La chirurgie illégale du cancer enfin sanctionnée ?

Un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale du député (LREM) Olivier Véran veut mettre fin aux milliers d’opérations réalisées sans agrément et pourtant remboursées.

 En 2014, près d’une opération sur 5 était réalisée par une équipe ou un établissement n’ayant pas d’autorisation pour la pratiquer. (Illustration)
En 2014, près d’une opération sur 5 était réalisée par une équipe ou un établissement n’ayant pas d’autorisation pour la pratiquer. (Illustration) DR

    Sus aux actes de chirurgie illégaux ! C'est à peine croyable, mais en France des centaines d'équipes de chirurgie pratiquent des ablations de tumeurs cancéreuses en dehors de toute autorisation. C'est pour mettre fin à cette aberration que le député Olivier Véran (La République en marche), rapporteur général du Projet de loi de financement de la sécurité sociale débattu à l'Assemblée à partir du 23 octobre, a déposé un amendement.

    Depuis dix ans, des seuils minimums d'activité s'imposent à la chirurgie du cancer et conditionnent les autorisations de pratiquer. Il faut au moins 30 interventions par an pour la chirurgie des cancers du sein, digestifs, urologiques et thoraciques, et au moins 20 interventions annuelles pour les cancers gynécologiques, oto-rhino-laryngologiques et maxillo-faciaux.

    Pourtant, la pratique hors autorisation est courante. La chirurgie mammaire dont ont bénéficié 44 000 patientes en 2014 le montre bien : sur les 571 services qui ont facturé des actes à l'Assurance maladie, 115 n'avaient pas d'autorisation, selon le Service national des données de santé.

    Tout aussi incroyable : ces actes sont pris en charge par l'Assurance maladie qui reverse directement à l'établissement (public) ou à l'équipe médicale (privé). « Nous n'avons pas d'autre choix que de payer, plaide le Dr Ayden Tajahmady, directeur adjoint de la stratégie des études et des statistiques à la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam). La jurisprudence impose que lorsqu'un acte médical a été réalisé, nous devons le régler. »

    Obligation de rembourser

    L'amendement, soutenu par le ministère de la Santé selon nos informations, propose de sanctionner les services ou établissements en cause en les obligeant à rembourser à l'Assurance maladie les sommes indûment perçues.

    « Manifestement, la perspective de perdre leur autorisation n'a pas suffisamment incité les services à modifier leurs pratiques, justifie le député, par ailleurs médecin et président de la Commission des affaires sociales. Je veux donc que la main gauche qui autorise les actes communique avec la main droite qui paie, pour que cessent ces pratiques. Pour la chirurgie du cancer des ovaires, il n'existe par de seuil minimum d'activité, il en faut un! »

    Mortalité multipliée par deux

    Dans une étude publiée cet été, l'Assurance maladie a démontré en effet que le taux de mortalité au bout d'un an est deux fois plus élevé quand l'opération est réalisée par une équipe non autorisée (29 décès sur 1 000 patientes opérées) que lorsqu'il y a autorisation (14,4 pour 1 000).

    « C'est un scandale de voir encore des hôpitaux et cliniques ne traiter que quelques cancers de l'utérus ou des ovaires par an, des opérations très lourdes », réagit le Pr Guy Vallancien qui fut un des premiers à se pencher sur le rapport entre volume d'activité et qualité des soins dans un rapport publié en 2006. « Quand on pratique peu, on perd en expertise. Il est d'ailleurs temps de réévaluer ces seuils minimums d'activité pour tirer la qualité vers le haut. »

    C'était d'ailleurs pour garantir une qualité minimale des soins que l'Institut national du cancer (Inca), avait milité pour l'instauration de planchers en 2009. Les seuils retenus (20 ou 30 actes/an) sont cependant bien inférieurs à ceux de l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne qui imposent, pour le cancer, 50 actes au moins par an pour opérer.

    Réévaluer les seuils nécessaires

    La Cnam, qui souhaite instaurer un système de bonus financier pour les pratiques chirurgicales vertueuses, est clairement favorable à une réévaluation des seuils. « Pour améliorer la qualité des soins, nous préconisons que pour la chirurgie du cancer du sein, le seuil soit relevé de 30 à 150 interventions par an, confirme le Dr Ayden Tajahmady. Dans le cas du cancer de l'ovaire, plus rare, et pour lequel il n'existe encore aucun seuil, nous proposons 20 actes par an ».

    Une évolution aux conséquences considérables, selon les projections de la Cnam : « 338 établissements ne pourraient plus continuer à opérer des cancers du sein et 519 établissements ne pourraient plus continuer à réaliser de chirurgie pour cancer de l'ovaire – soit 857 blocs opératoires» !

    De leur côté, depuis juin, la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) travaille avec l'Inca à une refonte du régime des autorisations de prise en charge. Des autorisations qui ne cessent de baisser : 786 en 2015 contre 743 en juin 2018, dont 379 pour des établissements publics et 364 pour le secteur privé. Mais au fait, combien de sanctions prononcées contre les actes non autorisés ? « Impossible à dire, cela demanderait des redressements très fins », répond la DGOS qui semble vouloir déjà tourner la page.