Une expérience scientifique sur un singe dans L'Express n° 1423 du 21 octobre 1978.

Une expérience scientifique sur un singe dans L'Express n° 1423 du 21 octobre 1978.

L'Express

Dans L'Express du 21 octobre 1978

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"Tout animal a droit au respect. L'homme en tant qu'espèce animale ne peut exterminer les autres animaux ou les exploiter en violant ce droit...". Il y a des exceptions.

Le 15 octobre, à 10 heures du matin, un prix Nobel de physique, deux académiciens, trois membres de l'Institut, plusieurs ambassadeurs et bon nombre de personnalités politiques se réunissent à Paris, au siège de l'Unesco. Pour proclamer solennellement une nouvelle Déclaration universelle : celle des droits de l'animal.

Article premier : "Tous les animaux naissent égaux devant la vie et ont les mêmes droits à l'existence".

Article deux : "Tout animal a droit au respect. L'homme en tant qu'espèce animale ne peut exterminer les autres animaux ou les exploiter en violant ce droit".

Pour les auteurs de la nouvelle Déclaration, le refus de la barbarie ne se limite pas à la défense des seuls droits de l'homme. Il implique, toujours et partout, le combat pour la défense de la vie. "Le respect des animaux par l'homme est lié au respect des hommes entre eux", affirment-ils en préambule.

Le siècle des camps nazis et du Goulag est également celui qui pratique le génocide d'espèces animales, l'élevage concentrationnaire, l'expérimentation scientifique "sauvage".

Tout au fond d'une petite vallée, à 100 km de Paris, dans une prairie entourée d'arbres, quatre bâtiments blancs au toit en fibrociment et aux murs crépis. Anonymes. A l'intérieur, éclairé a giorno, on entend une étrange rumeur : des caquetages, comme étouffés à travers une couche d'ouate. De gros aérateurs brassent l'air épais. Une odeur d'antiseptique et de fiente mêlés prend à la gorge. Sur plusieurs niveaux s'entassent des cages de fer de 40 cm sur 40. Dans chaque cage, quatre poules. Les unes encore normales, les autres le cou plumé, d'autres encore à tous les stades de la décrépitude, piquées de coups de bec, la crête en lambeaux, les pattes crispées s'accrochant sur un sol de grillage incliné. Certaines saignent.

Le porc tout en longueur

Nous sommes dans un élevage "en batterie" de poules pondeuses. Pendant un an et demi, elles vont rester là, entassées. Ensuite, ce sera l'abattoir, le potage en sachets ou, pour les plus endommagées, la pâtée pour chiens.

C'est une réalisation de la zootechnie, un mot apparu en 1844, qui désigne l'exploitation intensive et rationnelle des espèces domestiques. Les animaux deviennent des machines à transformer les calories auxquelles on impose des techniques d'élevage à la limite de l'élasticité physiologique. Or, cette limite, c'est celle de la pathologie. Les veaux sevrés à huit jours, immobilisés dans l'obscurité - pour produire de la viande blanche - sur un caillebotis - plus facile à nettoyer, mais qui leur fend les pieds - sont en état de stress permanent. Les poules s'entre-déchirent, les porcs font des pneumonies : on les "soigne" alors à coups d'antibiotiques et de tranquillisants. Seul critère, le rendement.

Les chercheurs rêvent d'animaux-robots, qui ne produiraient que de "bons morceaux", sans stress ni maladies. Déjà, les oies, dont on a détruit les centres de la satiété, se gavent toutes seules. Le boeuf de boucherie, véritable montagne de biftecks, peut à peine marcher. Le porc est tout en longueur, pour fournir des côtes plus importantes.

Gavé, pourchassé ou bardé d'électrodes. L'animal est au service de l'homme, ce "maître de l'Univers".

La défense des animaux exprime une remise en question, par l'éthologie, la biologie, la sociobiologie, de cette vision anthropocentrique. S'il n'est seulement le "singe nu" que décrivait Desmond Morris, l'homme est, avec l'animal, un maillon d'une même chaîne écologique.

Un maillon tout proche de ce babouin, revêtu d'une combinaison d'un jaune éclatant, sanglé sur un siège de voiture coulissant sur des rails. La tête enveloppée de bandages blancs, les mains reposant sagement sur le rebord du fauteuil, il est calme. L'air fragile, le regard vague : dans un instant, il sera "victime" d'une violente collision. Il s'agit d'une diapositive présentée par un chercheur de la Sécurité routière au symposium sur "l'animal de laboratoire au service de l'homme", organisé en septembre, à Lyon, par la Fondation Mérieux : sans doute le babouin était-il drogué, anesthésié. Mais cela n'atténue pas le sentiment de malaise devant l'image de ce singe confiant qui va mourir pour nous. Ils sont ainsi 5 millions d'animaux sacrifiés, chaque année, en France.

"Avez-vous jamais regardé les yeux des bêtes que vous manipulez ?" demandait, à l'assemblée, le Dr Jacques Kalmar, vice-président de la Ligue internationale contre la vivisection.

D'après les chiffres britanniques - le seul pays où leur publication soit obligatoire - 85 % des animaux de laboratoire ne sont pas anesthésiés. Les ligues de protection affirment, en outre, que 90 % des expériences sont inutiles. Ces chiffres sont vivement contestés par les scientifiques. Mais des études réalisées par la Food and Drug Administration dans trente-neuf laboratoires américains ont montré que, même s'il n'atteint pas ce niveau, le "gaspillage animal" est important.

Des raids contre les laboratoires

Certains d'oeuvrer pour le progrès de la science, les chercheurs ne se soucient guère de la souffrance de leurs cobayes. "Les animaux, aujourd'hui, sont mieux anesthésiés que les humains il y a cinquante ans", affirment-ils. C'est exact. Sauf lorsque l'expérience exclut l'anesthésie : dénutrition, tumeurs artificielles, inoculation de maladies, stress mortels. "Un rat suspendu par la queue développe des ulcères et meurt en quelques heure", dit le Pr René-Guy Busnel. Un jour, j'ai eu besoin d'étudier des brûlures, raconte un autre participant. Eh bien, croyez-moi, à la fin de l'expérience, je n'étais pas fier de moi !".

Propagées par les ligues de protection, des brochures aux illustrations éloquentes circulent dans le public et le sensibilisent aux excès commis. Des commandos de jeunes, souvent des scientifiques, lancent des raids contre les laboratoires.

Pourtant, il ne peut être question de contester la nécessité de l'expérimentation animale. Aujourd'hui, aux États-Unis, l'hépatologie et la neurologie stagnent : les chercheurs ne disposent pas d'un nombre suffisant de primates pour faire progresser leurs expériences. On ne sait encore se passer des animaux pour étudier les effets des pesticides ou tester l'action des médicaments.

Un chercheur suédois, le Dr K.J. Obrink, résume ainsi la question : "Si l'on demande : Faut-il utiliser des animaux ?, la réponse est : "Oui". Mais cette acceptation ne résout pas définitivement nos problèmes. On peut s'accoutumer à son travail, devenir aveugle. Il faut réagir".

Bousculés par l'opinion publique, les scientifiques sont bien obligés de remettre leurs méthodes en question. Une charte internationale de l'animal de laboratoire est en cours d'élaboration.

Déjà, plusieurs pays ont mis en place des réglementations restrictives. C'est le cas, notamment, aux États-Unis. Chaque animal de laboratoire y est fiché et doit pouvoir être retrouvé à tout moment de sa vie. Chaque expérimentation doit répondre à des exigences extrêmement précises.

A Uppsala, la Suède réalise depuis deux ans une expérience pilote. Les expérimentations sont classées par catégories, allant de "stress léger" à "opération sanglante sans anesthésie". Chacune doit être soumise à une commission comprenant chercheurs, vétérinaires, laborantins, hommes politiques, représentants des ligues de protection, universitaires, pharmaciens. La commission doit donner un avis en quelques heures. Très réservés au début, les scientifiques sont maintenant satisfaits de cette formule. La communauté ayant un droit de regard, l'homme de la rue n'a plus de réaction d'opposition systématique, et le chercheur, lui, se sent plus à l'aise. Cette procédure va être étendue à tout le pays.

L'idéal est quand même de parvenir à se passer de l'expérimentation animale. En la remplaçant par des tests sur des cultures de cellules ou par des simulations sur ordinateur. Aux États-Unis, la Medical Research Foundation en recommande l'emploi. En France, il est encore pratiquement inexistant. Mais les mentalités évoluent rapidement.

"On constate, dit Georges Vallier, du Bureau de la protection humanitaire du ministère de l'Agriculture, que les nouvelles couches scientifiques ont une conscience beaucoup plus développée de la souffrance animale et sont beaucoup plus disposées à chercher des palliatifs".

Code civil et loi-cadre

"Les droits de l'animal doivent être défendus par la loi comme les droits de l'homme", proclame la nouvelle Déclaration universelle.

C'est une revendication qui fait son chemin, grâce à l'action des associations protectrices, et grâce aux soutiens de scientifiques éminents tel le prix Nobel Alfred Kastler, ou le Pr George Heuse, fondateur de la Ligue internationale des droits de l'animal, qui organise la réunion à l'Unesco.

Signe d'une évolution : dans le Code civil français de 1804, l'animal est défini comme "un bien mobilier par nature, et quelquefois immobilier par destination". La récente loi-cadre du 10 juillet 1976, elle, affirme que : "Tout animal, étant un être sensible, doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce".

Couverture de L'Express n°1423 du 21 octobre 1978

Couverture de L'Express n°1423 du 21 octobre 1978.

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