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Femmes, sciences et stéréotypes : "on m'a dit que le physique remplace la physique", témoigne une chercheuse

Seulement 28% des chercheurs sont des femmes, rappelait en 2018 la Fondation L'Oréal, qui avec l'Unesco récompense chaque année 30 lauréates scientifiques. Car le manque de femmes en sciences "a un réel impact sur la qualité de la recherche et de l'innovation".

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Lauréates.

Les lauréates du prix "For women in science" L'Oréal Unesco.

© L'Oréal Unesco

"Dès mon premier oral blanc de physique dans le supérieur, à tout juste 18 ans, on m'a dit que j'avais 2 points de plus que mes collègues masculins parce que 'le physique remplace la physique'", témoigne Delphine Geyer, actuellement doctorante en physique à l’École Normale Supérieure (ENS) de Lyon. Comme 29 autres femmes scientifiques sélectionnées parmi 900 candidates, elle a remporté cette année là le prix L’Oréal-Unesco 2018 "Pour les femmes et la science", une bourse de recherche d'un montant de 15.000 à 20.000 euros et officiellement remis lundi 8 octobre 2018 au Palais de la Découverte (Paris).

Seulement 28% des chercheurs sont des chercheuses

"Cette disparité a un réel impact sur la qualité de la recherche et de l'innovation", explique Alexandra Palt, directrice générale de la Fondation L'Oréal. Elle cite en exemple la prise en charge inadaptée des femmes pour les maladies cardiovasculaires, calquée uniquement sur des modèles masculins. Ainsi, la Fédération Française de Cardiologie (FFC) rappelle que les symptômes connus de l'infarctus (douleur dans la poitrine irradiant le bras gauche et la mâchoire) sont assez spécifiques des hommes. Près de la moitié des femmes ne ressentent pas ces symptômes lors d'un infarctus, mais plutôt des essoufflements, palpitations, fatigue et nausées. "Les femmes (…) arrivent dans les services d’urgence une heure plus tard que les hommes... Ce retard de diagnostic est grave puisqu’il peut conduire à un retard de prise en charge thérapeutique. C’est une véritable perte de chance" explique sur le site de la FFC sa présidente, le Pr Claire Mounier-Vehier. "Soutenir la place des femmes dans la recherche, c'est se donner toutes les chances d'une innovation scientifique bénéfique à tous", conclut Alexandra Palt.

"Les choses progressent trop lentement : 28% des chercheurs sont des femmes, et le plafond de verre perdure bel et bien", commente Alexandra Palt, évoquant les "89% de hautes fonctions académiques en Europe" occupées par des hommes. Un état de fait connu des Français, qui estiment que les sciences arrivent en seconde position (65%) - après la politique (75%) - des domaines perçus comme ceux où les femmes ont le plus de mal à accéder aux plus hautes fonctions, d'après un sondage OpinionWay de 2018.

Le poids des stéréotypes de genre

Le témoignage de Delphine Geyer est éclairant quant à un des nœuds du problème : les stéréotypes. C'est Claude Steele qui a décrit en premier ce qu'on appelle "la menace du stéréotype", effet direct des préjugés sur la performance d'un individu. Pour cela, il a réalisé une simple expérience mettant en jeu les mêmes compétences mathématiques au sein de deux groupes mixtes et de niveau équivalent. Lorsque le test était présenté comme supposé marquer une différence entre les sexes (préjugé sexiste), les femmes ont eu de moins bons résultats que leurs homologues masculins. Dans l'autre groupe, où le même test a été présenté comme supposé ne montrer aucune différence entre les sexes, les femmes et les hommes ont eu des résultats similaires. "La science est encore perçue comme une activité masculine, ce qui n'attire pas les jeunes filles, alors même que couvent, au lycée, certaines sont excellentes dans les matières scientifiques et réussissent même mieux que les garçons de leur promotion", témoigne Stéphanie Challita, une autre lauréate du prix L'Oréal-Unesco. Ainsi, 30% des Français attribuent d'abord la plus faible présence des femmes en sciences aux encouragements moindres qu’elles reçoivent à faire des eétudes scientifiques, selon le sondage OpinionWay.

L'importance d'une meilleure représentation des femmes dans les sciences

Depuis vingt ans, quand le prix L'Oréal-Unesco est né, la part des femmes dans la science a progressé d’environ 12%, souligne la Fondation L'Oréal, mais c'est encore insuffisant. Ainsi, seuls 3% des prix Nobel scientifiques ont été attribués à des femmes. Un chiffre considéré comme "révoltant" par 72% des Français... Tandis que 21% le considèrent "normal", d'après le sondage OpinionWay. Avec les 2 prix Nobel de 2018 reçus par Donna Strickland (physique) et Frances Arnold (chimie), le pourcentage monte… A 3,34%, nous apprend Alexandra Palt. Un taux encore très faible, alors que la représentation des femmes est un pas important pour attirer les talents féminins.

"Je suis la seule femme scientifique en France spécialisée dans mon domaine de recherche, la calculabilité", témoigne Sabrina Ouazzani, lauréate du prix 2018, "Les 'role models' sont essentiels pour que les jeunes filles puissent se projeter vers des carrières scientifiques et surmonter les périodes de doute". Pour Alexandra Palt, "Notre engagement (…) nous paraît plus que jamais décisif". Tout comme les 275 qui les ont précédées, les 30 lauréates 2018 vont bénéficier non seulement de la bourse de recherche, mais également d'un programme de formation complémentaire à leur parcours scientifique, afin d'avoir les moyens de briser ce fameux plafond de verre.

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