Des dizaines de salariés travaillant sur le site qui va accueillir les cérémonies d’ouverture et de clôture de la Coupe du Monde 2022 n’ont pas perçu de salaire pendant des mois. Forcés de travailler gratuitement, ils logeaient dans des conditions insalubres, sans avoir de quoi se nourrir et inquiets de ne pas pouvoir rentrer dans leur pays. À quatre ans de l’événement, le Qatar doit mettre les bouchées doubles pour ne plus être accusé de violer les droits des travailleurs.

"J’imagine comment ce sera durant la Coupe du monde… Des gens venus du monde entier pour acclamer, rire, visiter les stades magnifiques, les sites de loisirs et les hôtels ici… Est-ce qu’ils s’interrogeront sur ce qui s’est passé dans les coulisses de ces bâtiments ?" C’est pour que cette vérité éclate au grand jour qu’Ernesto n’a pas hésité à témoigner auprès de l’ONG Amnesty International.
En novembre 2015, il quitte Manille dans l’espoir de décrocher un travail bien rémunéré au Qatar afin d’envoyer de l’argent à sa famille et rembourser les dettes contractées pour payer l’agence de recrutement philippine. Il est embauché par Mercury Mena, une entreprise de construction qui opère au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il travaille notamment sur le chantier pharaonique de Lusail, la nouvelle  ville construite spécialement pour la Coupe du monde pour un coût de 45 milliards de dollars.
Prison à ciel ouvert 
Ernesto, lui, n’aura quasiment jamais vu la couleur de son argent. Pendant plusieurs mois, son salaire ne lui a pas été versé. Il a finalement pu rentrer chez lui, mais en étant plus endetté encore qu’à son arrivée. "De nombreux employés de Mercury Mena avaient fait d’énormes sacrifices et contracté des emprunts ruineux pour trouver un emploi au Qatar. Ils se sont retrouvés à travailler sans salaire pendant des mois, bloqués dans des logements sordides, inquiets quant aux moyens de se procurer leur prochain repas et quant à la possibilité de rentrer chez eux un jour, dans leurs familles", raconte Amnesty International dans un nouveau rapport publié le 26 septembre (1).
Comme Ernesto, des centaines de milliers de travailleurs ont rejoint la péninsule qatarienne. Ils sont aujourd’hui près de deux millions et représentent 90 % de la population. Originaires du Népal, d’Inde, ou du Bangladesh, ils se sont retrouvés dans une "prison à ciel ouvert", avec leurs passeports confisqués, sans permis de résidence, dans des logements insalubres et surpeuplés, sans pouvoir quitter le territoire.
Au cœur du problème, le système de parrainage instauré en 2009 au Qatar, appelé "kafala". Cette loi oblige les travailleurs étrangers à être "sponsorisés" par une entreprise locale, qui peut leur interdire de quitter le territoire ou de changer d’employeur. Face à l’ampleur de la polémique, le Qatar a annoncé début septembre qu’il supprimerait les visas de sortie pour ceux qui souhaitent quitter le royaume. Il y a un an, l’Émirat avait également annoncé la mise en place d’un revenu minimum.
Des pratiques intolérables
"C’est un premier pas important vers la réforme profonde du système de parrainage abusif que les autorités ont promise, a réagi Amnesty International. Mais le droit du travail au Qatar ne respecte toujours pas les normes internationales. C’est lent et le temps presse. L’organisation de la Coupe du Monde de football peut contribuer à transformer les conditions de travail et faire du Qatar un pays exemplaire dans la région." 
Face à ces nouvelles accusations, le ministère qatari du Travail a déclaré que Mercury Mena ne travaillait plus dans le pays et qu’une enquête était en cours avec de possibles conséquences juridiques. Les pratiques soulignées par Amnesty International "ne sont pas tolérées par l’État du Qatar", a ajouté le ministère. Reste à passer de la parole aux actes, quatre ans avant cet événement planétaire. Le compte à rebours a commencé.
Concepcion Alvarez, @conce1
(1) Voir le rapport ici.

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