Des forêts sans oiseaux : quand l’agriculture intensive s’invite dans les bois (Reportage)

Le Temps des forêts, documentaire réalisé par François-Xavier Drouet, nous entraîne au cœur des ravages méconnus causés par la sylviculture industrielle. Car les arbres aussi sont désormais soumis aux techniques conventionnelles de l’agrochimie.

Dans le secteur de la sylviculture, des pratiques équivalentes à celles que l’on trouve dans l’agriculture intensive se sont imposées ces dernières décennies en toute discrétion, nous confrontant désormais aux mêmes problématiques environnementales – chute de la biodiversité, destruction des sols – mais aussi humaines et économiques – bouleversement des métiers, augmentation de la compétitivité pour satisfaire les prix du marché tirés vers le bas par une productivité toujours plus forte. Du Limousin au Morvan en passant par les Vosges, François-Xavier Drouet nous emmène à la rencontre des acteurs de terrain qui vivent ces transformations.

Standardisation

Le film débute sur plusieurs séquences qui montrent des espaces où l’on trouve des arbres à perte de vue, mais pas un oiseau qui chante. Seuls sont perceptibles les moteurs des tronçonneuses et le bruit des roues des gigantesques machines qui ont pris la place des bucherons. À la lisière, les « coupes rases » laissent des espaces entièrement déboisés et dont les sols sont presque morts par manque de biodiversité végétale. Productivité oblige, les nouveaux plants sont immédiatement mis en terre afin d’entamer un nouveau cycle.

Ici, c’est une sorte de cercle vicieux qui s’est installé. Avec l’arrivée de machines plus performantes, qui coûtent plusieurs centaines de milliers d’euros pour certaines d’entre elles, il a fallu trouver le moyen de rentabiliser ces achats. Ainsi, tout est optimisé pour assurer des rendements élevés, depuis les essences choisies (souvent des « sapins douglas ») jusqu’aux espaces entre chaque arbre. Ce qui fait le plus peur aux gestionnaires de ces boisements en monoculture ? La concurrence d’autres espèces, ce qui ralentirait la pousse des arbres : alors on débroussaille tout ce qui dépasse ou même, pire, on multiplie les produits chimiques utilisés afin d’accélérer la croissance d’une part et anéantir les « indésirables » d’autres part. On est alors à peine étonné d’apprendre qu’une bonne part de ces bois finit transformée en palettes « jetables » à usage unique et dont la seule fonction est de soutenir le commerce mondial de marchandises… Bien évidemment, on n’oubliera pas que le bois industriel est également exploité en tant que combustible et pour la construction.

« C’est une guerre économique »

Derrière les images inquiétantes de forêts « sans vie » complètement transformées pour les seuls besoins immédiats des êtres humains, se joue une guerre économique qui implique non seulement nos voisins, comme l’Allemagne ou les pays scandinaves, mais aussi des acteurs plus éloignés, notamment la Chine, vers laquelle partent des quantités de plus en plus importantes de bois européens. Surtout, rien n’échappe à la pression économique qui pèse sur les espaces naturels, comme nous l’apprennent des membres de l’Office National des Forêts, puisque même cet organisme, pourtant chargé de préserver et perpétuer les bois, doit se plier devant les logiques financières. Si les forêts en monoculture s’ajoutent souvent aux espaces boisés existants, les premières finissent pas grignoter les seconds.

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Dans le débat public, pratiquement inexistant sur la question, l’argument selon lequel la France est bien plus boisée aujourd’hui qu’il y a 150 est souvent avancé (les surfaces agricoles en monoculture ne sont pas comprises dans le calcul). Après avoir vu ce documentaire saisissant, le spectateur s’interroge inévitablement : « oui, mais à quel prix ? ». Une forêt sans vie rasée à une vitesse industrielle est-elle vraiment similaire à un espace naturel ? Difficile de le penser. Riche en information, ce reportage est profondément bouleversant, nous plongeant dans une réalité méconnue jusqu’ici. Le travail du réalisateur n’en est pas moins indispensable, car il expose au regard du public la destruction des forêts, notre bien commun à tous.

Toutes les informations à propos du film ainsi que le programme des prochaines séances-débat peuvent être consultés sur Facebook.


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