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L’euthanasie va-t-elle à l’encontre de la culture palliative ?

«Nous essayons toujours de rechercher la posologie minimale efficace, celle qui permet le soulagement des symptômes et, si possible, de préserver la conscience du patient», expliquent les palliatologues du département du Nord. Fabrice Picard

TRIBUNE. Les médecins d’Unité et d’Équipe mobile de soins palliatifs du département du Nord témoignent de l’intentionnalité de leur mission, qui «n’est jamais d’abréger la vie mais de soulager les symptômes».

Tout commence par notre interrogation sur l’importance médiatique donnée à ceux qui défendent corps et âme la possibilité d’une dépénalisation (ou légalisation) de l’euthanasie. Révoltés par l’omniprésence d’un seul langage, qui fait appel à la projection et aux peurs, légitimes, que nous pouvons tous avoir quant à notre fin de vie, nous avons voulu faire part de notre témoignage de professionnels de santé habitués à l’accompagnement palliatif. C’est pour cela que TOUS les médecins d’Unité et d’Équipe mobile de soins palliatifs du département du Nord ont signé une déclaration stipulant, entre autres, que «l’euthanasie va à l’encontre de notre culture palliative.» Nous sommes des palliatologues, dont le métier consiste à soulager les symptômes d’inconfort et à faire «vivre le temps qu’il reste à vivre» aux patients et à leur famille, dans les meilleures conditions possible.

Mais c’est quoi, les soins palliatifs? Le docteur Thérèse Vanier, pionnière de notre spécialité dans les années 1970, les décrivait ainsi: «C’est tout ce qu’il reste à faire lorsqu’il n’y a plus rien à faire.» Dans l’imaginaire collectif, les soins palliatifs sont abusivement associés à la phase terminale de la maladie. En réalité, il n’existe aucune opposition entre soins curatifs (qui ont la visée de guérir) et soins palliatifs, mais au contraire une continuité, une complémentarité entre ces deux types de prise en charge.

« L’objectif est de ne pas maintenir de façon artificielle la vie, lorsque seul le confort du patient nous importe »

Les soins palliatifs sont présents dès le début de la maladie incurable, dès l’annonce du diagnostic (même si ceux-ci sont présentés autrement), et prennent une place croissante dans la démarche globale de soins, au fur et à mesure de l’évolution de la maladie, s’adaptant constamment à l’état du patient, à ses désirs, à ses besoins. L’objectif des soins palliatifs est d’obtenir un confort optimal pour des patients qui souffrent de pathologies graves évolutives et/ou terminales. Pour soulager les souffrances dites réfractaires, la loi Claeys-Leonetti de 2016 permet d’utiliser des thérapeutiques pouvant avoir un «double effet».

Le «double effet», c’est utiliser tous les moyens possibles pour soulager un symptôme même s’ils peuvent avoir comme effet secondaire d’abréger la vie (cet effet secondaire étant imprévisible et inconstant). Si nous décidons de prescrire des opioïdes (la morphine par exemple) ou des anxiolytiques, c’est qu’il existe des symptômes d’inconfort (douleurs, anxiété…). Ces thérapeutiques ne provoquent pas le décès, d’autant plus que nous essayons toujours de rechercher la posologie minimale efficace, celle qui permet le soulagement des symptômes et, si possible, de préserver la conscience du patient.

De même, il est possible, en situation palliative terminale et dans le cadre d’un refus d’obstination déraisonnable, que l’on décide après concertation collégiale d’arrêter une hydratation ou une alimentation artificielle afin de ne pas provoquer d’inconforts inutiles (encombrements, œdèmes locaux, risques de pneumopathies d’inhalation…).

L’objectif est de ne pas maintenir de façon artificielle la vie, lorsque seul le confort du patient nous importe. Les patients, dans ces situations, ne souffrent pas de faim ni de soif, ce sont des sensations qui disparaissent ou que nous savons apaiser.

« De par notre expérience, nous savons que l’accompagnement palliatif permet un travail de deuil, des échanges, des moments de joie et de partage, qui n’au­raient pas été possibles autrement »

En dernier recours, si nous n’avons pas réussi à soulager le patient par des moyens habituels, nous pouvons mettre en place une sédation pour que celui-ci ne soit plus conscient de la situation qui lui cause un inconfort… Cela reste exceptionnel. L’intentionnalité de nos soins n’est jamais d’abréger la vie mais de soulager les symptômes. Ce ne sont pas les thérapeutiques initiées ou arrêtées, mais l’évolution de la maladie sous-jacente qui cause le décès ; celui-ci étant inéluctable à plus ou moins court terme. Puisque son intention est d’entraîner, de façon directe et intentionnelle, la mort d’un patient, l’euthanasie va donc à l’encontre de notre culture palliative, de nos pratiques.

De par notre expérience, nous savons que l’accompagnement palliatif permet un travail de deuil, des échanges, des moments de joie et de partage, qui n’auraient pas été possibles autrement. Les soins palliatifs, contrairement à ce que vous pouvez penser, sont remplis de vie. Qu’ils soient à domicile ou à l’hôpital, c’est une réponse pluridisciplinaire moderne, adaptée à l’accompagnement en fin de vie dans notre société qui a peur de la vieillesse, de la maladie, de la perte d’autonomie et de la mort. Les soins palliatifs respectent la vie et considèrent la mort comme un processus naturel. La singularité du vécu des patients dans cette situation et leurs souhaits y sont profondément respectés.

Ce n’est pas la question de l’euthanasie qui devrait être actuellement débattue mais celle du droit des patients à la non-obstination déraisonnable, au soulagement des symptômes d’inconfort et à l’accès aux soins palliatifs.

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