D’une main, d’un côté puis de l’autre, il salue son public à la manière de la Reine d’Angleterre. Dimanche 7 octobre, 10 heures pétantes, l’auditorium de l’Opéra Bastille est plein comme un œuf pour accueillir l’écrivain italien Roberto Saviano. Alors que Marine Le Pen est en voyage à Rome pour afficher sa proximité avec le ministre de l’intérieur Matteo Salvini, Roberto Saviano, lui, est en visite à Paris. « On est très heureux de votre choix ! » lance le journaliste du Monde Philippe Ridet, qui anime la discussion, aux 500 spectateurs présents.
« Moi je ne sers à rien, même pas à moi-même. Je m’enfonce dans la merde jour après jour. Mais je me sens plus grand dans ma défaite qu’eux. »
Faut-il encore présenter l’intellectuel militant, auteur du best-seller Gomorra sur la mafia napolitaine ? Au Monde Festival, en tout cas, on se l’arrache, on l’applaudit telle une rock star. A 39 ans, sous escorte policière depuis onze ans, Roberto Saviano a légué sa vie à son engagement. « Moi je ne sers à rien, même pas à moi-même. Je m’enfonce dans la merde jour après jour. Mais je me sens plus grand dans ma défaite qu’eux », assume-t-il, renvoyant la balle au gouvernement italien, alliance hétéroclite entre La Ligue et le Mouvement 5 étoiles, à la fois xénophobe et nationaliste. « Être sous protection n’a rien d’un privilège, c’est un drame, poursuit-il. Il me tarde de la perdre. »
De cette vie brisée, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec les enfants des rues de Naples, ces très jeunes mafieux qui sont les protagonistes bien réels de son premier roman, Piranhas (Gallimard), en librairie depuis le 4 octobre. « Ils veulent mourir, la mort est un choix pour eux, raconte l’auteur. Quand je les ai interviewés et leur ai dit mon âge, j’avais 37 ans à l’époque, et ils se sont étonnés : “Mais alors tu comptes pour du beurre s’ils ne t’ont pas encore tué !” »
L’Italie est un laboratoire
Sauver l’Italie de sa dérive, trop lourde tâche pour un écrivain isolé et menacé ? « Les intellectuels pensent qu’il suffit d’une petite déclaration sur les réseaux sociaux. Mais aujourd’hui, il faut se battre tous les jours », martèle Roberto Saviano. « Nous sommes en guerre. Pour l’instant, en Europe, il s’agit d’une guerre d’information. Et la cible, par exemple, c’est moi. » Aux yeux de cet Européen convaincu – qui « rêve même aux États-Unis d’Europe » – l’Italie ressemble à un laboratoire dont les dynamiques finissent par devenir universelles : « C’est un pays très réceptif, qui absorbe tout ce qui se passe à l’extérieur. Si vous regardez l’Italie, vous regardez votre avenir », prévient-il. Et Philippe Ridet de s’exclamer : « Vous faites un peu flipper ! »
Malgré la noirceur et le pessimisme ambiants, l’intellectuel joue son rôle pour réveiller les consciences. « Le désespoir d’un peuple, c’est lorsque l’individu pense qu’il est inutile de vivre honnêtement, que ce sont les idiots qui payent leurs impôts. C’est ce qu’il se passe aujourd’hui dans mon pays. » Alors, puisque seul on ne vaut rien, il lance un appel à une salle déjà conquise : « Chacun d’entre nous est nécessaire, indispensable. Si vous trouvez la force de vous battre, de défendre la complexité, faites-le partout, tout le temps. Dans un taxi ou au travail. Même si, finalement, les choses ne se déplacent que d’un millimètre. »
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