Un ministre trop compétent n'est pas un bon ministre

Elisabeth Borne, la ministre des Transports, renonce à plusieurs dossiers par crainte d'un possible conflit d'intérêts. ©AFP - Ludovic Marin
Elisabeth Borne, la ministre des Transports, renonce à plusieurs dossiers par crainte d'un possible conflit d'intérêts. ©AFP - Ludovic Marin
Elisabeth Borne, la ministre des Transports, renonce à plusieurs dossiers par crainte d'un possible conflit d'intérêts. ©AFP - Ludovic Marin
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Les ministres issus de la "société civile" doivent abandonner certaines de leurs attributions face aux accusations de conflits d'intérêts.

Cette question va se poser pour le remaniement en vue : faut-il plus de ministres issus de la gauche ? de la droite ? ou bien davantage de techniciens, d'experts venus de la société civile ? 

A l'heure où infuse encore le "melting pot" du nouveau gouvernement, voici une petite leçon, presque une fable, qui pourrait faire réfléchir le couple exécutif. Ouvrons le très sérieux journal officiel, à la date de ce samedi. On y découvre que la ministre des Transports, Elisabeth Borne, ne s'occupera plus du dossier du Charles de Gaulle Express - cette future ligne rapide qui doit relier Paris à l'aéroport de Roissy. 

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Pourquoi la ministre renonce-t-elle à ce dossier majeur ? Tout simplement pour éviter le conflit d'intérêts. C'est le journal Le Monde qui nous l'apprend : dans sa vie d'avant, Elisabeth Borne a dirigé la RATP, la régie des transports parisiens. Or, cette entreprise est candidate à un appel d'offre lié au Charles de Gaulle Express. Dès lors, la ministre pouvait-elle rester l'arbitre d'un match en étant elle-même issue de l'une des équipes en compétition ? Elle a manifestement estimé que non. 

Ce n'est pas la première fois qu'un tel cas se produit sous l'ère Macron... 

Savez-vous qui est en charge, au gouvernement, du secteur de l'édition littéraire ? Eh bien c'est un certain Édouard Philippe, le Premier ministre qui est aussi ministre de l'Intérieur par intérim. Et non pas la ministre de la Culture. Françoise Nyssen a dû renoncer à cette attribution. Là encore par crainte du conflit d'intérêt. Avant d'entrer au gouvernement, elle était éditrice, dirigeante des éditions Actes Sud. 

Dans les deux cas, quelques lignes en trop sur un CV ont mené à quelques lignes en moins dans les responsabilités ministérielles.

Voilà une mécanique assez absurde. Souvenez-vous, au début du quinquennat : on nous promettait pourtant de "l'air frais", avec ces ministres venus du privé, c'était le "nouveau monde", qui privilégiait "les compétences", "l'expérience". Sous-entendu : loin de ces politiciens de carrière, qui passent du ministère de la Défense à celui de la Culture, sans rien connaître ni de l'un ni de l'autre.

Et pourtant les mésaventures d'Elisabeth Borne et de Françoise Nyssen dessinent ce paradoxe : les ministres trop pointus, trop familiers de leur domaine, doivent cesser d'y exercer leur responsabilités. Un passé professionnel devient un passif politique. Un boulot d'hier devient un boulet d'aujourd'hui. Et face au soupçon, ils préfèrent s'écraser, ces spécialistes sortis de l'ombre par la seule grâce de l’Élysée. Ils appliquent en fait à la lettre la vieille formule de Péguy : « Pour avoir les mains pures, mieux vaut ne pas avoir de mains ». Et c'est vrai qu'ils n'ont plus la main sur les dossiers sensibles...

Tiens, c'est tout un symbole, revenons précisément à cet épineux dossier du Charles de Gaulle Express, abandonné par Elisabeth Borne. Que devient-il ? Il est confié à son ministre de tutelle. Un certain François de Rugy - il est l'antithèse du ministre issu de la société civile : un pur politique, depuis son plus jeune âge, militant, conseiller municipal, député, président de l'Assemblée... Pas besoin de pousser plus loin, on voit ici clairement la limite de ce concept de "société civile". 

Présumé coupable de trop en savoir et condamné à moins en faire, le ministre expert se dessaisit au profit du ministre politique. Car, comme chacun sait, une carrière politique préserve bien sûr de toute tentation de conflit d'intérêt...

Frédéric Says

L'équipe