PRIS POUR CIBLE«C'était comme Glenn Close dans «Liaison fatale», il s'est accaparé ma vie»

Cyber-harcelé(e)s: «C'était comme Glenn Close dans "Liaison fatale", il s'est accaparé ma vie»

PRIS POUR CIBLESandra a été cyber-harcelée pendant trois ans par un homme rencontré lors d’un voyage organisé. Après l’avoir harcelée par mail et via MSN, il a créé un faux site de sept pages dans lequel il racontait en détail sa vie…
Hakima Bounemoura

Propos recueillis par Hakima Bounemoura

L'essentiel

  • Sandra a été harcelée pendant trois ans par un homme, rencontré lors d’un voyage organisé, qui a fantasmé une relation amoureuse avec elle.
  • Il l’a d’abord épiée sur les réseaux sociaux, l’a harcelée par mail et via MSN, puis a créé un faux site de sept pages avec des textes et photos abjectes.
  • Sandra a porté plainte, un procès a eu lieu mais la justice a estimé qu’il y avait prescription, et son harceleur n’a pas été condamné.

Voici l’histoire de Sandra. Son témoignage rejoint notre série « Pris pour cible » sur les persécutions en ligne. A travers ces expériences individuelles, 20 Minutes souhaite explorer toutes les formes de harcèlement en ligne qui, parfois, détruisent des vies. Chaque semaine, nous illustrerons, à l’aide d’un témoignage, une expression de la cyber-violence. Si vous avez été victime de cyber-harcèlement, écrivez-nous à lbeaudonnet@20minutes.fr, hsergent@20minutes.fr ou hbounemoura@20minutes.fr.

« Mon cauchemar a commencé en 2011, c’était au mois de mai, le 14 très exactement, je m’en souviens encore très bien. Ce jour-là, ma meilleure amie m’envoie un message, me demandant pourquoi je lui avais envoyé « ça ». Le « ça » en question, c’était une copie d’écran qui semblait émaner de mon compte Facebook, et qui comportait un lien vers un autre site. J’ai cliqué dessus, et là, le sol s’est écroulé sous mes pieds. Il s’agissait d’un site entièrement dédié à ma personne. Sept pages, de textes et de photos avec mes vrais nom et prénom, se voulant raconter par le menu les détails de ma vie privée et professionnelle, expliquant en gros que j’étais une folle furieuse, voire une ordure bonne à brûler.

En allant consulter Google, j’ai constaté que l’auteur du site avait pris soin de le référencer de sorte qu’il apparaisse sur les trois premières pages de recherches associées à mon nom, et même jusqu’à celui de mon ex-employeur. A ce moment-là, j’ai compris que je pouvais tirer un trait sur ma vie sociale, ma vie professionnelle, amicale et amoureuse.

Une capture d'écran du faux site.
Une capture d'écran du faux site. - Capture d'écran faux site

« « Sur de nombreux clichés publiés sur le site, pas de paysages ni de monuments, mais des gros plans sur mon visage et mes seins ! J’étais écœurée… » »

J’ai très rapidement identifié qui était l’auteur de ce faux site, car une seule personne était en possession des photos trafiquées qui avaient été publiées. Cet homme, qui s’appelle G., je l’avais rencontré à l’automne de l’année précédente, lors d’un voyage que j’avais effectué avec ma maman en Israël​. Dans notre groupe de voyageurs, composé d’une vingtaine de personnes, il y avait un sexagénaire qui effectuait le circuit seul. Il m’a immédiatement paru antipathique et très étrange à mon égard. Ayant eu des soucis avec mon appareil photo et ma caméra, il s’était gentiment proposé de prendre des photos pour moi et ma mère. Malgré le fait qu’il ait été très collant avec moi tout au long du séjour, nos relations ont toujours été très claires, nous n’avons jamais été une seule seconde dans une logique de séduction.

De retour à Paris après le voyage, j’ai reçu le soir même une demande de contact via MSN d’une certaine « Cathy ». Croyant qu’il s’agissait de ma cousine, j’ai accepté la discussion. Erreur, c’était le fameux G. qui souhaitait déjà que l’on se revoie. J’ai accepté un dîner avec lui et deux autres membres de notre groupe de voyage, histoire de « garder le contact ». Il m’a alors remis un CD qui comportait les photos qu’il avait prises pour moi. Et là, stupeur. Sur de nombreux clichés, pas de paysages ni de monuments, mais des gros plans sur mon visage et mes seins ! J’étais écœurée…

Une autre capture d'écran du faux site, avec des photos de la poitrine de Sandra.
Une autre capture d'écran du faux site, avec des photos de la poitrine de Sandra. - Capture d'écran faux site

« « Durant des mois, il m’a inondée de mails, de demandes de connexion en messagerie instantanée… Dès que je me connectais, il était au courant » »

Après ce rendez-vous, G. m’a inondée de mails, de demandes de connexion en messagerie instantanée, et m’appelait deux fois par jour… Du véritable harcèlement. Dès que je me connectais quelque part, sur Facebook ou MSN, il était au courant. J’avais le sentiment qu’il était en train de s’approprier ma vie. C’était comme Glenn Close dans Liaison fatale, un véritable cauchemar. J’ai finalement pris mon courage à deux mains, et un jour je l’ai appelé en le sommant d’arrêter de me harceler. Il s’est alors platement excusé, prétextant qu’il était juste « inquiet » pour moi. Mais son petit manège a continué, jusqu’à ce jour de Saint-Valentin. Il est venu sonner un lundi matin, tôt chez moi, avec l’intention manifeste d’y rentrer. Là, j’ai vraiment eu la trouille… Après cet épisode traumatisant, j’ai stoppé toute communication avec cet homme, qui visiblement, avait fantasmé une histoire d’amour avec moi.

Je pensais définitivement en être débarrassée, jusqu’à ce jour de mai où j’ai donc découvert ce faux site qu’il avait créé sur moi. Ça a fait un effet blast. Il avait scrupuleusement épluché toute ma vie, utilisé mes photos pour en faire un site ignoble. J’ai compris qu’il avait entièrement « pompé » mon compte Facebook avec tous mes contacts, chose aisée pour lui car il était informaticien, spécialisé dans l’édition de logiciel, notamment sur le dark web.

« « J’ai tout de suite voulu déposer plainte, mais les policiers m’ont expliqué que ça allait être très compliqué » »

J’ai tout de suite voulu déposer plainte, mais les policiers m’ont expliqué que ça allait être très compliqué. J’ai également fait des signalements à Facebook et Google. Mais aucune réponse, le site est resté en ligne. J’ai continué à vivre avec, avec le sentiment d’être épiée en permanence. Au fil des mois, mon réseau professionnel s’est étiolé, mon moral aussi… J’ai commencé à sombrer dans la dépression, j’étais dans un état de dissociation, dans une phase de dédoublement de soi-même. En 2012, j’ai finalement porté plainte et pris un avocat spécialisé en droit numérique. Je l’ai mandaté pour qu’il entreprenne toutes les actions juridiques possibles pour faire cesser l’activité de ce site.

On a alors découvert que G. avait domicilié son site en Inde en passant par une adresse anonymisée en Arizona (Etats-Unis). Pour l’assigner, il a fallu que trois juges (en France, aux Etats-Unis et en Inde) saisissent l’éditeur. Tout ça m’a coûté près de 10.000 euros en frais d’avocat et de justice. Fin 2012, plus d’un an après la mise en ligne du site, la publication a finalement été retirée. J’ai poussé un ouf de soulagement. De courte durée, puisque le site a été réédité 24h après via un autre hébergeur. Ce petit manège a duré plusieurs mois. Après une dizaine de tentatives, il a définitivement été supprimé. Parallèlement à toutes ces actions pour faire cesser ce site immonde, une équipe de police spécialisée en cyber-criminalité a réalisé une perquisition à son domicile afin de saisir son matériel informatique. Ils ont trouvé plusieurs preuves accablantes, notamment un fichier qui avait pour acronyme «Je veux te niquer la salope».

« « J’ai dû me balader pendant trois ans avec un Taser dans mon sac à main, j’avais peur tout le temps » »

Ayant porté plainte, un procès au pénal a eu lieu fin 2012. Contre toute attente, le juge a considéré qu’il y avait prescription. Il a reconnu que G. était bien l’auteur de ce site abjecte, mais que le délai de prescription de trois mois pour « diffamation publique » et « atteinte à la vie privée » était dépassé. Ça a été un coup dur pour moi. Mais j’ai décidé d’en rester là : le site avait été supprimé, et la justice finalement avait reconnu sa culpabilité. Je pensais toute cette histoire finie. Mais loin de se démonter, G. m’a alors attaquée à son tour en justice pour procédure abusive en faisant valoir que l’enquête n’avait pas pu établir qu’il était l’auteur du site. Heureusement, il s’est fait débouter, une première fois en première instance, puis une seconde fois en appel. Il a ensuite tenté de se pourvoir en cassation, ce qui lui a été refusé. Aux dernières nouvelles, il envisagerait un pourvoi à la Cour européenne des droits de l’homme

Cette histoire m’a complètement détruite. Avant, j’étais cadre dirigeante, aujourd’hui, je suis au RSA, j’ai définitivement tiré un trait sur tout espoir d’avenir professionnel. J’ai perdu toute vie sociale, et j’ai complètement perdu confiance en moi. J’avais tellement peur que j’ai dû me balader pendant trois ans avec un Taser dans mon sac à main. Ce mec, c’était comme un sabot de Denver, il m’a empêchée de vivre, il m’a volé ma vie. Rien ne sera jamais plus comme avant… »

Retrouvez tous les épisodes de la série, ici.

20 secondes de contexte

L’idée de cette série n’est pas arrivée par hasard. Le Web déborde d’histoires de cyber-harcèlement, les raids numériques se multiplient ces dernières années. Nous entendons parler de ce phénomène Internet dans la presse à travers les histoires de Nadia Daam, Nikita Bellucci ou, plus récemment, de Bilal Hassani, mais ils sont nombreux, moins célèbres, à en avoir été victimes. Nous avons voulu leur donner la parole pour faire connaître cette réalité qui a, parfois, brisé leur vie. Notre idée : donner corps aux différentes formes de violences en ligne et montrer qu’il n’existe pas des profils type de harceleur ni de vraiment de victime.

De semaines en semaines, nous avons réussi à sélectionner des témoignages à l’aide du bouche-à-oreille, d’appels sur Twitter et sur notre groupe Facebook 20 Minutes MoiJeune. Et ce n’est pas toujours facile de tenir le rythme d’une interview par semaine, même à trois journalistes. Nous devons évaluer chaque récit en fonction de sa pertinence et, parfois, de sa crédibilité. Mais, nous laissons toujours la liberté aux victimes de témoigner à visage découvert ou de garder l’anonymat pour ne pas donner une nouvelle occasion aux cyber-harceleurs de s’en prendre à elle.

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