Les visas dorés ouvrent les portes de l’UE aux criminels

epa0664643198 Copie d'un passeport britannique bleu (L) qui entrera en vigueur après le départ de la Grande-Bretagne de l'Union européenne, et le passeport britannique rouge actuel de l'UE (R) suite à une annonce du ministre britannique de l'Immigration Brandon Lewis le 22 décembre 2017. EPA-EFE/ANDY RAIN [EPA-EFE/ANDY RAIN]

Les pays qui octroient des passeports aux riches ouvrent les portes de l’UE à la criminalité et au blanchiment. Les ONG Transparency International et Global Witness s’insurgent contre le dispositif.

« Si vous avez beaucoup d’argent que vous avez acquis de manière douteuse, il est tout simplement raisonnable de vouloir trouver un nouveau chez-vous loin de vos victimes ». Pour Naomi Hirst, de l’ONG Global Witness, l’équation est simple.

« Les programmes de visas dorés vous offrent alors un refuge face aux autorités qui pourraient vouloir saisir vos actifs volés. Ils vous offrent aussi un moyen de voyager librement, sans éveiller de doutes », poursuit-elle.

La question a refait surface récemment, quand les autorités finlandaises ont perquisitionné une agence immobilière contrôlée par un homme d’affaires russe qui s’était offert la citoyenneté maltaise après des soupçons de blanchiment d’argent.

Autre exemple : la Hongrie a délivré des visas à la famille du chef des renseignements du Kremlin, malgré les sanctions européennes pesant sur lui.

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Les ONG anticorruption Transparency International et Global Witness se sont penchées sur les pratiques de quatre États membres qui vendent des passeports (Autriche, Bulgarie, Chypre et Malte) et 12 autres qui octroient la résidence aux investisseurs étrangers.

Des programmes d’échange de citoyenneté ou de résidence contre de l’investissement sont en cours dans 13 États membres : l’Autriche, Chypre, la Bulgarie, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Irlande, la Lettonie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni. En Hongrie, la pratique existait, mais a été interrompue .

La plupart des pays en question, à l’exception de la Bulgarie, de Chypre, de l’Irlande et du Royaume-Uni, font en outre partie de l’espace Schengen, qui permet la libre circulation dans l’UE.

Selon le rapport des deux ONG, les programmes de visas dorés ont octroyé plus de 6 000 nouvelles citoyennetés et environ 100 000 résidences en dix ans. L’origine de la fortune de la plupart des bénéficiaires de ces programmes est (pour le moins) douteuse.

Ce sont l’Espagne, la Hongrie, la Lettonie, le Portugal et le Royaume-Uni qui octroient le plus de visas aux investisseurs et à leur famille, suivis de la Grèce, de Chypre et de Malte.

Au total, ces programmes ont généré environ 25 milliards d’euros d’investissements directs étrangers, selon l’enquête des deux ONG. En termes de revenus annuels, ce sont l’Espagne (976 millions d’euros), Chypre (914 millions), le Portugal (670 millions) et le Royaume-Uni (498 millions) qui remportent la part du lion.

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Le prix des visas varie en fonction du pays. Un permis de résidence peut coûter 250 000 euros en Grèce ou en Lettonie, alors qu’un passeport se négocie 2 millions à Chypre et jusqu’à 10 millions en Autriche. Proportionnellement parlant, ce sont les petits pays qui en profitent le plus.

Trois pays sortent du lot dans le rapport des ONG : Chypre, qui a engrangé 4,8 milliards d’euros depuis 2013 en vendant plus de 3 000 passeports à des citoyens russes, ukrainiens et syriens douteux ; Malte, environ 718 millions d’euros levés depuis 2014 ; et le Portugal, où plus de 17 000 permis de résidence, qui peuvent se convertir en citoyenneté après six ans, ont rapporté 4 milliards depuis 2012.

L’UE joue avec le feu

Les États appliquent tous des critères différents pour l’octroi de ces visas, et les gouvernements ne se trouvent pas en possession de toutes les informations disponibles sur leurs bénéficiaires.

« Ces programmes génèrent un risque sérieux pour les États membres et pour l’UE dans son ensemble. Tout d’abord, ils permettent à des individus corrompus, criminels ou ayant un profil risqué d’entrer dans l’UE. Ensuite, cela crée aussi un risque de corruption au sein même des États », souligne Laura Brillaud, de Transparency International.

Le Portugal, par exemple, ne se penche pas sur l’origine des fonds des demandeurs de visas, mais vérifie si ceux-ci font l’objet d’enquêtes dans d’autres pays.

Pour Laura Brillaud, le manque d’homogénéité dans les conditions d’octroi des visas représente d’autres menaces: « Le risque ultime est la fragilisation de l’intégrité et de la sécurité de l’UE découlant de l’absence de gouvernance liée à ces programmes. »

« Les passeports et visas européens ne sont pas une marchandise. L’argent ne devrait pas être la condition de l’obtention d’une citoyenneté ou de droits de résidence dans l’UE », estime Sven Giegold, porte-parole des Verts au Parlement européen sur les sujets fiscaux.

« Il faut mettre en place une loi européenne pour contrer la vente de ces droits et renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent », continue-t-il. « La Commission doit mettre en place des normes minimales pour ces programmes et s’assurer que tous les gouvernements les respectent quand ils octroient des passeports et des visas à des investisseurs. »

Suite à des plaintes, la Commission a lancé une enquête sur le sujet et devrait publier un rapport le mois prochain.

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