura trouver les voies pour se passer de pesticides et aider les paysans à se sortir du piège épouvantable que ces produits représentent pour eux.

Un très grand nombre d’agronomes ont établi que l’agriculture écologique, ou l’agroécologie sont les seules susceptibles de faire face à l’existence de 10 milliards d’êtres humains sur Terre d’ici quelques décennies. Là aussi, ce n’est pas une option.
Notre rôle est de dire que ce système des pesticides doit disparaître parce qu’il est mauvais pour tous. C’est un cri pour arrêter une machine infernale. On veut montrer la vitalité de la société française face à une menace globale qui est très grave.



Que pensez-vous de l’interdiction des néonicotinoïdes, entrée en vigueur le 1er septembre dernier ?

On fête une victoire parce que les néonicotinoïdes, qui ont tué une grande partie des abeilles, sont interdits au bout de 25 ans ? Ce n’est pas une victoire, c’est une énorme défaite.

Les pesticides sont un système qui fonctionne très bien avec des interdictions rituelles. Quand des pesticides sont interdits, d’autres prennent la suite. Pour les néonicotinoïdes, dès les premiers épandages de Gaucho sur les grandes cultures en 1992, les apiculteurs se sont rendu compte qu’il y avait une surmortalité délirante dans leurs ruchers. L’alerte a été donnée tout de suite. Et on est en 2018. Toutes les équipes politiques de droite et de gauche qui se sont succédé ont soutenu les néonicotinoïdes, ont refusé l’interdiction, permettant au passage à Bayer et BASF de rentabiliser leur poison. Il a donc fallu un quart de siècle pour obtenir leur interdiction mais il y a d’ores et déjà d’autres produits en circulation, ou qui seront bientôt en circulation. Par exemple il y a eu une alerte il y a six mois de la part de scientifiques de l’Inra [Institut national de la recherche agronomique], l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale], du CNRS [Centre national de la recherche scientifique], qui mettent en garde contre les fongicides SDHi, et qui craignent qu’ils expliquent, notamment, l’augmentation considérable d’encéphalopathies graves chez les enfants. Et pourtant, ils sont épandus sur 70 % des surfaces de blé tendre en France.

Donc, les pesticides, c’est un système, ça ne finit jamais. La bataille est perdue d’avance si on ne remet pas en cause le système dans sa globalité. Il y a toujours d’autres produits pour remplacer ceux qui sont interdits après avoir fait des désastres monumentaux. Ou on attaque le système des pesticides, ou on se condamne à des campagnes perpétuelles, perpétuellement perdues. Au Grenelle de l’environnement, il a été décidé de diminuer de 50 % l’usage des pesticides, cela a coûté des milliards d’euros et pourtant, la consommation de pesticides a augmenté de 20 %. C’est un système pratiquement indestructible, qui est enraciné dans l’appareil d’État, qui a le soutien du ministère de l’Agriculture, d’une partie de l’Inra, de la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, principal syndicat d’agriculteurs].

Il faut changer d’état d’esprit. On s’est tellement pris de coups sur la gueule depuis des décennies, on est allé si loin dans la destruction des formes de vie qu’il n’est que temps de réagir et d’unir toutes les forces disponibles pour gagner, pour abattre ce système des pesticides par l’affirmation d’une société vivante.

Je m’adresse à chaque lecteur de Reporterre en disant : c’est maintenant. Il faut que l’on accepte de donner du temps et de l’énergie pour une cause supérieure. C’est un appel insistant à l’action collective. C’est fondamental. J’entends trop souvent des gens qui disent : « Mais, qu’est-ce qu’on peut faire ? » Je dis : « Passons à l’action. Arrêtons de nous plaindre. » Il faut une perspective concrète qui mobilise chacun. Chacun doit trouver sa force et sa manière de répondre à l’Appel des coquelicots.

  • Propos recueillis par Marie Astier
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