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Derrière la GPA, le désir profond d'être parent : "Il était impossible que je n'aie pas d'enfants"

Un homme raconte son parcours de GPA pour devenir père
Un homme nous raconte son parcours de GPA. iStock

Témoignage.- Il y a trois ans et demi,Xavier et son mari sont devenus pères de jumeaux, un vendredi à 9h17, aux États-Unis. Ils ont fait appel à une mère porteuse. Le premier des deux hommes raconte le parcours de la GPA.

Qu'est-ce qu'elle a ma famille ? (1), le livre, sorti le 3 octobre 2018, dans lequel le journaliste Marc-Olivier Fogiel raconte la naissance de ses deux enfants d'une mère porteuse américaine, Xavier* en a évidemment entendu parler. Il a d'ailleurs l'ouvrage devant lui lorsqu'il répond à notre coup de téléphone. Ce Parisien de 33 ans est lui aussi devenu père d'une manière peu banale. Ses deux enfants, des "faux" jumeaux de 3 ans et demi, sont nés par GPA (gestation pour autrui), interdite en France depuis 1994. L'acronyme est l'un des plus clivants du moment, voici peut-être pourquoi l'homme est inquiet à l'idée de retracer le chemin cabossé que son mari et lui ont dû emprunter pour créer une famille. "Je ne veux pas qu'on m'identifie comme porte-drapeau de la GPA", lance-t-il.

Il faut dire que la question divise, en plus de créer des situations administratives compliquées pour les enfants issus de ce mode de conception. Seul le père biologique, celui dont le sperme a servi à féconder l'ovule, voit sa filiation retranscrite à l'état-civil. Sa conjointe ou son conjoint, le "parent d'intention", doit adopter l'enfant pour être reconnu. Pour l'instant, en tout cas. Le gouvernement prépare en effet une circulaire qui devrait rendre automatique la transcription de la filiation des deux parents à l'état-civil, comme le rapporte le site Franceinfo ce 10 septembre 2019. Le ministère de la Justice attend toutefois une décision de la Cour de cassation, attendue au début du mois d'octobre, pour préciser les contours du texte. Même si le gouvernement reste opposé à la légalisation de la GPA en France, la circulaire devrait faire des remous. De son côté, Xavier estime "que des gens doivent faire avancer le débat". Alors il raconte.

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Coparentalité, adoption ou GPA ?

À l'adoption on nous a dit "si vous avez un autre moyen d'avoir un enfant, faites-le"

Le désir d'enfant a toujours été présent dans les corps et les cerveaux de Xavier et Julien, son mari. Seulement pour un couple de même sexe, s'imaginer parents est une chose, concrétiser le projet en est une autre. Quand progressivement Julien tait son envie, finit par se l'interdire, Xavier ne réussit jamais vraiment à "faire le deuil". "La naissance de ma nièce a été une évidence, il était clairement impossible que je n'aie pas d'enfants", indique-t-il.

Après trois ans de relation, les deux hommes évaluent les chemins à emprunter pour devenir pères. La coparentalité, soit faire un enfant avec deux lesbiennes, est évoquée puis abandonnée. Ils se renseignent ensuite à propos des États-Unis, de l'Ukraine et de l'Inde, afin de recourir à une mère porteuse. "Le problème avec l'Ukraine, c'est que les enfants naissent apatrides. En Inde, ce sont de véritables élevages, on s'est dit qu'on ne pourrait plus se regarder en face et surtout qu'on aurait trop de mal à raconter aux enfants d'où ils viennent", commente Xavier. Il reste les États-Unis, réputés garants d'une GPA éthique et sécurisée, mais c'est aussi la voie la plus onéreuse. "On n'avait pas les moyens. À ce moment-là, la loi sur le mariage homosexuel passe et ouvre le droit à l'adoption. On opte pour cette solution et on se marie donc en octobre 2013", ajoute-t-il.

En passe d'obtenir le sésame pour adopter qu'est l'agrément, un obstacle insidieux vient compliquer l'affaire. "L'assistante sociale nous a dit "je sens que vous avez vraiment envie de devenir parents, et vous aurez votre agrément. Mais si vous avez un autre moyen d'avoir un enfant, faites-le, parce qu'en pratique ce sera très compliqué"." L'interlocutrice leur rappelle ici une réalité. Très peu de pays ouvrent le droit à l'adoption aux couples homosexuels (le Brésil, l'Afrique du Sud, un État de la Colombie, un du Mexique et quelques-uns des États-Unis). Certains les excluent même officiellement, comme la Chine, la Russie, l'Inde, Madagascar, la Colombie et le Pérou, apprend-on sur le site de l'Agence française de l'adoption (AFA). "On ne pouvait quasiment adopter qu'en France, où la liste d'attente est très longue, et quand on ne veut pas adopter de fratrie ou un enfant de 7 ou 8 ans, c'est compliqué." Le couple abandonne la bataille et lance celle de la GPA.

150.000 euros à réunir

La procédure coûte du temps, de l'énergie et de l'argent. 150.000 euros "pour l'agence, la donneuse d'ovocytes, la mère porteuse, les frais d'avocats, de clinique, puis les voyages aux États-Unis", chiffre le trentenaire. Leur demande de prêt bancaire est refusée, les banques n'ont pas le droit de les accorder en cas de suspicion de GPA à l'étranger. Les deux hommes, l'un coiffeur, l'autre intermittent, décident d'amasser l'argent seuls. Xavier ouvre son salon sept jours sur sept, son mari accepte toutes les missions qu'il trouve. "On a pensé nos boulots "fric", l'idée était de s'en faire le plus possible". Ils y parviennent. En cinq ans.

En parallèle, une agence américaine leur présente un panel de femmes, parmi lesquelles ils doivent choisir une donneuse d'ovocytes. L'idée les gêne. "On a fini par se dire qu'il s'agissait de choix naturels. Un homme qui va dans un bar pour draguer se dirige vers une femme qui est le plus à son goût, qui lui correspond. On s'est mis dans cette position, on s'est demandés laquelle nous paraissait la moins éloignée de nous", se rappelle Xavier. Les futurs pères ont tout de même des critères : "On voulait que l'enfant nous ressemble, donc on souhaitait une femme de style européen, on voulait aussi qu'elle ne soit pas anonyme. Pour la mère porteuse, la question ne se pose pas, c'est elle qui choisit. Et honnêtement on s'en fichait royalement".

En vidéo, "Ils ont échangé mon enfant", le teaser

Convaincre celles sur qui tout repose

J'avais besoin de leur prouver qu'on était des gens bien, qu'elles étaient tout pour nous

Bien que ce choix leur importe peu, les premiers doutes liés à une pratique on ne peut moins anodine apparaissent. "On allait lui prendre un petit bout qu'elle a en elle. D'un côté, quelque chose de très humain nous poussait à dire "la pauvre, comment elle va réagir à tout ça ?", et d'un autre, on se disait égoïstement "mais je veux des enfants par-dessus tout"", confie Xavier.

Rencontrer les deux femmes concrétise leur projet et les apaise. Xavier se souvient que leur posture très à l'aise tranche avec la timidité et les appréhensions qui les tendent, son mari et lui. "On était sûrs qu'on allait le faire mais pas sûrs qu'elles deux le feraient. On les "draguait" beaucoup, je me souviens avoir eu l'impression de passer un entretien d'embauche." Devant celles qui donneront au couple ce qu'il a toujours attendu, Xavier veut convaincre. "J'avais besoin de leur prouver qu'on était des gentils, des gens bien, qu'elles étaient notre dernier recours, qu'on les mettait sur un piédestal, qu'elles étaient tout pour nous."

Cette voie pour devenir parents est un parcours du combattant. Cela commence avant même de lancer la procédure. "Dès le départ, on sait que notre sexualité va nous priver de quelque chose et que l'on devra en faire le deuil, confie Xavier. En dix ans, on le fait dix fois. On le fait, puis on a de l'espoir, puis on le refait. C'est très difficile d'être en couple depuis si longtemps et de se dire qu'on se bat toujours pour avoir des enfants." Si les deux années de procédure de GPA se déroulent sans embûche, elles se révèlent éprouvantes. "Il faut savoir qui on est dans cette histoire. Il y a des questions martelées toute la journée : est-ce-que la mère se porte bien ? Est-ce-qu'on est des bourreaux d'esclave ? Est-ce qu'on est égoïste ou est-ce que cette femme fait simplement un don de soi énorme ?".

Devenir pères

GPA à l'étranger, un homme témoigne
Xavier et son mari deviennent pères de deux enfants, des faux jumeaux. iStock

Le couple apprend qu'il "attend" des faux jumeaux. "On s'est d'abord dit que c'était super, on a pensé qu'il fallait changer de voiture, on s'est demandé combien ça allait nous coûter et on a fini par se dire qu'on était super contents !" Ils passent le dernier mois de grossesse avec la mère porteuse, un choix de leur part. "On voulait être là pour la naissance et comme elle faisait de l'hypertension artérielle gestationnelle, on s'en voulait un peu. On voulait la soulager, on lui faisait des courses, on allait chercher sa fille à l'école, par exemple."

Les futurs pères sont emmenés à la clinique en voiture par le mari de la mère porteuse. "On nous dit qu'une seule personne peut être au bloc pendant la césarienne. On est très déçus mais on dit évidemment à son mari d'y aller. Julien explique quand même au médecin que ce sont aussi nos enfants. Ils nous ont habillés comme des chirurgiens et on a pu assister à la naissance. Celle de mon fils d'abord, celle de ma fille ensuite." C'était un vendredi, à 9h17.

Après l'accouchement, Xavier assure n'avoir eu aucune crainte quant à une éventuelle marche arrière de la mère porteuse, "à aucun moment elle ne nous a fait douter". "On ne voulait pas gâcher le moment de la séparation, on lui a demandé ce qu'elle préférait. Elle nous a dit que nous allions voir les enfants en premier, puis qu'on lui amènerait à son retour en chambre".

Tuto YouTube

Les deux pères se retrouvent avec leurs nouveau-nés dans un appartement loué. Ils voient la mère porteuse tous les deux jours car cette dernière tire son lait. Comme tous nouveaux parents, vient ensuite le temps des grandes premières. "J'étais complètement paniqué pour le premier bain, j'avais peur que ce soit trop chaud, trop froid, j'avais peur de les lâcher dans l'eau. Notre plus grand professeur a été YouTube !", s'amuse Xavier.

Le couple a fait le choix de garder contact avec celles qu'il qualifie d'"héroïnes", la donneuse et la mère porteuse. Ils échangent des nouvelles, s'envoient des photos par mail, Skype, Facebook, au moins une fois par mois. "Depuis qu'ils sont bébés, ils savent comment ils sont nés, ils connaissent les photos, ils connaissent ces femmes extraordinaires qui ont pu sceller notre famille", indique Xavier.

Des enfants américains, fantômes de la République

Pour la France, ils ne sont pas nos enfants

Âgés de 3 ans et demi aujourd'hui, les faux jumeaux sont américains, ils ne sont pas inscrits à l'état civil français. "Pour la France, ils ne sont pas nos enfants, nous ne sommes rien pour eux, alors que sur l'acte de naissance américain, on l'est", regrette Xavier. Pour l'heure, le couple ne souhaite pas entamer de démarches pour faire évoluer la situation. Comme le sperme de chacun des hommes a fécondé deux ovocytes, Xavier est génétiquement le père de son fils, son mari est celui de sa fille. "Nous n'acceptons pas que l'un de nos enfants le soit moins que l'autre, et comme nous ne pouvons pas figurer tous les deux sur l'acte de naissance des deux enfants (pour l'instant, un second père ne peut figurer sur la transcription en français d'un acte de naissance étranger, NDLR), nous préférons attendre que les choses évoluent", précise le trentenaire. La circulaire que prépare le ministère pourrait bien être le changement que le couple attend.

L'autre combat se joue sur le terrain des mœurs. Xavier s'avoue "pessimiste", et n'est pas certain que celles et ceux "avec des stéréotypes en tête" changent. Les générations futures, peut-être. Après la GPA, Xavier a connu des réactions violentes. Il n'a plus de nouvelles de certains membres de sa famille, "comme depuis mon mariage d'ailleurs". "Dans mon salon de coiffure, des client(e)s m'ont dit "plus jamais je ne viendrai, je ne donne pas mes sous pour que l'on aille acheter des enfants à l'étranger", ou encore "je vous croyais intelligent". J'ai fermé le salon depuis".

Pour l'heure, il le martèle : "J'aimerais simplement que les gens comprennent qu'on s'aime d'amour, que nous ne sommes pas des pervers. Qu'ils comprennent qu'on veuille des enfants, qu'on veuille connaître ce que les hétérosexuels connaissent".

* Les prénoms ont été modifiés.

Initialement publié le 15 octobre 2018, cet article a fait l'objet d'une mise à jour.

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269 commentaires
  • carmen mounia

    le

    tout le monde a droit au bonheur tant que c'est éthique! alors que les couples qui rêvent d'enfants s'interrogent sur la légalité et la sécurité des GPA aux USA ou en Ukraine, d'autres deviennent déjà parents. Regardez au moins cette vidéo où une mère heureuse raconte comment elle et son mari ont subi une GPA à la célèbre clinique A. Feskov https://youtu.be/As0RZWwx0WE , la France doit et ses parlementaires doivent se bouger comme on le voit ailleurs

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