Image de téléphone et de différentes applications de réseaux sociaux.

Le jeune Français se faisait passer pour une ado mannequin afin de sympathiser avec ses victimes.

afp.com/Kirill KUDRYAVTSEV

Sergio B. a deux passions dévorantes : les très jeunes filles et les réseaux sociaux. Cet homme de 27 ans, interpellé le 28 septembre par la Brigade de protection des mineurs de Paris (BPM), est un chasseur 2.0 qui traque ses proies sur la Toile. Des mineures, des enfants parfois, rencontrées via Facebook, qu'il contraint à se livrer, devant leur webcam ou leur téléphone portable, à des actes sexuels ou à des mises en scènes dégradantes. Pour le moment, soixante-sept victimes ont été identifiées. Soixante-six au Québec, âgées de 11 à 14 ans pour la plupart, et une en France. Mais l'enquête ne fait que commencer. Une information judiciaire a été confiée à un magistrat parisien.

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L'alerte est venue d'outre-Atlantique. Une Québécoise de 12 ans se confie à ses parents. Son père, informaticien chevronné, parvient à identifier le fournisseur d'accès Internet de l'homme qui harcèle sa fille : c'est une entreprise parisienne, spécialisée dans la prestation de services wifi aux résidences universitaires. Il s'adresse à la préfecture de police de Paris, qui confie l'affaire à la BPM.

Un pervers déguisée en mannequin de 14 ans

Depuis avril 2017, la Sûreté du Québec, la police provinciale, est sur les traces de ce prédateur au mode opératoire redoutable. Sergio approche ses petites victimes en se dissimulant derrière le faux profil Facebook d'une ado française de 14 ans, élève d'une école parisienne de mannequinat. Celle-ci commence par flatter sa nouvelle amie. Jolie comme elle est, pourquoi ne deviendrait-elle pas, elle aussi, top-model...? Avec quelques bons conseils, le rêve pourrait devenir réalité. Il faudrait qu'elle lui envoie des photos d'elle. Si possible, qu'elle pose en sous-vêtements. Ou mieux encore, qu'elle accepte de se déshabiller et d'adopter des poses aguicheuses.

La jeune internaute découvre alors que la cyber-copine si prodigue en encouragements n'existe pas. Son interlocuteur est un homme à l'accent français qui réclame, cette fois, des clichés ou des vidéos à caractère pornographique. Si elle résiste, il menace de diffuser sur le web les images compromettantes qu'elle lui a envoyées. Bref, de ruiner cette e-réputation à laquelle les ados tiennent tant - leur honneur numérique. Sergio ne s'arrête pas là. Il usurpe l'identité de sa victime pour entrer en contact avec ses amies sur Facebook. Et élargir par la même occasion son terrain de chasse. "C'est un pervers manipulateur qui ne supporte pas que ces très jeunes filles affichent leur bonheur sur les réseaux sociaux, analyse une source proche de l'enquête. Il prend plaisir à les avilir et à détruire leur innocence."

En s'attaquant de préférence à de petites Québécoises, le prédateur pensait tenir la police à distance. Raté. A Paris, le groupe Internet de la BPM travaille d'arrache-pied. En quinze jours, l'équipe parvient à localiser Sergio, qui vit dans une résidence universitaire de Bobigny (Seine-Saint-Denis), où il est arrêté le 28 septembre.

Qu'il vise des adultes, des ados ou des enfants, ce type de chantage en ligne porte le même nom : "sextorsion". Pour obtenir de l'argent ou des faveurs sexuelles, le cyber-harceleur menace sa proie de révéler des vidéos ou des photos intimes transmises par la victime ou volées en piratant son ordinateur, son téléphone ou sa webcam. L'arnaque n'est pas nouvelle. "De 2012 à 2014, nous avons été confrontés à de nombreuses escroqueries de ce type dont les auteurs se trouvaient en Côte d'Ivoire," raconte le commandant Lydie Saint-Louboue, qui dirige le groupe Internet de la BPM. On les appelait les "brouteurs": comme les moutons mâchonnant l'herbe sous leurs sabots, eux gagnaient de l'argent sans effort.

Le récidiviste aux 6000 victimes

En France comme ailleurs, le flot d'affaires ne tarit pas, même si les personnes piégées hésitent souvent à porter plainte. Selon la police espagnole, qui a sonné l'alarme en août dernier, une campagne massive de sextorsion fait actuellement des ravages en Europe. Le communiqué de la Policia Nacional décrit le scénario des délinquants : "Ils affirment détenir des images ou des vidéos personnelles intimes obtenues à travers la webcam de de l'ordinateur quand l'usager visitait des sites pornographiques et, pour éviter leur diffusion, exigent un paiement en bitcoins ou en diverses monnaies virtuelles dans un délai de 24 heures". En mars 2018, la gendarmerie royale du Maroc a arrêté vingt-trois hommes qui ciblaient les internautes italiens.

A Paris, les policiers de la Brigade des mineurs sont confrontés à de nombreux cas. Dont celui d'un récidiviste : l'homme qui a fait 6000 victimes en 2012-2013 est au coeur d'une nouvelle enquête. Hasard du calendrier, leurs collègues de la Brigade de protection de la famille du Rhône ont arrêté, la veille de l'interpellation de Sergio B., un homme de 35 ans, employé dans la restauration. Déjà condamné pour agressions sexuelles sur mineurs, ce Lyonnais créait de faux profils sur différents réseaux sociaux ou sites de rencontre afin d'entrer en contact avec des mineurs et de leur extorquer des photos d'eux dénudés. Il a reconnu avoir piégé une trentaine d'adolescents.

*Prénom d'emprunt

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