Dans l’imaginaire collectif, la marque de jeans Levi’s habille les cow-boys et les bûcherons de l’Ouest américain. La réalité est tout autre, notamment depuis une semaine et la publication dans le magazine Fortune d’une tribune de son directeur général, Chip Bergh. Il y dénonce la violence des armes à feu, “un problème qui nous affecte tous, toutes générations et à chaque étape de la vie”. Le directeur général, un ancien officier de l’armée américaine, promet également une donation d’un million de dollars à l’association créée par le milliardaire Michael Bloomberg, Evertytown for Gun Safety (“Toutes les villes pour la sécurité des armes à feu”), qui œuvre pour le contrôle du port d’armes :

“En tant qu’hommes d’affaires avec une influence dans les sphères publiques et politiques, nous ne pouvons pas rester silencieux lorsqu’il s’agit de problématiques qui menacent les fondements des communautés où nous vivons et où nous travaillons.”

La NRA, l’organisation de défense des armes à feu, n’a pas tardé à monter au créneau et a accusé Levi’s “d’insulter les 100 millions de propriétaires d’armes de la nation”. Dans un entretien accordé au Washington Post, lundi 10 septembre, Chip Bergh explique ne pas vouloir supprimer le second amendement de la Constitution, qui garantit le droit de possession et de port d’armes. Il espère davantage “inciter les responsables du gouvernement à prendre des mesures spécifiques pour réduire les violences par armes à feu, comme demander le contrôle du casier judiciaire d’un acheteur ou limiter les ventes aux personnes âgées de 21 ans ou plus”.

“Il est inévitable que nous nous aliénions une partie de nos clients, mais nous ne pouvons plus rester sur le bas-côté et demeurer silencieux sur cette problématique.”

Chip Bergh a profité de sa tribune dans le magazine économique Fortune pour dévoiler un projet associatif en collaboration avec Michael Bloomberg, ancien maire de New York, perçu comme le plus ferme opposant au second amendement. L’annonce de ce partenariat a rapidement fait réagir les plus conservateurs outre-Atlantique : “Un autre multimillionnaire a décidé qu’il pouvait investir des millions de dollars de sa fortune pour priver les citoyens de leurs droits fondamentaux”, a réagi Craig DeLuz, un activiste proarmes, sur la chaîne locale de CBS à San Francisco.

Des entreprises politiques

L’initiative du fabricant de jeans intervient en même temps que la nouvelle campagne publicitaire de Nike. Cette dernière adopte un autre engagement politique et met en scène Colin Kaepernick, premier footballeur américain à s’agenouiller lors de l’hymne national en signe de protestation contre les violences policières faites aux Noirs. “Dans un monde où ils n’espèrent plus grand-chose de l’État, les consommateurs attendent des entreprises qu’elles prennent leurs responsabilités et œuvrent pour ce qui est juste”, analyse Peter Horst, un expert en marketing contacté par le Washington Post.

“Mon point de vue personnel est que les entreprises ont une obligation de rendre le monde meilleur. Elles doivent faire plus que du profit”, renchérit le directeur général de Levi’s, Chip Bergh. Le quotidien américain rappelle que la marque de prêt-à-porter n’en est pas à son premier coup politique. Dans les années 1970, Levi Strauss avait arrêté de financer les boy-scouts américains après le bannissement de chefs de troupes homosexuels de l’organisation. Pour l’expert Peter Horst, joint par le journal, “ce genre d’initiative est à mi-chemin entre la stratégie commerciale savamment orchestrée, et une défense presque passionnée des valeurs et des convictions de l’entreprise”.

Dans le cas de Nike, l’annonce de son partenariat avec Colin Kaepernick a eu des répercussions directes sur ses ventes : “Bien que l’action de l’entreprise ait d’abord été dévaluée à hauteur de 3 %, la décision pourrait finalement être bénéfique pour les affaires. Les ventes en ligne de Nike ont grimpé de 31 % après la nouvelle, selon les analyses d’Edison Treds, une société basée à San Francisco.”