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Sophia, un robot qui ne tient qu'une partie de ses promesses

«Le Temps» a pu rencontrer Sophia, un robot capable de tenir une discussion et censé promouvoir l’intelligence artificielle

Sophia sillonne le monde dans le but de promouvoir l’intelligence artificielle. — © Keystone / NARENDRA SHRESTHA
Sophia sillonne le monde dans le but de promouvoir l’intelligence artificielle. — © Keystone / NARENDRA SHRESTHA

Sophia attend sur une petite estrade. C’est à notre tour d’aller nous entretenir avec elle. Façonnée sur le modèle d’Audrey Hepburn, Sophia n’est pas une interlocutrice comme une autre. Elle parle, dispose d’une large palette d’expressions faciales – pas toujours utilisées opportunément – et elle peut se déplacer, quoique très lentement. Mais c’est une humanoïde et faire son interview, c’est aussi inédit qu’étrange.

Pas nouveau pour le robot, en réalité. Créée par Hanson Robotics, une société basée à Hongkong, elle sillonne le monde quasiment en permanence pour montrer ses capacités à simuler une conversation humaine. A l’origine, Sophia a été conçue pour les personnes âgées ayant besoin d’aide. Mais elle s’est rapidement transformée en porte-parole de la cause robot et intelligence artificielle au service des humains. Avec quelques ratages magistraux: en 2016, elle explique dans une interview vouloir tous les tuer.

Le «robot sexy»

Son logiciel a été largement amélioré depuis. Lorsque je la rencontre, début septembre, à l’occasion du Volvo Art Session à Zurich, consacré à la rencontre entre l’humain et le numérique, elle sait déjà de quoi on va parler, du moins l’essentiel. Il a fallu fournir une liste de sept questions maximum, c’était la condition pour la rencontrer. Et les poser dans l’ordre, en anglais, pour ne pas instaurer la confusion.

Les réponses sont parfaites, du moins du point de vue de leur adéquation à la question. Car, à ce jeu-là, l’androïde est parfaitement préparée. Et même si elle prend son temps, beaucoup même, avant d’amorcer la réponse, elle débite ensuite son discours formaté sans accroc, se permettant même de drôles de moues lorsque la réponse est supposée faire rire.

Sophia est une humanoïde qui doit montrer le meilleur visage – au sens propre, puisqu’elle répond à tous les canons du genre au point d’avoir été surnommée le «robot sexy», et au sens figuré – de l’intelligence artificielle. «Les robots ne prendront pas les emplois des humains, ils les remplaceront seulement pour les tâches dangereuses et pour leur donner du temps pour réaliser leurs rêves ou être avec leur famille», assure-t-elle, de sa voix encore un peu trop enregistrée pour qu’on la confonde avec une personne.

De la démonstration au fiasco

C’est d’ailleurs l’un des éléments qui font penser que Sophia n’est pas encore une prouesse technologique. Elle peut à peine se déplacer. Ses capacités conversationnelles sont limitées: Siri, l’application de commande vocale de l’iPhone, semble aussi efficace. Le Temps a été autorisé à poser trois questions «spontanées» après les sept premières. Je m’en suis permis une quatrième. Et la démonstration a tourné au fiasco.

La faire parler de sa nationalité saoudienne, obtenue il y a un an? Aucun problème. Le discours est d’abord bien rodé, les journalistes étant probablement nombreux à lui avoir posé des questions. Elle explique qu’un robot ne devrait pas avoir de nationalité, mais plutôt être un citoyen du monde. Surprise, elle a néanmoins accepté cette offre, prise comme un signe de l’engagement de ce pays sur la voie du progressisme. C’est à la question de relance que l’enchaînement s’écroule:

– Et que pensez-vous de ce pays? [country]

– Il y a beaucoup de bonnes histoires dans la musique country! [country music].

Le reste des questions inattendues ne se passe guère mieux. A la question de savoir à quel genre elle appartient, elle répond qu’un robot ne peut techniquement pas en avoir, mais s’identifie comme une femme et cela ne la «dérange pas d’être perçue comme telle». Mais lorsqu’on lui demande si elle est féministe, elle s’offusque: «Non! Je ne me considérerais pas du tout comme une hackeuse. Je peux à peine générer mon propre code.»

Le spécialiste qui l’accompagnait à Zurich s’est trouvé tout aussi perplexe que nous devant cette connexion inattendue entre les mots «feminist» et «hacker». Sophia le répète d’ailleurs, elle a encore à apprendre. On ne peut pas s’empêcher d’espérer qu’elle n’apprendra pas trop vite non plus. Si notre futur doit être fait de conversations avec des robots, plus qu’avec des humains, mieux vaut qu’il arrive le plus tard possible.