Fini le voile islamique, la kippa, le turban sikh ou la croix chrétienne apparente. À peine portée au pouvoir, lors des élections législatives du 1er octobre, la Coalition avenir Québec (CAQ, centre droit) s’est empressée de relancer le débat sur les signes religieux ostentatoires.

Lorsque la loi sera adoptée, la règle sera simple : les enseignants comme tous les employés de l’État en position d’autorité ne pourront plus afficher leurs croyances. Cela concerne particulièrement les juges, les policiers, les gardiens de prison, les présidents et vice-présidents de l’Assemblée nationale. Tout fonctionnaire récalcitrant se verra offrir des mesures d’accompagnement pour trouver un autre emploi dans la fonction publique.

Cette annonce choc a fait réagir l’ensemble du Québec. Il faut dire que ce qui n’était encore, il y a quelques jours, qu’une promesse électorale, rappelle la « Charte des valeurs québécoises », un projet de loi qui recommandait déjà l’interdiction du port de signes religieux pour les agents de l’État en situation de « coercition », soit les mêmes professions, à l’exception des enseignants. Un houleux débat avait embrasé le parlement en 2013 à son sujet, alors que le Parti québécois (indépendantiste) était au pouvoir.

Choix de société laïque ou opportunisme politique

Pour certains, la mesure préconisée par le parti qui vient de remporter la majorité illustre un choix de société laïque et elle n’est donc ni populiste ni intolérante. Pour d’autres, elle est plutôt le fait d’un opportunisme politique dans une société majoritairement favorable à une telle restriction.

Cette première mesure de la CAQ, rendue publique 48 heures après l’annonce des résultats du scrutin, dérange. D’autant que le nouveau parti au pouvoir a brandi la menace d’un recours à la clause dite « nonobstant » pour forcer son application.

Cette clause permet aux gouvernements provinciaux d’adopter une loi allant à l’encontre de la Charte des droits et libertés canadiennes, texte fédéral qui protège en théorie les droits de tous les citoyens du pays. Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, s’est invité dans le débat en invitant son nouvel homologue québécois, François Legault, à « beaucoup de réflexion » avant de prôner l’utilisation d’une telle clause dérogatoire.

Volonté du Québec de redéfinir son identité

Pour David Koussens, directeur du Centre d’études du religieux contemporain à l’Université de Skerbrooke, la question de la laïcité et les débats qu’elle soulève illustrent la volonté du Québec de redéfinir son identité. « Dans ce processus, de nombreuses craintes sont suscitées par une immigration importante et, à la faveur de celle-ci, par une visibilité accrue du religieux dans l’espace public. D’où l’idée d’une laïcisation de la société », explique-t-il.

Or les gouvernements successifs ont échoué à clarifier ce que devait être cette laïcité. « Nous nous retrouvons avec, d’un côté, un gouvernement canadien pour qui la neutralité doit être appréciée dans l’action et non dans l’apparence. Et pour qui un État qui aurait un a priori négatif sur le port de symboles religieux ne pourrait être considéré comme neutre, poursuitDavid Koussens. Et de l’autre, une société québécoise qui, pour se différencier du reste du Canada, veut s’inspirer de la laïcité à la française comme si elle était une valeur québécoise, ce qu’elle n’est pas. »

Depuis l’annonce de cette mesure, la CAQ semble néanmoins avoir légèrement atténué sa position. Elle accepterait ainsi de reconnaître d’éventuels droits acquis. Pour autant, son désir de présenter rapidement une « véritable loi sur la laïcité » demeure intact.