Allemagne : pourquoi l'extrême droite est-elle plus forte à l'est ?

À la veille des élections en Bavière, Nicolas Offenstadt, spécialiste de la RDA, explique les raisons d'un mur politique qui sépare les deux Allemagne.

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L'extrême droite manifeste à Chemnitz, en ex-RDA. 

L'extrême droite manifeste à Chemnitz, en ex-RDA. 

© JAN WOITAS / dpa-Zentralbild / AFP

Temps de lecture : 6 min

Le gouvernement Merkel est en danger. Dimanche, la CSU risque de perdre, pour la première fois depuis des décennies, la majorité absolue lors des élections en Bavière, qui précèdent celles qui se tiendront dans deux semaines en Hesse. La faute en particulier à l'AfD (Alternative für Deutschland) qui est créditée de 15 % des intentions de vote et dont le discours violemment anti-Merkel et antisystème déborde sur leur droite les conservateurs de la CSU. L'historien Nicolas Offenstadt, qui a sillonné la RDA pour un ouvrage qui vient de paraître, Le Pays disparu (éditions Stock, voir Le Point n° 2404), analyse les raisons du succès de l'AfD, qui prospère majoritairement sur les terres de l'ex-Allemagne de l'Est.

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Le Point : Un habitant de la Saxe vit-il dans le même pays qu'un habitant de la Bavière  ? Autrement dit, est-ce qu'on sursingularise l'est de l'Allemagne  ?

Nicolas Offenstadt : On parle du Mur, qui est resté dans les têtes. Il est évident qu'économiquement une différence de salaire, estimée selon les branches de 15 à 30 %, continue à exister, le chômage reste plus fort à l'est. Si le terme d'« identité » au singulier est toujours d'usage délicat, il y a du moins le sentiment d'une histoire commune partagée par beaucoup des habitants de l'ex-RDA, qui pouvaient à l'époque avoir des désaccords. Mais on voit que l'électorat bavarois est sensible au discours ultra-protecteur de l'AfD.

Lire aussi Allemagne - Vingt-huit ans après la chute du Mur, les inégalités perdurent

L'AfD est devenue le premier parti aux élections de 2017. Y a-t-il une spécificité saxonne  ?

On évoque une tradition conservatrice saxonne qui a été renforcée par l'Histoire. La commémoration des martyrs des bombardements alliés de Dresde du 13 février 1945 est un moment de mobilisation de l'extrême droite locale. Certains voient une continuité historique singulière où la ville aurait d'abord été détruite par les Alliés en 1945, puis « envahie » par les Wessis en 1990 et aujourd'hui par les étrangers.

Comment expliquer que l'AfD obtienne des scores deux fois plus élevés dans l'ex-RDA – entre 20 et 25 % – que dans l'ancienne Allemagne de l'Ouest  ?

Il y a plusieurs explications, parfois contradictoires. La première impute la faute à l'ex-Allemagne de l'Est et à son manque de culture politique démocratique : avoir vécu sous un régime communiste aurait privé les habitants d'un apprentissage de la confrontation des opinions. Insensibles à la tolérance, ils se tourneraient vers des formes extrêmes et autoritaires de la représentation politique. Une manière de les infantiliser, au sens où l'ex-Allemagne de l'Ouest serait censée leur apporter et leur inculquer une démocratie idéale.

La mémoire différenciée du nazisme joue-t-elle aussi un rôle dans cet héritage politique  ?

On reproche aussi à l'ex-République démocratique de n'avoir pas connu le long processus qui s'est déroulé en RFA où l'on a assimilé le passé du IIIe Reich et pris en compte certaines responsabilités, étudié les comportements des populations. Ce type de travail de mémoire fut limité en RDA, qui, d'emblée et de facto, s'est construite sur l'antifascisme. Pour établir ce socle, le régime communiste a décrété que le pays dans son ensemble était antifasciste, qu'il incarnait la bonne Allemagne, contrairement à la RFA, comme en témoignait d'ailleurs l'expérience résistante des responsables communistes du SED. Mais comment concilier cette vision, qui consiste à dire que le SED a modelé les esprits, alors que justement l'antifascisme était enseigné et diffusé dans toute la RDA  ? Les élèves avaient droit eux aussi à des visites dans les anciens camps de concentration et devaient travailler les biographies des résistants au nazisme. N'auraient-ils rien retenu de cette éducation-là  ? Il y a bien là une contradiction.

« La chute démographique (...), une situation économique moins favorable, la désertification des services publics ont conforté le sentiment d'un abandon. »

On sait que le vote politique pour l'AfD, comme pour d'autres formes de populisme et de parti xénophobe, est souvent dicté par le ressentiment...

... qui est évidemment très fort dans l'ex-RDA. Le mobile devient ici plus convaincant. Une expression revient chez ces habitants: on les traite comme des citoyens de seconde zone. On a dévalué aussi leur passé, considéré comme nul et non avenu, ils n'ont pas d'histoire, sinon celle où on leur assigne la place de sujets passifs d'une dictature inefficace. Les carrières et retraites des plus engagés dans le régime ont été aussi limitées. Il y a donc une dimension « antisystème », ce qu'a pu et peut représenter aussi le parti de gauche, héritier du SED, Die Linke. L'AfD, qui ne s'appelle pas pour rien Alternative für Deutschland, apparaît alors comme en rupture. Ainsi, aux élections de 2017, elle a pris 400 000 électeurs à Die Linke.

Dévaluation symbolique, mais aussi dévaluation réelle sur le plan économique...

La chute démographique – 2 millions de personnes environ ont quitté un pays de 16millions d'habitants, parmi lesquelles beaucoup de femmes et de diplômés –, une situation économique moins favorable, la désertification des services publics ont conforté le sentiment d'un abandon, prégnant surtout chez les personnes âgées et les plus modestes. Cette marginalisation se retrouve dans les élites. Même sur le territoire de l'ex-RDA, ce sont des gens venus de l'ouest, des Wessis, qui dirigent les médias ou les instances politiques. Merkel est l'arbre qui cache la forêt de l'ouest.

Mais l'AfD et, sur sa droite, les néonazis du NPD se caractérisent par une violente xénophobie, dont les affrontements à Chemnitz ont encore récemment témoigné. Là encore, n'est-ce pas la trace d'un discours nationaliste mis en place sous la RDA  ?

Certes, l'ex-RDA n'était pas habituée à la présence d'étrangers : 1,2 % de la population était étrangère à la fin des années 80, et encore s'agissait-il de travailleurs venus des pays frères, Cuba, Mozambique, Vietnam, cantonnés dans des cités et des usines. Dans les villes, on les voyait peu. Pourtant, le discours officiel, internationaliste, était tout le contraire du racisme et n'était jamais dirigé contre les étrangers. Il faut en revenir à la réalité de gens très fragilisés, déclassés, qui sont passés d'un emploi assuré à des périodes de chômage ou qui sont allés de petit job en petit job. L'étranger qui arrive renforce ce sentiment de précarité. Il suffit de voir un groupe de 15 Syriens qui marchent dans les rues d'une ville dont le paysage est parfois ravagé...

Mais les violences contre les étrangers ont commencé bien avant l'accueil des migrants, dès le début des années 2000, avec le NPD et les sympathisants de Pegida qui refusent l'islamisation de l'Allemagne.

Rappelons d'abord les véritables pogroms du début des années 1990 à Hoyerswerda ou Rostock. L'abandon démographique et l'affaiblissement économique ont aussi permis un investissement territorial local par le NPD notamment, qui a racheté des morceaux de villages. Les maisons ne coûtaient rien. Ils ont appelé ces zones « befreite zone », des zones libérées, à partir desquelles ils cherchaient à exercer la terreur contre les étrangers.

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Commentaires (19)

  • L'Ivre Penseur

    Je ne suis pas tout a fait d'accord avec votre interprétation des chiffres.

    Prenez l'exemple de la France : les 2/3 des Francais sont favorables a un arret de l'immigration. Mais 1/3 seulement vote FN. Conclusion : les idées du peuple (un terme galvaudé, je vous l'accorde) ne se refletent pas necéssairement dans les résultats électoraux.

    Il faut etre intransigeant sur tout debordement raciste, mais, parallelement, il faut écouter les 15% de l'AFD, car ils traduisent un certain ras-le-bol d'un plus grand nombre, de la part de personnes qui ne sont pas des fascistes.

  • padua

    En juillet 1932, les nazis comptabilisait 37% des suffrages. En novembre 1932, soit 5 mois plus tard, il perdait 2 millions de voix et enregistraient 33% des suffrages... Hitler considéra ce résultat comme un grand échec. Après de longues tractations avec les conservateurs, il fut néanmoins élu chancelier en janvier 1933. Le peuple comme vous dites, autrement dit la classe ouvrière votait essentiellement SPD et communistes. Ensemble, ils ont enregistré 37. 3% des voix à ces mêmes élections, soit plus que les nazis. Hitler s'empressa de faire incendier le Reichstag un mois après sa prise de pouvoir, ce qui lui permis d'interdire le parti communiste et d'en chasser tous ses représentants au Parlement. La clientèle du parti nazi se recrutait pour l'essentiel parmi les petits commerçants, petites bourgeoise et indépendants. Votre définition du peuple est plutôt étriquée et à géométrie variable, suivant ce que vous voulez lui faire dire, ou prétendez qu'il dise ! Disons dans votre cas qu'il a bon dos.

  • padua

    Non seulement la Bavière était opposée à la séparation de l'Eglise et de l'Etat voulue par Bismarck en 1871, ce qui a conduit ce dernier à emprisonner plusieurs milliers d'ecclésiastiques réfractaires, mais elle a été aussi le berceau de nazisme contre la République de Weimar. Munich peut même s'enorgueillir d'avoir "accueilli" le putsch des nazis du 9 novembre 1923. Ces nazis étaient de fidèles clients de la brasserie "Bürgerbräukeller", haut lieu de pèlerinage des fidèles jusqu'en 1945... La Bavière avait tout simplement de l'avance sur Dresde et Chemnitz... Mais heureusement aujourd'hui, il y a les Verts allemands qui vont enregistrer des résultats records en Bavière. Ils défendent une économie libérale et n'ont rien à voir avec leurs homologues français.