Frédéric Mitterrand : “Chez Trump, tout est affaire de coups et de bagarre"

Frédéric Mitterrand : “Chez Trump, tout est affaire de coups et de bagarre"
Donald Trump (NEAL BOENZI)

Dans "Trump, le parrain de Manhattan", diffusé ce lundi soir sur France 3, Frédéric Mitterrand fait le portrait sans concession du président républicain. Entretien.

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France 3 diffuse ce lundi 8 octobre, à 21 heures,"Trump, le parrain de Manhattan", le documentaire de Frédéric Mitterrand consacré au parcours du président des Etats-Unis et à sa conquête immobilière de New York. "J'ai voulu voir qui il était avant de devenir président. [...] Puisque Trump affirme diriger le pays comme il dirige ses affaires, il était nécessaire de revenir à la période d'avant et de décrire son ascension", explique Frédéric Mitterrand à "l'Obs". Interview. 

Un film de plus sur Trump ?

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Frédéric Mitterrand J'ai toujours peur du politiquement correct, cette façon de tout juger avec le même unanimisme. Karl Marx disait que l'histoire se répète deux fois, "la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce". Trump a été considéré comme une sorte d'autre Reagan : on disait de lui, à l'époque, qu'il avait lu trois livres, dont un qu'il n'avait pas fini de colorier… Et puis on s'est rendu compte qu'il n'avait pas été un si mauvais président, un président de droite, certes, mais pas indigne des enjeux. Je me suis demandé si on n'allait pas faire la même erreur avec Trump qui est un Reagan bien plus vulgaire, encore plus primaire et méprisé.

Je le déteste, mais il m'intéresse et je crois que la pire des choses, quand on est "contre", c'est de ne pas savoir évaluer les points forts de la personne dont on fait le portrait. J'ai voulu voir qui il était avant de devenir président. Il rejoint un imaginaire cinématographique au sens des films de Coppola ou de Scorsese, des films politiques puisqu'ils parlent du pouvoir aux Etats-Unis.

Trump est-il dangereux ?

F. M. J'ai voulu montrer en quoi il l'était, sans tomber dans les idées reçues. Quand j'ai commencé à tourner, tout le monde pensait qu'il allait être "impeached", qu'il allait disparaître… Ce n'est pas arrivé et cela n'arrivera pas. Je pense que la seule chose qui risquerait de le faire tomber pourrait être d'ordre sexuel. Le reste, comme l'implication des Russes dans sa campagne, se terminera en eau de boudin, il est beaucoup trop habile… Il poursuit un seul objectif, la conquête du pouvoir ou plutôt de la puissance. Son inépuisable énergie se concentre même sur ce désir de puissance.

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Il a une absence totale d'éthique comme l'a confirmé James Comey, le chef du FBI récemment limogé. Tout, chez lui, est affaire de coups et de bagarre, comme le lui a enseigné son père.

Ce père terrible, vous l'évoquez, tout comme ses débuts dans les affaires immobilières…

Son père était une crapule qui n'a finalement pas aussi bien réussi que lui. Un plouc du Queens qui refusait de louer ses appartements aux Noirs et cherchait tous les moyens de frauder. Puisque Trump affirme diriger le pays comme il dirige ses affaires, il était nécessaire de revenir à la période d'avant et de décrire son ascension, avec son côté "Arturo Ui". Dans la jungle des promoteurs immobiliers, il s'est formé tout seul.

Donald Trump, à New York, dans la Trump Tower, en janvier 1989. (Ted Thai/The LIFE Picture Collection/Getty Images)

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Qu'est-ce qui, au fond, vous frappe le plus chez lui ?

Sa complexité. Certaines choses sont enracinées en lui. Comme ce désir de revanche sur une enfance "dégueulasse". Il peut se montrer aimable, et même susciter une certaine indulgence. Jusqu'à la quarantaine, il apparaît comme un bel homme qui sait être courtois. Mais il a une faille, celle de l'immaturité affective. Il ne s'agit pas de pleurer sur le sort de Donald Trump mais d'éclairer l'être humain. C'est un homme, pas un fantasme. Se mesurer à un fantasme ne fait que le renforcer.

C'est un homme assez solitaire…

On dit de lui qu'il ne lit pas, ne sort pas et passe son temps à regarder la télévision ou sur Twitter. Les gens qui l'entourent ont peu d'importance, il s'en débarrasse pour un oui ou pour un non. Depuis quelques mois, pourtant, il s'est entouré de réactionnaires brillants comme Mike Pompeo ou John Bolton qu'il ne pourra pas virer aussi facilement que Steve Bannon, son ex-éminence grise.

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John Bolton, Mike Pompeo, Gina Haspel : les trois affreux qui conseillent Donald Trump

Roy Cohn est la seule personnalité sur laquelle il s'est reposé pour affronter tous les procès qui ont émaillé sa carrière. Un avocat, un "tueur" qui a envoyé les Rosenberg sur la chaise électrique. Homosexuel, vrai héros des années Warhol et du Studio 54, mort du sida, Cohn était amoureux de Trump, c'est une évidence.

Parmi les milliardaires de Manhattan, il détonne…

C'est un prolo milliardaire, une définition qui explique son populisme. Les super-riches de Manhattan le détestent mais votent pour lui parce que ça les arrange. Trump les déteste encore plus. Il y a entre eux un problème de classe. D'ailleurs, il n'a jamais épousé une de ces femmes à milliardaires, ces blondes à vison, spécialistes de la pension alimentaire… Mais deux femmes de l'Est puis une starlette très jolie mais assez "limite".

Pourquoi l'Amérique profonde a-t-elle voté pour lui ? Il a passé des années de sa vie sur ses chantiers à côtoyer des travailleurs des différents corps de métier. Des prolos à la limite de la petite bourgeoisie, une partie de ses électeurs…

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Comment faire pour ne pas se limiter à sa facette grotesque ?

Avec lui, on court toujours le risque de buter sur le pittoresque et de céder à la tentation de la rigolade. J'ai essayé de ne pas tomber dans ce travers. Mais je crois beaucoup à ce que j'évoque à la fin du film, c'est-à-dire au "syndrome du Joker". J'ai été très frappé par le succès des trois films sur Batman aux Etats-Unis avec ce personnage maléfique joué entre autres par Nicholson. Les années du succès de "The Apprentice", son émission de télé-réalité dans laquelle il jouait le patron qui virait les candidats au cri de "You're fired !" , coïncident avec le succès du Joker. Or qui regardait "The Apprentice" ? Surtout des adolescents qui ont maintenant l'âge de voter. Ils ont été nourris à ce programme et au Joker, le méchant qui fait rire… La presse américaine qui suivait les débuts de la campagne de Trump a énormément joué cette carte du Joker, en disant : "Ce n'est pas possible…" Et puis Trump a été élu.

On ne l'a pas assez pris au sérieux ?

Il n'a jamais fait de politique, il a financé les Républicains comme les Démocrates. Il était copain avec les Clinton qui l'ont regardé avec condescendance. Les médias ont traité sa candidature comme celle de Coluche. Personne n'y croyait, sauf Larry King. La manière dont il s'est débarrassé des candidats républicains à la primaire, les uns après les autres, est significative. La menace est la même chez nous. J'ai très peur de ce qui va advenir, et en particulier de quelqu'un comme Laurent Wauquiez. Si Macron échoue, que se passera-t-il ? Il est en train de lui arriver ce qui est arrivé à Louis-Philippe, type intelligent plutôt bienveillant au départ, qui a glissé dans un isolement progressif. Un jour, ces hommes-là tombent et on ne sait pas ce qui vient derrière.

Aux Etats-Unis, beaucoup de gens de gauche m'ont dit : "Trump, c'est un cauchemar mais il a soulevé des 'valid questions'", celles qui touchent les 40% d'Américains très loin de l'élite. C'est en soulevant ces questions, souvent mises sous le tapis par la gauche française, qu'on évitera la tentation Wauquiez. On dit qu'il ne fait que 5 % mais Trump aussi a commencé à 5 %…

Propos recueillis par Anne Sogno

 

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Lundi 8 octobre, à 21 heures, sur France 3. "Trump, le parrain de Manhattan", documentaire de Frédéric Mitterrand, 1h44 (2018).

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