Libé des historiennes

Médias : de 1881 aux fake news, l’obsession de la régulation

La mission en vue de créer un conseil de déontologie a été confiée par la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, à l’ancien patron de l’AFP, Emmanuel Hoog.
par Dominique Kalifa, professeur à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne
publié le 10 octobre 2018 à 19h56

Jean-Luc Mélenchon en rêvait, Françoise Nyssen l'a fait, ou presque. La ministre de la Culture a lancé mardi une série de consultations visant à créer un «conseil de déontologie de la presse». Et a confié à Emmanuel Hoog, ex-PDG de l'AFP, une mission en ce sens. Si rien ne permet encore d'imaginer quels seront les contours ou les pouvoirs de ce futur conseil, la ministre a cherché d'emblée à rassurer la profession en exprimant sa «conviction profonde : le premier rempart contre la désinformation et la manipulation de l'information reste les médias et les journalistes».

Qu'une telle annonce ait été faite lors des discussions en seconde lecture de la proposition de loi sur les fake news en dit long cependant sur la méfiance que les médias continuent de susciter. La palme revient sans doute au leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, qui avait réclamé en décembre la création d'un «tribunal» pour traquer «l'abus du pouvoir médiatique» et de poursuivre «les menteurs, les tricheurs, les enfumeurs», avant d'adoucir son propos en demandant «la création d'un conseil de déontologie du journalisme en France». Mais une telle instance, qui existe en Belgique et dans une bonne quarantaine d'Etats, faisait l'objet de réflexions depuis quelque temps déjà. En février 2014, le rapport Sirinelli («Autorégulation de l'information : comment incarner la déontologie ?») préconisait de conjuguer l'autorégulation professionnelle et l'intervention des pouvoirs publics. Mais faute de statuer sur l'équilibre à préserver entre ces deux pôles et sur la nature - consultative ou contraignante ? - de l'autorité, et faute de consensus dans la profession, on en était resté là.

Impunité

Et il y a fort à parier que le futur conseil rencontre les mêmes écueils. Car ce débat sur la «responsabilité» et «l’éthique professionnelle» des journalistes court en ce pays depuis l’instauration d’une presse de masse libre. La loi du 29 juillet 1881, on le sait, donna aux journaux français une pleine et absolue liberté. Ce que l’on sait moins est qu’on ne cesse, depuis, de considérer cette liberté comme «excessive» et de réclamer des mesures capables d’encadrer et de «moraliser» des journalistes tenus pour inconséquents et irresponsables. La liberté oui, l’impunité non ! Tel est le leitmotiv mille fois ressassé.

«Presse d’argent»

Chantage, diffamation, sensationnalisme, réclamisme… Quinze ans après l'instauration de la loi, une enquête orchestrée par Henry Bérenger, le directeur de laRevue bleue, publication républicaine bourgeoise, déplore que la presse ait abdiqué sa mission éducatrice pour devenir «la grande corruptrice des consciences modernes». Les plus critiques parlent de «renoncement», les plus lucides y voyaient une conséquence naturelle du dispositif médiatique moderne. Le mal, explique Maurice Talmeyr, chroniqueur judiciaire au Figaro, vient de ce que la presse est à la fois «une presse d'argent et une presse démocratique».

Sa clairvoyance n’empêche pas le retour périodique des projets de régulation. La création du SNJ en 1918 puis l’instauration en mars 1935 du statut de journaliste, semblent indiquer une voie. Mais le suicide de Roger Salengro, ministre de l’Intérieur, traîné dans la boue par la presse d’extrême droite en 1936, relance les critiques et pousse le Front populaire à proposer une réforme de la loi de 1881, sur la diffamation et les fausses nouvelles. Le Sénat l’enterre l’année suivante. On s’applique encore, à la Libération, à promouvoir une presse «digne» et responsable. On connaît la suite.

En 1913, le Congrès de la presse italienne estimait qu’il revenait aux journalistes de trouver «dans la conscience de leur propre responsabilité le critère régulateur». En régime démocratique, et tant qu’on ne commet ni crime ni délit, on n’a pas trouvé mieux.

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