Des centaines de millions d'autochtones victimes de discriminations dans le monde

Publicité

Des centaines de millions d'autochtones victimes de discriminations dans le monde

Par
Des autochtones victimes de dommages dans la forêt amazonienne en Equateur réclament réparations à Quito le 26 septembre 2018.
Des autochtones victimes de dommages dans la forêt amazonienne en Equateur réclament réparations à Quito le 26 septembre 2018.
© AFP - Rodriguo Buendia

Au moment où Los Angeles célèbre les peuples indigènes, l'ONU alarme sur la situation des peuples autochtones dans le monde. Ils sont des centaines de millions à souffrir d'inégalités. Racisme, expropriation de leurs terres et privation de leur liberté d'expression font partie de leur lot quotidien.

Pour la première fois, ce lundi 8 octobre, la municipalité de Los Angeles met à l'honneur les peuples indigènes plutôt que Christophe Colomb. Une volonté politique d'écarter celui qui est considéré à l'origine d'un génocide.

Un symbole fort après une table ronde des Nations unies à Genève en septembre sur les peuples autochtones et le développement durable. La Haut-Commissaire aux Nations unies aux droits de l'Homme, Kate Gilmore, y a souligné que 30 % des laissés pour compte dans le monde sont des autochtones. Bien qu'ils constituent 5% de la population mondiale, ils représentent 15% des plus pauvres au monde. 

Publicité

Ces inégalités sont vécues selon elle "au quotidien par les 370 millions de personnes issues des communautés autochtones dans quelques 70 pays". Or, la "mise en œuvre du droit au développement a été revitalisée par le Programme de développement durable à l’horizon 2030 pour honorer la promesse faite aux peuples de les sortir de la pauvreté et de la persécution", a souligné Kate Gilmore devant le Conseil des droits de l'Homme. La Haut-Commissaire fait remarquer que "l’Assemblée générale a reconnu que le développement sans ses bénéficiaires, les peuples, n’était pas le développement, mais seulement de l’économie". "De même, le développement qui remplit les poches des riches et oublie les plus vulnérables n’est pas le développement, mais de la corruption morale sinon légale", a-t-elle ajouté.   

Vols de terres et racisme 

Les peuples autochtones dits non contactés, c'est-à-dire qui n'ont pas de contact avec la société dominante, sont exclus des décisions qui concernent leur propre territoire. "Les peuples autochtones sont les plus vulnérables de la planète. Ils dépendent à 100 % de la terre pour vivre", explique Fiore Longo, chercheuse et directrice de l'association Survival International, qui se consacre exclusivement à la défense des droits des autochtones à travers le monde. "Ils habitent des endroits très riches en ressources. Au moment où leur terre est volée par des entreprises qui cherchent à faire du profit ou alors pour construire des parcs naturels, cela touche la part de leur identité", précise-t-elle. En effet, leur terre leur sert à se nourrir, mais elle représente également "la base de leur identité symbolique", où se déroulent les rituels religieux par exemple. "Lorsque celles-ci sont volées, tout leur mode de vie est détruit", souligne Fiore Longo. 

En août 2018, Antonio Guterres, le Secrétaire général des Nations unies, a souligné dans un discours à l'occasion de la Journée internationale des peuples autochtones, que "certains migrants sont déplacés ou relocalisés sans leur consentement libre, préalable, et éclairé". 

Les populations autochtones sont également victimes de racisme, rapporte l'association Survival International. Ce racisme sert à justifier, selon la directrice de l'organisation, "les vols des terres." En effet, les autochtones "sont considérés comme primitifs. Et parfois leurs terres sont volées au nom du développement. On estime qu'il faut les aider à se développer, alors que leur mode de vie est simplement différent et très riche", dénonce la directrice de Survival International. 

"Ils sont exactement comme nous. Leur mode de vie est contemporain. Simplement, leurs sociétés ne sont pas industrialisées. C'est pour cela qu'ils sont considérés comme primitifs", insiste-t-elle. "Les peuples autochtones changent, s'adaptent à la modernité. Ils sont des millions à utiliser la technologie, notamment pour défendre leur identité, leur mode de vie", poursuit-elle. "Ils sont nos contemporains. Ils sont une partie fondamentale de la diversité et de l'humanité. Ils habitent dans le monde d'aujourd'hui. Ils ne sont pas moins modernes que nous".  

50 min

Des violences au nom de la protection de l'environnement

Les autochtones sont souvent chassés de leur terre au nom de la protection de l'environnement. Une situation vécue par exemple par des centaines de Baka, peuples forestiers d'Afrique centrale. Ils seraient les plus vieux habitants d'Afrique selon les croyances populaires, implantés du Cameroun à la Centrafrique, en passant par le Gabon et le Congo. Des associations de la conservation de la nature "vont créer des parcs et les expulser sans leur consentement", s'insurge Fiore Longo. Pire, "au nom de la lutte contre les braconnages, des soi-disants éco-gardes qui protègent les parcs naturels, vont commettre des abus à leur encontre. Par exemple, ils vont taper les Baka, parce qu'ils chassent pour nourrir leurs familles", raconte la directrice de Survival International. "Un système de violence se met en place contre eux"

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

En Inde, les Chenchus vivant dans la réserve de tigres, dans l'Etat indien de Télangana, subissent la même situation. Ils sont menacés d'être expulsés de leurs terres, au nom de la protection des tigres. Le gouvernement indien estime que ces derniers ont besoin d'un espace vierge. Or, "depuis des générations, les Chenchus vivent avec les tigres", souligne Fiore Longo. "Ils les vénèrent. Ils considèrent que c'est un animal sacré. Donc, la protection de la nature est devenue une excuse, une justification en plus pour commettre des abus contre les peuples autochtones", dénonce-t-elle.  

Femme Chenchu du village de Pecheru. Village expulsé dans les années 1980. Seules 160 des 750 familles y auraient survécu après, selon les Chenchu
Femme Chenchu du village de Pecheru. Village expulsé dans les années 1980. Seules 160 des 750 familles y auraient survécu après, selon les Chenchu
- Survival International

Des peuples exclus de la démocratie 

Le rapport de l'ONU fait état de graves discriminations à l'encontre des autochtones."Malheureusement, le racisme est une chose caractéristique des rapports que les sociétés industrialisées ont envers les sociétés des peuples autochtones. " Par exemple, lors de la construction des parcs naturels, ils ne sont pas consultés. "Pourtant, leur savoir est fondamental. Ils ont vécu dans cet environnement pendant des générations. Ils connaissent la nature mieux que nous. Et personne ne va leur demander leur avis. Et ils ne vont avoir aucun pouvoir. C'est un type de discrimination", indique Fiore Longo. 

En Inde, par exemple, ils sont exclus du système de castes. Là encore, "personne ne va les consulter sur comment gérer leurs territoires", précise la chercheuse. 

De façon générale, ils ne sont pas consultés, sur leur éducation par exemple, en raison du racisme dont ils sont victimes. C'est très inégalitaire parce qu'on décide pour eux. On décide ce qu'est le développement, l'éducation, l'égalité, la gestion d'un territoire et la protection de l'environnement.                
Fiore Longo, directrice de Survival International

Or, selon la loi internationale et la déclaration des Nations unies sur les peuples autochtones, ces derniers ont le droit de donner leur consentement, ou non, sur tous les projets qui les concernent. Autre fait "dramatique", dans certains pays, comme ceux du bassin du Congo, ou en Inde, les peuples autochtones "se sont peu organisés par rapport à l'Amérique latine, parce qu'ils ont été beaucoup discriminés par le passé et qu'ils pensent que leur opinion ne compte pas", explique Fiore Longo. 

Or_, "la liberté d'expression et d'association sont la base de la démocratie. Eux, sont privés de ce droit là."_ Pourtant, les gouvernements mettent souvent en place des moyens pour les intégrer. Mais "ce sont toujours des modèles d'éducation et des visions du monde imposés", selon Fiore Longo. L'association lutte par exemple sur des cas de "scolarisations forcées". Des enfants sont "volés de leurs familles, sont emmenés dans des écoles totalement contraires à leurs modes de vie", alors que "ce sont aux familles de décider du modèle d'éducation qui leur semble meilleur". 

Le Magazine de la rédaction
57 min

Suicides, maladies et alcoolisme 

Le racisme dont sont victimes les autochtones et les expropriations de terres qu'ils subissent ont des conséquences dramatiques pour les autochtones. "On constate lors des processus de développements forcés, des suicides, des problèmes d'alcoolisme, de drogue, des maladies", rapporte Fiore Longo, "parce que les peuples autochtones sont dépossédés de leurs terres, et donc de leur identité"

Les Nukaks, peuple de Colombie, ont par exemple été insérés de force dans la société à la fin des années 80. "Ils ont été contraints de quitter leurs terres. Aujourd'hui, beaucoup d'entre eux ont des problèmes avec la drogue. La moitié de la population est morte de maladie. Une des inégalités dont ils sont victimes est l'inégalité d'accès aux soins", raconte Fiore Longo, qui souligne aussi des problèmes de prostitution. "Toute leur vision du monde et leur mode de vie viennent à manquer. Ils se sentent perdus." 

Or la situation des autochtones dans le monde "concerne toute l'humanité", souligne la directrice de Survival International, rappelant que 80 % de la biodiversité est présente dans les terres des autochtones. "C'est une urgence de l'humanité".