Ouragans au journal télévisé, chiffres alarmants du réchauffement climatique, photos choc de mers de plastique, Affaire du siècle… les images préoccupantes sur l’état de la planète nous entourent. Pourtant, difficile de trouver les ressources en soi pour enfin essayer de renverser la tendance. Un chercheur norvégien, Per Espen Stoknes, a mis les mots sur cette passivité.

L’Ouragan Michael s’est abattu en 2018 sur la Floride avec une puissance jamais vue. Dans l’Aube, des inondations ont causé la mort d’une dizaine de personnes, selon un bilan du 16 octobre de la même année. En 2020, les Alpes Maritimes ont connu une succession d’inondations meurtrières. En octobre 2021, une simulation a montré à quoi ressembleraient les villes françaises si la température augmentait — spoiler : elles finissent sous l’eau. À cette liste macabre s’ajoutent des dizaines d’exemples qui montrent tous la même chose : le climat change et change dangereusement pour l’Humanité.

Et pourtant, on oubliera. Comme l’an passé, et l’an d’avant. Difficile d’allumer la radio, de feuilleter un journal ou de scroller sur Twitter sans tomber régulièrement sur des informations alarmantes concernant le réchauffement climatique. Et ce depuis bientôt 30 ans. Alors pourquoi ne fait-on rien ?

La cause principale du problème : l’Homme

« Dans les années 80, personne ne connaissait rien au changement climatique. Mais dès les années 90, de plus en plus d’articles scientifiques ont été publiés, mettant le doigt sur la gravité du problème et sa cause principale : l’Homme. Le problème, c’est que les publications scientifiques, souvent trop abstraites voire ennuyeuses, ont été réduites à des titres aguicheurs criant au désastre par les médias », explique Per Espen Stoknes à Numerama. Ce chercheur norvégien n’est pas spécialiste des épidémies ou des tsunamis mais des comportements humains.

Psychologue, docteur en sciences économiques et président du Centre pour la croissance verte à la Norwegian Business School, il interroge les liens entre la psychologie et développement durable. Pour lui, nous sommes pétris de barrières mentales qui nous empêchent de passer à l’action. «  Au fil du temps, nous nous sommes habitués à tout ça. Nous avons développé des mécanismes d’évitement, en ne lisant pas un article au sujet de l’état de la planète mais plutôt sur autre chose, un peu comme on changerait de trottoir pour éviter quelqu’un que l’on n’aime pas. Et puis on finit par projeter des stéréotypes sur la situation. Du genre ‘’Non mais si c’est si grave, on n’a qu’à tous se tuer non ?’’ »

Le collapse porn, partout, tout le temps

Au fil de ses travaux, Per Espen Stoknes a pu en identifier cinq obstacles qui limitent notre prise de conscience, à commencer par la distance. Contacté par Numerama, il assène : « Tout cela semble extérieur à notre propre bulle donc cela nous touche moins. Difficile de se sentir concerné par des pluies diluviennes qui ravagent le Japon quand on est confortablement en train de dîner assis sur son canapé.»

Vient ensuite la « lassitude de l’apocalypse », un concept théorisé par le chercheur. « Les communications alarmistes nous font peur et nous paralysent. » Il n’y a pas que les publications scientifiques et les médias mais aussi les séries, les jeux vidéo ou la littérature. Il va même jusqu’à parler de « collapse porn », le « porno de l’effondrement. »

« Je sais que nous consommons trop de plastique, mais je ne fais aucun effort pour réduire mes propres déchets »

Pour le chercheur, nos mécanismes de défense sont les mêmes que ceux utilisés lors de drames personnels, même si l’échelle de l’apocalypse est infiniment plus grande que les difficultés que nous rencontrons dans notre vie. De même que pour se protéger d’un viol ou d’un décès, le psychisme peut faire appel à la dissonance cognitive ou au déni. Sauf que là, c’est nous qui sommes en tort :

« La dissonance cognitive, c’est quand il y a une contradiction entre ce que je sais et les actions qui en découlent. Par exemple, je sais que nous consommons trop de plastique mais je ne fais aucun effort pour réduire mes propres déchets. Le cerveau, qui est très rusé, se protège de la culpabilité en trouvant des excuses. C’est le fameux : ‘’Ok, j’ai une consommation d’eau qui est élevée, mais bon, les voisins ont une piscine et ils utilisent encore plus d’eau que nous’’. »

Parmi les conséquences du réchauffement planétaire, la fonte des glaces, qui a des conséquences sur la biodiversité locale. // Source : Arturo de Frias Marques / Wikicommons

Parmi les conséquences du réchauffement climatique, la fonte des glaces.

Source : Arturo de Frias Marques / Wikicommons

Les valeurs personnelles priment sur les faits

Dernière barrière qui nous limite dans notre prise de conscience, « l’identité » semble aussi être l’obstacle le plus compliqué à franchir. Per Espen Stoknes  développe : « Nos valeurs politiques, sociales, morale sont heurtées. Partout, on m’explique que mon mode de vie et mon mode de pensée ne sont pas le bon, ce qui est difficile à accepter. Les valeurs personnelles priment sur les faits, même si on nous prouve par A+B qu’il n’a jamais fait aussi chaud sur terre et qu’il est presque trop tard

Une spirale infernale, bien déprimante, encore plus que toutes les annonces sur le fait que nous avons ruiné la planète. Heureusement, Per Espen Stoknes a pensé à tout. Il a mis au point cinq solutions pour renverser la tendance et créer un cercle vertueux, à commencer par le lien social. Il est plus facile d’imiter les bonnes habitudes de quelqu’un que de les initier soi-même. Si ma belle-sœur achète une voiture électrique, pourquoi je n’achèterais pas une voiture électrique aussi ?

Le chercheur enjoint aussi à voir le verre à moitié plein et ne parler plus que des résultats positifs. Se concentrer sur les bienfaits d’un trajet à vélo plutôt que le temps perdu quand on n’emprunte pas la voiture. Ce qui rend l’engagement plus facile. Ouste! la dissonance cognitive. « Comme ça, tout devient plus attrayant. Le but, c’est de rendre une alternative crédible. Il n’y a que comme ça que les gens auront intrinsèquement envie de s’y mettre. » Sans se sentir forcés.

Article publié une première fois en 2018, enrichi en 2021. 

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