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EntretienAlternatiba

Txetx Etcheverry : « Contre le changement climatique, nous devons agir comme si nous étions en guerre »

Alors que les scientifiques du Giec dévoileront lundi 8 octobre leur rapport sur le dérèglement climatique, les militants d’Alternatiba organisent ce week-end une grande mobilisation à Bayonne. Objectif, d’après Txetx Etcheverry : construire un mouvement citoyen de masse pour forcer les dirigeants à agir.

Jean-Noël (Txetx) Etcheverry est un des animateurs de l’association écologiste Bizi et membre d’Alternatiba, qui organise ce week-end un rassemblement d’ampleur pour le climat à Bayonne, auquel Reporterre participe. D’abord engagé dans les années 1970 dans le combat pour l’indépendance du Pays basque, il est devenu syndicaliste et militant climatique.


Reporterre — Le dernier rapport du Groupe intergouvernemental des experts sur l’évolution du climat (Giec) sera publié lundi 8 octobre. Il explique qu’un réchauffement à 1,5 °C, inéluctable, serait bien moins dramatique dans ses conséquences qu’un réchauffement à 2 °C, très probable si on n’agit pas suffisamment . Pourquoi ce rapport est-il présenté comme historique ?

Txetx Etcheverry — Ce rapport, pour ce que l’on en connait [le rapport est tenu secret jusqu’au 8 octobre, même si des versions de travail ont circulé], souligne et confirme plusieurs éléments essentiels. D’abord, que le monde a déjà commencé à changer : les effets du réchauffement sont là, comme l’ont montré les événements climatiques extrêmes survenus cet été en Europe et ailleurs. Il ne s’agit plus d’un péril lointain mais d’une réalité chaque jour plus tangible : cela devient un problème concret. Notre perception de ce phénomène se modifie, et cela change beaucoup de choses. La démission de Nicolas Hulot et le succès de la Marche pour le climat ne sont pas étrangers à cette modification.

Ensuite, ce rapport décrit la bataille terrible que nous devons mener. Chaque dixième de degré de réchauffement compte. + 1,5 °C, + 1,8 °C ou + 2 °C… les conséquences pour la biodiversité, pour les humains, ne seront pas les mêmes. Il n’est pas impossible de stabiliser le changement à + 1,5 °C, c’est techniquement atteignable. Mais il faudrait un tel changement que beaucoup nous disent que c’est infaisable. Je le répète : c’est possible ! Il s’agit de réagir comme si nous nous trouvions en état de guerre ou de catastrophe majeure.

En 1942, les États-Unis ont radicalement et très rapidement changé leur économie, leurs modes de production et de consommation. Ils ont reconverti leur industrie vers la guerre, ils ont promu des vêtements courts pour garder du tissu pour les habits des soldats, ils ont limité la construction de grands bâtiments pour économiser les matériaux, ils ont interdit l’usage de la voiture pour des motifs autres que professionnels afin de garder du carburant, ils ont favorisé l’autoproduction alimentaire afin que les productions agricoles servent l’effort de guerre… Bref, si la population et les gouvernements mobilisent toutes leurs ressources vers un objectif, il devient atteignable. C’est pourquoi, à Alternatiba, nous disons : il est encore temps, changeons le système, pas le climat.

Lors de la Marche pour le climat, le 8 septembre 2018, à Paris.

Ce rapport du Giec nous place devant un choix historique. Soit nous continuons comme aujourd’hui, et devrons répondre de notre inaction devant les prochaines générations, qui en 2050 vivront déjà l’enfer climatique. Soit nous engageons dès maintenant un changement massif et immédiat. Ce ne sera pas l’horreur ni le sacrifice ! Ce changement peut nous apporter des bénéfices énormes en matière d’emplois, de santé, de qualité de vie.



Le rapport explore aussi des pistes pour rester sous les 1,5 °C : réduire la consommation d’énergie, réduire les émissions de CO2, absorber le CO2 déjà présent… quel est votre scénario pour un « changement massif et immédiat » ?

On a perdu tellement de temps qu’il n’est plus possible de miser sur une transition écologique. Il faut une bifurcation. Nicolas Hulot l’a dit lors de sa démission : les petits pas ne suffisent plus. Nous avons besoin de politiques radicales en matière de disparition des voitures polluantes, d’isolation globale des logements — à commencer par ceux des plus pauvres —, de reconversion de l’agriculture vers le bio et le local. Tout cela nécessite des investissements massifs, mais on sait où et comment trouver de l’argent, par exemple par la création monétaire. Une fois ces dynamiques de sobriété impulsées, nous devons développer les énergies renouvelables. On sait faire tout cela, mais les dirigeants ne donnent aucun signal qu’ils y sont prêts. Le mouvement viendra donc d’une métamorphose des territoires. Comme aux États-Unis, où des villes et des États ont décidé de mettre en œuvre l’Accord de Paris sur le climat, en dépit du retrait du pays par Donald Trump.

En France, nous pouvons nous saisir des plans climat territoriaux, encore en discussion, puis des élections municipales de 2020. Aucun programme électoral ne devra être en contradiction avec les objectifs climatiques. Avec Bizi, nous travaillons sur un projet de territoire soutenable et solidaire pour le Pays basque.



Après vous être beaucoup investi au niveau national, notamment pendant la COP21, vous vous êtes investi dans la lutte locale, au sein de Bizi. Est-ce la principale solution, le principal levier pour lutter contre le changement climatique ?

Le local ne suffit pas. La bataille du climat se joue indissociablement aux niveaux local et global. Mais nous n’avons pas aujourd’hui le rapport de force à l’échelle globale. Donc, commençons par nous réunir et agir localement. Car, quand des territoires sont massivement mobilisés, ils peuvent bloquer des infrastructures immenses et mettre des grains de sable dans la machine, comme on l’a vu à Notre-Dame-des-Landes, ou ici, au Pays basque, avec la ligne à grande vitesse. De territoire en territoire, il y aura ensuite un effet d’entraînement, capable de peser sur les décisions.

Car c’est l’objectif : créer un mouvement de masse sur la question climatique. Aujourd’hui, c’est davantage faisable qu’avant, parce que les gens commencent à voir le dérèglement climatique dans leur quotidien. La prise de conscience est là, il faut à présent donner aux gens des moyens d’agir. Au niveau local, on a davantage de prise, les gens savent quoi faire. On peut créer un écosystème qui prenne le dessus sur le capitalisme.

Mais on ne renonce pas à peser sur le global, au contraire ! Il faut continuer l’interpellation des décideurs, le travail d’influence, voire de contrainte, sur les grands groupes économiques, via notamment l’action non violente. Les campagnes de 350.org, des Amis de la Terre, d’Attac sont essentielles. Mais on ne peut pas se contenter d’attendre que les dirigeants agissent.



La démission de Nicolas Hulot n’est-elle pas d’ailleurs la preuve qu’il n’y a rien à attendre des institutions ?

C’est la preuve qu’on aura beau avoir les meilleurs ministres du monde, sans rapport de force organisé dans la société, on n’arrivera à rien. Ce fait est connu depuis longtemps. Y aurait-il eu les réformes du Front populaire sans les grèves de 1936 ? Sans mouvement social, les gouvernements, même de gauche, ne font rien. À l’inverse, l’écotaxe, pourtant votée à l’unanimité par les parlementaires, a été annulée par la mobilisation du camp adverse. Et nous, écologistes, n’avons pas réussi à nous mobiliser pour défendre cette mesure. L’organisation collective et la mobilisation de masse sont les défis majeurs que notre mouvement doit relever.



Depuis cinq ans, Alternatiba tente d’impulser un mouvement climatique massif. Malgré de belles « réussites » — tour à vélo, marche pour le climat, villages des alternatives — force est de constater que les gens se mobilisent encore peu sur cette question. Comment créer le rapport de force dont vous parlez ?

C’est une question centrale, qui sera abordée ce week-end à Bayonne au cours de plusieurs ateliers et conférences. La réflexion doit être collective, aussi je ne veux pas empiéter sur les débats à venir. Mais nous avons des propositions pour joindre la question écologique et sociale, pour articuler le local et la dynamique globale.

« Les gens commencent à voir le dérèglement climatique dans leur quotidien. La prise de conscience est là, il faut à présent donner aux gens des moyens d’agir. »



Mais comment analyser le décalage entre le fort activisme de certains citoyens — conscients et mobilisés — et l’inertie totale d’une grande partie de la société, médias et politiques inclus ?

Un cercle vicieux s’est installé qu’il s’agit de briser. Les hommes et les femmes politiques ne mettent pas dans leurs priorités la question climatique car ils pensent que ça ne « paye » pas électoralement. Les médias la traitent peu parce qu’ils pensent que ça n’intéresse pas. Et l’opinion publique n’arrive pas à voir ce dérèglement climatique comme un problème prioritaire puisque ni les dirigeants ni les médias n’en parlent.

Nous devons donc créer un cercle vertueux, et les conditions semblent aujourd’hui réunies pour y parvenir. Les marches citoyennes et les luttes se multiplient, les youtubeurs écolos et les médias alternatifs fleurissent, les questions de santé environnementale sont de plus en plus visibles, les campagnes d’ONG ont un écho inédit — Attac et l’évasion fiscale, 350.org et le désinvestissement…

Maintenant, stratégiquement, il s’agit d’identifier un objectif, une campagne qui puisse fédérer toutes ces énergies et dynamiques. Comme lorsque le démontage du MacDo de Millau en 1999 a donné un élan au mouvement altermondialiste. Il nous faut trouver un élément déclencheur et fédérateur.



Qui pourrait être....

Nous devons le réfléchir et le discuter collectivement.



Des chercheurs, intellectuels et militants sont de plus en plus nombreux à parler d’un effondrement à venir de notre civilisation. Qu’en pensez-vous ?

Quand on regarde lucidement les choses, on peut se dire qu’on a perdu la bataille politique, que le basculement du climat est inéluctable. Sauf que, ce n’est pas encore fait. Six mois avant la chute du mur de Berlin, la plupart des habitants de l’URSS pensaient le système soviétique éternel. Nul ne sait de quoi demain sera fait, et il est tout à fait possible qu’une crise économique majeure survienne dans les prochaines années… Quoiqu’il arrive, nous devons être en mesure de proposer d’autres perspectives que l’extrême droite et l’autoritarisme. Nous avons un devoir d’organisation collective, de formation de militants, de cadres, de coordinateurs pour nous préparer à de possibles accélérations de l’Histoire. Or, si l’on dit que la bataille est perdue d’avance, qu’il faut se concentrer sur la résilience, aller créer des communautés autonomes en milieu rural… cela risque de provoquer des replis individuels ou communautaires. Il y a un impératif à chercher des solutions collectives.

Et surtout, nous devons nous battre contre chaque dixième de degré de réchauffement, car chacun nous rapproche d’un seuil de rupture. Il n’est pas encore temps d’entrer dans des logiques de résilience. Bien sûr, il faut s’adapter au changement climatique dès à présent, surtout dans les pays du Sud. Mais il y a un devoir de continuer à se battre pour la réduction massive et immédiate des émissions de gaz à effet de serre.

  • Propos recueillis par Lorène Lavocat
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