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Nos vies queers"On veut vieillir sans tabou" : une coloc pour seniors LGBT va voir le jour à Paris

Par Youen Tanguy le 03/10/2018
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Une colocation composée de cinq hommes gays est en projet à Paris. Une excellente alternative à la maison de retraite pour Luc et Habib, qui vont en faire partie et que nous avons rencontrés.

Paris, 10h. Dans une petite maison du XIXe arrondissement de Paris nous accueillent Luc, 73 ans, et Habib, 60 ans. Le premier s'active en cuisine pour préparer un café tandis que que le second prend possession du canapé qui trône au milieu du salon. "On est un peu stressés de parler à la presse", murmure Habib dans un sourire timide. Un stress qui n'empêchera pas les deux hommes de blaguer tout au long de notre entretien. C'est pour parler de leur futur appartement parisien que nous les rencontrons : un grand 175 m2, refait à neuf, en plein coeur du IXe arrondissement. C'est là que les deux amis vont vivre en colocation avec trois autres hommes à partir de l'année prochaine. Et s'ils ne se connaissaient pas avant cette aventure, ils ont un point commun : ils sont tous homosexuels.

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Luc s'installe à son tour dans le canapé, les deux mains posées sur son jean. Après quelques secondes d'hésitation, c'est lui qui, d'une voix timide, nous explique la genèse du projet. "L'idée de la colocation est très humaniste. Au départ on ne se connaissait pas du tout, on n'est pas un groupe d'amis qui a décidé de vivre ensemble. L'association Grey Pride a organisé une séance de speed-dating avec une vingtaine de personnes. J'ai cru qu'on allait pouvoir créer plusieurs colocations mais en fin de compte, on était que quatre à la fin." Il reste donc une place à pourvoir, avis au amateurs.

Peur de la solitude et du placard

Le projet a donc vu le jour grâce aux efforts de Grey Pride, association qui lutte contre l'isolement des seniors LGBT+. C'est la mairie de Paris, via la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP), qui a mis à disposition cet appartement, un logement social. "La question de l'accès au logement pour des LGBT seniors est parfois un parcours du combattant, observe Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris en charge du logement. Il y a un besoin, identifié par l'association Grey Pride, et il m'a semblé utile de répondre à cette demande en les aidant à le faire concrètement." Et d'ajouter : "Par ailleurs, la colocation est un bon outil pour lutter contre l'isolement ".

Habib, silencieux jusque-là, nous raconte avoir perdu son conjoint il y a quelques années. "J'étais terrifié à l'idée de finir seul, confie l'homme habillé d'une chemise pourpre et d'un gilet blanc. J'ai eu une période difficile, où je n'envisageais pas la suite. J'envisageais peut-être le pire. Et j'ai connu Grey Pride." Outre la peur de la solitude, il a fait le choix de la colocation pour des raisons financières, mais aussi "pour ne pas pas finir dans un établissement médicalisé comme un Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, ndlr)".

QUEERTOPIE. "On veut vieillir sans tabou" : une coloc' pour seniors LGBT va voir le jour à Paris

Et pourquoi choisir une coloc' uniquement composé d'hommes gays ? "Après avoir vécu un passé de militant, être sorti du placard, parfois avec beaucoup de difficultés, j'ai l'impression que quand on arrive dans une maison de retraite, par définition, tout le monde est hétéro, ou bien pire encore, qu'il n'y a pas de sexualité, développe Luc. Et donc le risque était de devoir retourner au placard après avoir eu tant de mal à en sortir." Un moyen aussi pour ces hommes, dont certains ont parfois caché leur sexualité une bonne partie de leur vie, de conserver une certaine intimité. C'est essentiel pour Luc : "On veut vieillir sans tabou et continuer à avoir une sexualité... (il réfléchit). Bon, pas forcément une sexualité car elle faiblit avec l'âge, mais du désir au moins. Le désir de tendresses et de caresses ne faiblit jamais avec l'âge."

D'autres coloc gays ?

Quid de la rencontre amoureuse dans un tel contexte, justement ? Si l'un des colocataires tombe amoureux, dans quelle mesure vont-ils l'intégrer à leur groupe ? "C'est une question à laquelle nous n'avons pas encore de réponse et c'est à l'usage que nous aurons l'occasion de développer et compléter la charte", lâche Habib. C'est pour organiser la vie dans l'appartement que les colocataires ont rédigé ce document essentiel à leurs yeux, ainsi qu'un règlement intérieur. Car il n'est pas évident de se mettre en colocation quand on a passé 60 ans. "La charte est plutôt pour exprimer les valeurs humanistes : dire que l'on est là pour s'aider et pas seulement pour partager un loyer, explique Luc dans son blouson en cuir noir. Le règlement intérieur aborde plus des problèmes matériels : peut-on fumer ou pas ? Peut-on avoir des animaux ? Comment organise-t-on les tâches ménagères ?"

QUEERTOPIE. "On veut vieillir sans tabou" : une coloc' pour seniors LGBT va voir le jour à Paris

Les deux hommes se considèrent comme des pionniers. Pour Luc, les cinq papys gays n'ont pas le droit à l'erreur. "On fera en sorte que ça fonctionne bien pour que ça serve de modèle à d'autres colocations : gays, lesbiennes, trans, tout ce qu'on voudra... et même pourquoi pas hétéros. Mon souhait, c'est qu'il y ait plusieurs colocations LGBT dans la capitale, voire une par arrondissement." Les futurs colocataires avaient d'ailleurs proposé à des femmes de faire partie de l'aventure, "mais il n'y a pas eu de lesbiennes candidates", regrette Luc. Leur souhait pourrait toutefois se voir exaucé dans le futur. "C’est pour moi un premier pas, conclut Ian Brossat. Et s’il avère que le besoin est là, nous n'hésiterons pas à mobiliser d'autres appartements."

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Crédit photo : TÊTU