Marseille : Hella, sans emploi depuis son témoignage sur les Ehpad

Cette jeune maman de deux enfants se retrouve "sans emploi, sans salaire, sans pouvoir exercer le métier que j'aime."

Cette jeune maman de deux enfants se retrouve "sans emploi, sans salaire, sans pouvoir exercer le métier que j'aime."

Photo N.T.

Marseille

On ne lui a plus proposé de missions depuis son passage sur "Envoyé spécial"

S'il fallait le refaire, Hella Kherief signerait sans trembler. Devant la France entière, cette maman de 29 ans redirait tout de ce qu'elle a vécu dans des établissements privés d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), en exerçant le métier qu'elle a choisi par vocation : aide-soignante.

Le manque de matériel, de personnel, la nécessaire rapidité des toilettes, la solitude des résidants, la fatigue des soignants, le sentiment d'abandon, et celui de "se sentir si mal qu'on rentre chez soi le soir en pleurant". Hella le redirait, même si aujourd'hui, la jeune Marseillaise se dit "black-listée, sans emploi pour avoir osé parler à visage découvert".

Décembre 2016 : "Nous sommes quatre aides-soignantes employées par le groupe Korian, à témoigner sur nos conditions de travail, commence Hella. Le groupe porte plainte contre nous pour diffamation". Puis, Hella sollicite une protection supplémentaire par jour, pour "une résidante qui avait une infection urinaire. Pour sa dignité, il était indispensable de passer de trois à quatre protections. On me l'a refusée et j'ai été licenciée pour insubordination".

"Pour sa dignité, il fallait passer de trois à quatre protections par jour"

Hella reprend le travail en février 2017, avec des vacations un peu partout dans la ville et notamment dans un hôpital privé marseillais. Alors enceinte, la jeune femme s'arrête jusqu'en juin 2018. "Pendant tout ce temps, l'hôpital privé n'a pas cessé de me contacter pour savoir quand je pourrais reprendre. Ils étaient satisfaits de mon travail et moi-même, je me sentais très bien dans l'équipe. J'ai donc repris en juin et en août, j'étais toute heureuse de me voir proposer un CDI que j'ai signé le 30 août". C'est alors que la France entière s'émeut du témoignage, notamment d'Hella, dans le numéro d'Envoyé spécial du 20 septembre dernier, tourné dans l'été. "Le lendemain, je reçois un coup de fil de l'hôpital qui m'informe que le lundi, on ferait un point sur ma période d'essai. On me laisse travailler le week-end du 22-23 et le lundi matin, on m'informe que je suis licenciée alors même qu'il n'était pas du tout question de cet établissement dans le reportage".

L'après-midi même, une boîte d'interim sollicite Hella par message, "comme elle le fait quasiment tous les jours", pour quatre missions dans un établissement. Hella se présente et, à la réaction de la direction en voyant la jeune femme, celle-ci comprend que son visage a été reconnu dans l'émission. "La boîte d'interim me téléphone aussitôt pour me faire part de l'annulation des missions."

Depuis ce jour, Hella n'a plus été sollicitée. "Je me suis inscrite au chômage. Plus de boulot, plus de salaire et je n'exerce plus le métier que j'aime".

Hella a les larmes aux yeux et le silence se fait à la bourse du travail, où la CGT organisait une conférence de presse hier. "Il n'est pas acceptable que nombre de personnes âgées, après une vie de labeur, finissent leur vie dans l'indignité et/ou la maltraitance, introduit Dominique Chave, secrétaire général UFSP CGT, pour la fédération de la santé et de l'action sociale. Et si tous les Ehpads ne ressemblent pas à ceux filmés dans ces reportages, ils restent suffisamment nombreux pour ne pas ignorer cette question. On ne parle pas d'un cas isolé mais d'un problème structurel de la prise en charge de la personne âgée. Le vieillissement de la population était prévisible et les pouvoirs publics ne l'ont pas anticipé. Les gouvernements successifs ont cru bon de confier cette prise en charge à des groupes de santé commerciale, se déchargeant de leurs obligations morales et financières envers les personnes âgées. Ces grands groupes privés ont fait fortune et arrosent leurs actionnaires avec l'argent public."