Détention

La Chine reconnaît l'existence de camps de détention pour musulmans

Après avoir nié l'enfermement d'environ un million de citoyens du Xinjiang, les autorités cherchent à lui donner une base légale.
par Laurence Defranoux
publié le 13 octobre 2018 à 8h56
(mis à jour le 14 octobre 2018 à 15h37)

Durant des mois, Pékin a nié avec force l'existence des camps secrets de détention de musulmans au Xinjiang, malgré l'accumulation de preuves récoltées par des ONG et des médias étrangers. Mais cette semaine, le Parti communiste chinois a brusquement changé de discours et tenté de justifier l'enfermement d'environ un million de citoyens, majoritairement issus de l'ethnie ouïghoure, en proposant des amendements à la loi «anti-extrémisme». Ces nouveaux textes cherchent à donner un cadre légal à l'utilisation de «centres de formation professionnelle» pour «éduquer et transformer» les personnes influencées par une «idéologie extrémiste» et leur offrir des «opportunités d'emploi».

Quelle est la réalité de ces camps ?

Depuis le printemps 2017, le pouvoir chinois a développé l'internement à grande échelle de citoyens musulmans de la province du Turkestan oriental (ou Xinjiang). Selon de multiples témoignages et enquêtes, environ 10% de la population issue des minorités musulmanes de la région serait détenue dans des dizaines de centres de détention extrajudiciaires, visibles sur des images satellite. Sous prétexte de lutte antiterroriste, les autorités arrêtent arbitrairement des citoyens de tout âge. La plupart disparaissent sans donner de nouvelles, enfermés sans limite de durée dans des cellules surpeuplées, soumis à un endoctrinement politique intensif centré sur l'apprentissage par cœur des «pensées de Xi Jinping», le président chinois.

Sur quelle base se font ces arrestations ?

Toute marque de conviction religieuse, de respect de la tradition locale ou de liens avec l'étranger peut être considérée comme signe de «radicalisation» ou de «sympathie terroriste». Dans une région située à 3000 kilomètres de Pékin et soumise à un contrôle policier de type totalitaire, la liste des infractions qui sont susceptibles d'envoyer sans procès un habitant derrière les barreaux est kafkaïenne. Par exemple : ne pas boire d'alcool ou fumer, utiliser la messagerie Whatsapp, être jeune et porter une longue barbe ou un foulard, refuser de livrer ses données biométriques, participer à des funérailles traditionnelles, parler avec quelqu'un qui a voyagé à l'étranger, ne pas laisser un fonctionnaire dormir dans son lit, tenter de se suicider lors d'une garde à vue, appeler son enfant Medina ou Mohammed, posséder plusieurs couteaux, ne pas régler sa montre sur le fuseau horaire de Pékin, refuser d'écouter la radio d'Etat ou de dénoncer ses proches… La longue liste d'interdits vient de s'allonger avec une loi «anti-halal», votée lundi dernier. Selon l'AFP, qui reprend un article publié par la municipalité d'Urumqi, la capitale de la province, les cadres du Parti ont reçu l'ordre de poster sur les réseaux sociaux ce serment : «Je crois au marxisme-léninisme. Je lève l'étendard et combats jusqu'au bout la mode du halal, ferme dans ma croyance, et même jusqu'à la mort». Le Global Times, journal officiel du Parti, justifie ce texte par le fait que le halal favorise «l'enlisement dans l'extrémisme religieux».

Quelle est la justification de ces camps ?

Plusieurs attentats terroristes ont été commis ces dernières années par des commandos ouïghours, faisant une centaine de victimes, et des dizaines de Chinois musulmans avaient rejoint l'Etat islamique en Syrie. Mais la radicalisation reste vraisemblablement marginale, et la plupart des arrestations touchent des citoyens lambda, séparés brutalement de leurs enfants envoyés en orphelinat. Depuis quelques jours, plusieurs sources affirment qu'un déplacement massif de prisonniers est organisé par train et avion vers des prisons de provinces chinoises éloignées. Samedi, selon l'agence de presse officielle Xinhua, l'un des plus hauts dignitaires du Parti communiste, You Quan, en visite au Xinjiang, a défendu le processus de «sinisation» qui «promeut la solidarité ethnique et l'harmonie religieuse». Un processus qui vise, entre autres, à faire disparaître la langue locale, apparentée au turc et qui s'écrit en caractères arabes. 

Quelle est la réaction de la communauté internationale ?

Pendant de longs mois, les gouvernements et organisations internationales ont gardé le silence, notamment parce que la censure et l'intimidation des Ouïghours, qui s'opère jusqu'en France, empêchaient de vérifier les informations. En août, les Nations unies ont pour la première fois réclamé la fermeture des camps. Vendredi, des élus du Congrès américain ont rendu un long rapport sur la «répression sans précédent» de la minorité musulmane chinoise, qui, selon eux, pourrait «constituer un «crime contre l'humanité», et ont annoncé leur intention de nommer Ilham Tohti, un universitaire pacifiste ouïghour emprisonné à vie, pour le prix Nobel de la paix 2019. Depuis l'arrestation de ce dernier en 2014, les arrestations d'intellectuels et professeurs chinois musulmans se sont multipliées. Mercredi, l'Ecole des hautes études pratiques (EPHE) a dénoncé la condamnation à mort de son docteur honoris causa, le prestigieux géographe chinois d'origine ouïghoure Tiyip Taspholat, qui avait disparu en février 2016 à Pékin. Selon le président de l'EPHE, il est reproché à son homologue de l'université du Xinjiang de «nourrir un attachement secret pour sa culture».

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