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Ruth Bader Ginsburg, icône féministe de la Cour Suprême et ennemie jurée de Donald Trump

Ruth Bader Ginsburg
Ruth Bader Ginsburg est la seconde femme de l'histoire à être entrée à la Cour suprême. L'Atelier Distribution

Juge dissidente de la Cour suprême, héroïne de la lutte féministe, ennemie jurée du président américain… Ruth Bader Ginsburg s'est éteinte, ce vendredi, à l’âge de 87 ans des suites d’un cancer du pancréas. Portrait d'une icône juridique et pop.

Son nom ne vous évoque probablement rien. Pourtant, de l'autre côté de l'Atlantique, les tee-shirts, mugs, faux ongles et autres tatouages à l'effigie de Ruth Bader Ginsburg sont devenus desbest-sellers. À 87 ans, la juge "dissidente" de la Cour suprême américaine, qui était devenue l'icône des progressistes, s'est éteinte vendredi 18 septembre des suites d'un cancer du pancréas dans sa maison de Washington. Deuxième femme de l'histoire des États-Unis à siéger au sein de la Cour suprême, elle y a défendu sans relâche l'égalité des sexes.

Le phénomène "Notorious RBG"

Ruth Bader Ginsburg
De gauche à droite : John Roberts, Anthony Kennedy, Ruth Bader Ginsburg, Stephen Breyer et Sonia Sotomayor à la Cour suprême. (Washington, le 12 janvier 2016.) Getty Images

Le phénomène Ruth Bader Ginsburg "décolle en 2013", alors qu'elle a 80 ans, raconte Betsy West, réalisatrice du documentaire RBG. Le 25 juin de cette année-là, la juge progressiste s'oppose fermement à une décision de la Cour suprême. L'objet de sa colère ? La Cour a voté la suppression d'une partie du Voting Rights Act – une loi qui assure le vote des minorités ethniques aux élections américaines. Cette décision revient à "jeter son parapluie pendant une averse, parce que l'on n'est pas mouillé", s'indigne "RBG", vent debout contre ses cinq collègues masculins. Du haut de son mètre cinquante-deux, Ruth Bader Ginsburg fait mouche. En cette saison 2012-2013, la juge s'oppose pas moins de cinq fois aux sentences de la Cour qu'elle a rejoint voilà vingt-cinq ans. Un record pour un membre de l'institution.

Mugs Ruth Bader Ginsburg
Le site Etsy propose des mugs à l'effigie de Ruth Bader Ginsburg. Capture d'écran Etsy

Après son coup d'éclat en 2013, Ankur Mandhania, une étudiante américaine, l'affuble sur Facebook du surnom qui ne la quittera plus : "Notorious RBG", en référence au rappeur Notorious B.I.G. Pour la jeune femme, l'humour se trouve dans le contraste entre les deux personnages : le chanteur est un homme corpulent, qui a grandi dans la rue et a trouvé la mort trop jeune. RBG est une petite femme, fine, qui a étudié à Harvard et ne quitterait son poste pour rien au monde. Qu'importe, l'Américaine a déjà conquis ses concitoyens.

"Elle ne sait pas ce qu'est un mème !"

Ruth Bader et Martin Ginsburg
Marty Ginsburg (à gauche) accompagne Ruth Bader Ginsburg à une cérémonie en l'honneur d'un nouvel associé de la Cour suprême. (Washington, le 12 août 2009.) Getty Images

La magistrate fascine le public américain par sa discrétion, son humilité et sa détermination farouche. Propulsée juge à la Cour suprême par Bill Clinton, en 1993, elle est la seconde femme – après Sandra Day O'Connor – à occuper ce poste prestigieux. Nommée à vie par le chef d'État, elle siège désormais au sommet du pouvoir judiciaire des États-Unis, qui statue sur les cas de dernier ressort. Dès lors, RBG impose son style au cœur de l'institution. Elle y fait installer les premières toilettes pour femmes. La juge pare également ses tenues de faux cols fantaisistes, mais emblématiques. Quand elle arbore son jabot doré, chacun sait qu'elle s'apprête à annoncer une décision majoritaire de la Cour suprême ; quand elle porte un col en forme de collier, elle marque son opposition au verdict de ladite Cour.

"RBG", la bande-annonce

Les réseaux sociaux s'emballent, les tee-shirts à son effigie s'arrachent, elle inspire même des sketchs du Saturday Night Live entre 2016 et 2018. "Ruth Bader Ginsburg a ceci de particulier qu'elle plaît aux gens de 15 ans, explique Zabou Breitman, voix off française du documentaire RBG. Elle répare, se bat, gagne du terrain sur tout." Si cette célébrité soudaine l'amuse beaucoup, RBG n'a jamais cédé au culte de la personnalité. "Ruth Bader Ginsburg n'a pas forgé sa notoriété, c'est juste arrivé ! s'enthousiasme la réalisatrice du film Betsy West. Ce n'est pas comme si la juge Ginsburg avait dit "allez, faites des mèmes de moi", je veux dire, elle ne sait même pas ce qu'est un mème !"

Les adieux et l'arène

Ruth Bader Ginsburg
Portrait de Ruth Bader Ginsburg, immortalisé en 1977. Getty Images

Rares sont ceux qui, en dépit des rires, connaissent la vie houleuse de RBG. Née le 15 mars 1933, dans le quartier de Brooklyn, à New York, Joan Ruth Bader grandit sans sa sœur aînée Marylin, décédée à l'âge de 6 ans. La fille cadette de Nathan et Célia Bader n'a alors que quatorze mois. L'éducation de Ruth est au centre des préoccupations de sa mère. RBG se souviendra à jamais du regard désapprobateur de cette dernière lorsqu'elle ramène sa première mauvaise note à la maison. Elle se promet que ce sera aussi la dernière.

Pari réussi. À la fin de ses années au lycée James Madison, la très sérieuse RBG a déjà obtenu la bourse de l'État de New York et son ticket d'entrée pour l'Université de Cornell. Mais la jeune femme n'assistera jamais à sa remise de diplôme. En juin 1950, sa mère, Célia, succombe à un cancer la veille de la cérémonie, raconte le livre Notorious RBG (1). La mère de Ruth a pourtant laissé un héritage à sa fille. Elle a secrètement économisé 8000 dollars pour financer ses études.

RBG découvre sa voie à l'université de Cornell. En cette période de "peur rouge", un enseignant est emprisonné pour avoir participé à un groupe d'échanges communiste. Ruth, admirative, observe "les avocats qui défendent les droits des personnes à penser, parler, écrire librement". Sa vocation est née.

50 ans de mariage

Ils étaient de vraies superstars dans leurs propres royaumes

Ruth évolue dans un campus où les femmes ne sont pas légion - et doivent sans arrêt "dissimuler leur intelligence". C'est pourtant là qu'elle rencontre l'homme de sa vie. Ruth a 17 ans et croise la route de Martin Ginsburg. Elle est aussi réservée que "Marty" est drôle et fêtard. Un mois après l'obtention de son diplôme, elle épouse le jeune homme et part vivre à Fort Still, en Oklahoma. Ensemble, ils décident de poursuivre leurs études de droit à Harvard. En 1956, Ruth Bader Ginsburg intègre une promotion qui dénombre 9 femmes seulement.

Du féminisme à la Cour suprême

En 1972, elle fonde le Women's Right Project, une association destinée à défendre les droits des femmes. Et pour cause : RBG a elle-même été victime de harcèlement : "Dans les années 1950, un professeur voulait échanger les résultats d'un test contre des faveurs sexuelles", raconte Betsy West.

Droit à l'avortement, congé maternité décrié… entre 1973 et 1976, la magistrate plaide pas moins de six cas de discrimination devant la Cour suprême – et dénombre cinq victoires. L'une d'entre elles entre dans l'histoire : celle de Weinberger vs Wiesenfeld. En 1975, Stephen Wiesenfeld est un homme au foyer, veuf et dépourvu d'aides sociales pour s'occuper de son fils, car celles-ci sont réservées aux mères de famille. Ruth utilise ce cas pour prouver que les hommes pâtissent eux aussi des discriminations de genre.

Cinq ans plus tard, le président Jimmy Carter nomme RBG à la Cour d'appel des États-Unis. Dans les années 1990, le mari de Ruth apprend que Bill Clinton s'apprête à nommer un nouveau juge à la Cour suprême. Il fait alors campagne, dans l'ombre, pour que Ruth hérite du poste. Elle sera nommée par le 42e président des États-Unis le 17 juin 1993.

Rien n'arrête la juge progressiste. Pas même un cancer du côlon, qu'elle affronte en 1999, tout en continuant à travailler. Son seul loisir ? L'opéra, une passion qu'elle cultive depuis des lustres. Dix ans plus tard, elle défend le droit à l'avortement dans une interview du New York Times . Elle déclare alors que "le gouvernement n'a pas à faire ce choix pour une femme". En 2010, elle intègre le classement des 100 femmes les plus influentes dans le monde du magazine Forbes.

En vidéo, la bande-annonce de "RBG"

"Il a vraiment un certain ego"

Six ans plus tard, l'irréprochable Ruth Bader Ginsburg commet l'impair ultime. Durant la campagne présidentielle de Donald Trump, elle omet son obligation de neutralité – "jusqu'à quel point cela lui a-t-il échappé ?", s'interroge Zabou Breitman. Dans une interview au New York Times , la juge démocrate se fend d'une déclaration sans équivoque : "Je ne peux pas imaginer ce que cet endroit serait – je ne peux pas imaginer ce que serait ce pays – avec Donald Trump pour président", clame-t-elle alors.

Donald Trump n'est pas cohérent. Il dit tout ce qui lui passe par la tête

Ruth Bader Ginsburg

Avant de poursuivre : "Il n'est pas cohérent. Il dit tout ce qui lui passe par la tête. Il a vraiment un certain ego." Ni une ni deux, le futur président appelle à la démission de la juge sur son compte Twitter, et RBG présente ses plus plates excuses. Mais ne se montre pas au discours sur l'état de l'Union en 2018. Et répète à qui veut l'entendre qu'elle restera à son poste cinq ans de plus – soit l'échéance du mandat de Donald Trump.

Plus qu'un bastion, Notorious RBG est devenue un modèle pour toute une génération de jeunes femmes – et de petites filles. "Ce qui est vraiment incroyable, c'est de voir des petites de 7 ou 8 ans s'habiller comme elle, s'émeut Betsy West. Leurs cheveux en arrière et leurs cols blancs, c'est si mignon." Et la réalisatrice de conclure : "En faisant ce documentaire, nous voulions montrer qu'une personne peut faire la différence : RBG est une personne extraordinaire." Une femme qui aura marqué l'histoire des États-Unis.

(1) Notorious RBG, the Life and Times of Ruth Bader Ginsburg, Irin Carmon et Shana Knizhnik, aux éditions Dey St.

*Cet article, initialement publié le 9 octobre 2018, a fait l'objet d'une mise à jour.

Ruth Bader Ginsburg, icône féministe de la Cour Suprême et ennemie jurée de Donald Trump

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174 commentaires
  • Le Magicien

    le

    Un article qui fait peur pour l'aveuglement de l'auteur. Une petite fille qui admirerait une femme politique serait une petite fille endoctrinée, ce qui n'est jamais bon pour la démocratie.

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