« Pire que des chiens ou des cochons. » Jusqu’au bout de ses trente-sept ans de règne, Robert Mugabe, homophobe invétéré, n’a jamais retenu ses insultes contre les homosexuels, femmes ou hommes, qu’il qualifiait aussi publiquement d’« immondices » et de « non-Africains ». La chute du président zimbabwéen, en novembre 2017, a donc provoqué un grand soulagement dans la communauté LGBT, profondément marginalisée dans ce pays chrétien et conservateur, où les relations homosexuelles sont punies par la loi.
La joie aura été de courte durée : le coming out public d’un professeur, le 21 septembre, d’abord célébré comme une victoire pour les minorités sexuelles, a depuis tourné au pugilat. Alors que son orientation sexuelle allait être révélée dans un journal local, Neil Hovelmeier, directeur adjoint d’un collège pour garçons d’un très chic quartier de la capitale, Harare, a préféré prendre les devants et l’annoncer lui-même à ses élèves. Ce Zimbabwéen blanc de 40 ans espérait même ouvrir un débat sur l’homophobie dont certains de ses élèves font l’objet, dans un établissement élitiste fréquenté par des fils de diplomates, d’hommes d’affaires, qui reçut jusqu’à Robert Mugabe Jr, le rejeton de l’ex-président.
Des lois homophobes datant de la colonisation
La réaction initiale a été plutôt positive : l’enseignant a reçu le soutien de sa direction, d’élèves et de collègues. Les militants LGBT ont célébré la bravoure du premier professeur du pays à franchir le pas. Mais le retour de bâton ne s’est pas fait attendre : furieux et sidérés que le sujet ait été abordé dans l’enceinte de l’école, des parents d’élèves ont promis d’entamer des poursuites, après avoir semé le chaos dans une réunion convoquée en urgence. « Cela va pousser nos enfants à adopter certaines croyances sexuelles, ils vont se faire convertir », s’est émue une mère d’élève auprès du quotidien indépendant Daily News. « Qu’il aille directement en enfer », a estimé une autre. Après avoir reçu des menaces de mort, Neil Hovelmeier a préféré démissionner.
Au Zimbabwe, les lois criminalisant l’homosexualité remontent à la colonisation britannique et au common law, son système juridique. Si Robert Mugabe martelait que l’homosexualité était « une maladie importée par l’homme blanc », des historiens ont depuis prouvé que les ethnies San et Ndebele, présentes originellement dans cette région d’Afrique australe, pratiquaient déjà les relations sexuelles entre hommes.
En 2006, le Parlement a voté un ensemble de lois sur les « déviances sexuelles », qui interdisent toute action perçue comme homosexuelle. Depuis, deux personnes
de même sexe se tenant par la main ou s’embrassant en public, sont passibles de trois ans d’emprisonnement. A ce jour, la condamnation la plus emblématique reste celle de Canaan Banana, le premier président du Zimbabwe indépendant (1980-1987), condamné en 1999 pour sodomie et agression sexuelle contre des hommes de sa garde rapprochée.
Avec l’accession au pouvoir d’Emmerson Mnangagwa, à la suite du coup d’Etat militaire de 2017, la communauté LGBT espère un assouplissement du régime. L’ancien bras droit de Robert Mugabe, qui n’entend pas pour l’instant revenir sur les lois homophobes, a cependant rencontré les représentants des associations en juillet, un premier pas déterminant vers la reconnaissance des minorités sexuelles. Même s’il est associé de près à la répression brutale et aux violations des droits de l’homme des années Mugabe, le nouveau président entend redorer l’image de son pays à l’international, et le rouvrir aux investisseurs. D’après l’association Gays et Lesbiennes du Zimbabwe (GALZ), le nombre d’actes homophobes a diminué depuis sa prise de pouvoir.
Mais l’expérience de Neil Hovelmeier montre que la rhétorique homophobe de l’ex-président reste durablement imprimée dans les consciences. « Au début, j’étais très optimiste, j’ai cru que nous étions arrivés à un tournant, a estimé l’enseignant, juste après avoir démissionné. Je suis triste de constater que notre pays n’en est pas encore au stade où une telle discussion peut être tolérée. »
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