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Vu de Vienne

En Autriche, la journée de travail de 12 heures passe mal

Des centaines de syndicalistes se sont mobilisés ce vendredi, notamment pour fustiger la nouvelle durée maximale du travail qui a brisé le consensus social et l'entente droite-extrême droite au gouvernement.
par Céline Béal, Correspondante à Vienne
publié le 12 octobre 2018 à 18h50

Métallos, techniciens, femmes de ménage… pendant douze heures, des centaines de syndicalistes de la centrale ÖGB ont crié leur mécontentement au pied du siège de la Fédération de l’industrie autrichienne, ce vendredi à Vienne. Venus de nombreux secteurs de l’économie autrichienne, ils se sont succédé au micro et aux sifflets pour se manifester au moment où les négociations salariales paritaires, branche par branche, viennent de commencer dans le pays.

Et cette scène est inhabituelle. En Autriche, employeurs et délégués du personnel se rencontrent habituellement plutôt autour d'une table. «Normalement, nous ne descendons pas tout de suite dans la rue», explique Evelyn Regner, eurodéputée social-démocrate et syndicaliste de longue date, «mais ce que le gouvernement fait actuellement, c'est une claque dans la figure. Ils détruisent le système autrichien du partenariat social».

La colère est palpable dans le pays. Depuis septembre, les patrons autrichiens peuvent demander à leur personnel de travailler jusqu’à 12 heures par jour, et 60 heures par semaine – contre 10 et 50 auparavant. Cet allongement de la durée maximale du travail résulte d’une loi de flexibilisation, avec laquelle le gouvernement du conservateur Sebastian Kurz, en coalition avec l’extrême droite du FPÖ depuis décembre, entend permettre aux entreprises de réagir plus rapidement en cas de besoin de main-d’œuvre. Problème : en juin, le gouvernement l’a décidée sans négociation préalable avec les représentants des travailleurs.

Volontariat et semonce

Pour que le texte soit équilibré, la notion de «volontariat» a tout de même été ajoutée à la dernière minute, à l'initiative des ministres du FPÖ. Les salariés peuvent donc théoriquement refuser la onzième ou la douzième heure supplémentaire. Mais des experts comme Franz Marhold, avocat, directeur de département à l'Université d'économie viennoise et habitué des négociations salariales côté patronal, ont pointé qu'«en droit du travail, le volontariat total n'existe pas».

Pourtant, le gouvernement a maintenu que les employés trouveraient, eux aussi, leur compte dans la nouvelle flexibilité puisque, par exemple, les heures supplémentaires pourraient être rattrapées en bloc. Cet argument n'a pas pris : le 30 juin, 80 000 personnes défilaient dans les rues de Vienne. La plus grande manifestation en dix mois de coalition droite-extrême droite. La mobilisation, bien plus importante que celle des défenseurs des réfugiés ou des droits de l'homme, a été vue comme un coup de semonce contre les dirigeants.

En cette rentrée, les syndicats ont repris leurs actions, mais la cote de popularité du chancelier Sebastian Kurz ne semble pas en souffrir. En revanche, la contestation sociale qui dure pourrait s'avérer problématique pour le parti du vice-chancelier, Heinz-Christian Strache. «En raison de leur catégorie socio-économique, les électeurs du FPÖ seront davantage concernés par la réforme que ceux des conservateurs», analyse Peter Filzmaier, politologue à l'université de Krems. Cela pourrait devenir un problème pour une formation dont le chef se vantait encore, le 1er mai, d'être à la tête du «nouveau parti des travailleurs».

Nervosité et «désinformation»

Preuve de la nervosité du pouvoir, le gouvernement avait décidé en juillet, le jour même du vote du texte, d'avancer subitement son application à septembre, alors qu'elle était prévue pour janvier 2019. Conservateurs et FPÖ ont justifié leur empressement en invoquant un débat public qui aurait été miné de «désinformation».

Non seulement cet empressement a compliqué la tâche des syndicats, qui prévoyaient un mouvement social de plus grande ampleur, mais surtout, comme le relève le politologue Peter Filzmaier, il a permis d'étouffer des débats internes aux partis. Ceux-ci avaient déjà commencé à s'envenimer. Au FPÖ, deux fonctionnaires régionaux ont démissionné cet été, en dénonçant la «politique antisociale» du gouvernement. Même du côté conservateur, le responsable tyrolien Erwin Zangerl a critiqué vertement son chancelier. Dans une interview au journal allemand Die Zeit, début juillet, il a reproché au pouvoir à Vienne des «traits de caractère dictatoriaux».

Comme les syndicats, certains conservateurs n’apprécient guère que l’exécutif ait court-circuité les partenaires sociaux lors de l’élaboration du texte. C’est une entorse à la tradition autrichienne de codécision, considérée par beaucoup comme garante de la paix sociale. Seulement voilà, quoique conservateur, Sebastian Kurz s’est fait élire en promettant un nouveau style.

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