La prohibition du cannabis, consensus mondial depuis plus d’un siècle, serait-elle en train de partir en fumée ? Avant le Canada, qui a légalisé le cannabis depuis le 17 octobre 2018, l’État de Californie avait légalisé cette drogue le 1er janvier, cette hypothèse commence à prendre corps.
Elle était pourtant encore farfelue quand l’Uruguay a ouvert la voie, en 2013, en légalisant de façon encadrée la culture et la consommation de cannabis. Si cette drogue douce se consomme depuis des siècles sous différentes formes pour des usages récréatifs ou thérapeutiques, elle était prohibée dans la quasi-totalité des pays du monde.
Mais contrairement à une idée répandue, cet état de fait était relativement récent dans l’histoire humaine. L’une des premières lois de prohibition du cannabis a été votée en Egypte en 1868, mais la plupart des pays occidentaux n’ont suivi que dans les années 1920 ou 1930, et la prohibition ne s’est vraiment mondialisée qu’après-guerre, comme le rappelle le Transnational Institute dans un rapport sur la question.
Le cannabis légalisé pour 1,5 % de la population mondiale
Au tournant du XXIe siècle, le constat d’échec à l’égard des politiques répressives a conduit les autorités de plusieurs pays à s’interroger sur l’opportunité de politiques alternatives, basée sur l’idée suivante : puisque nous n’arrivons pas à enrayer les trafics et à dissuader les consommateurs, acceptons cette consommation pour mieux l’appréhender et améliorer la prévention.
Si la question de la légalisation agite le débat politique de nombreux pays, peu d’entre eux semblent aujourd’hui prêts à franchir le pas. Seule la Nouvelle-Zélande a officiellement engagé le processus, avec un référendum sur la question prévu d’ici à 2020.
La dépénalisation, une solution intermédiaire qui séduit
En revanche, un grand nombre de gouvernements ont fait un autre choix pour desserrer l’étau répressif : la dépénalisation. La consommation et/ou la culture du cannabis restent officiellement illégales, mais elles sont tolérées ou soumises à des peines beaucoup moins lourdes, allant de la simple amende aux travaux d’intérêt général, en passant par la prescription d’une cure de désintoxication. Dans l’immense majorité des cas, cette politique de tolérance est réservée à la consommation personnelle de drogue, en petites quantités, et n’exonère pas les trafiquants. Elle maintient aussi souvent d’importantes contraintes pour les usagers (interdiction de fumer en public en Espagne et en Ukraine, pénalisation en cas de récidive en Italie, en Israël et en Lettonie, etc.).
Cette solution intermédiaire, généralement motivée par des visées pragmatiques, a séduit de nombreux gouvernements d’Europe et d’Amérique depuis le début du siècle. Pour plusieurs Etats américains, cela a représenté une première étape avant la légalisation pure et simple.
Le cannabis thérapeutique toujours peu accessible
Au-delà de l’enjeu récréatif, la question du cannabis se pose également sur un plan médical. De nombreux malades réclament, en effet, d’accéder à la marijuana ou aux dérivés du cannabis, non pas pour « planer » mais pour soigner ou atténuer douleurs, nausées, vomissements ou manque d’appétit. Cet usage, déjà connu chez les Romains et redécouvert au milieu du XIXe siècle par le médecin irlandais W. B. Shaughnessy, est appuyé par des recherches récentes, qui montrent qu’il peut être utilisé comme bronchodilatateur (pour l’asthme), antispasmodique (Parkinson ou sclérose en plaques) ou comme vasodilatateur (pour le glaucome).
Cette reconnaissance progressive des vertus thérapeutiques du cannabis a conduit, ces dernières années, de nombreux gouvernements à infléchir leur législation pour le rendre accessible aux malades. Mais derrière la quarantaine de pays concernés par le « cannabis thérapeutique » se décline une grande variété de situations : il est vendu en pharmacie sans ordonnance en Macédoine, cultivé par l’armée en Italie, mais accessible seulement sur prescription en Argentine, et seulement sous forme de spray au Brésil. En Hongrie, certains médicaments à base de cannabis sont accessibles aux patients atteints de sclérose en plaque, mais seulement après une validation, au cas par cas, des autorités.
La France isolée en Europe
L’Hexagone, bien que souvent cité comme le plus gros consommateur d’Europe de cannabis – en particulier dans sa version récréative – fait figure de quasi-exception sur le continent. Aucun gouvernement n’a jamais avancé vers la dépénalisation ou la légalisation, même si Emmanuel Macron a annoncé que les consommateurs seraient bientôt punis d’une simple contravention.
Seule l’utilisation thérapeutique est légale en France, depuis 2013. Mais un seul médicament ayant reçu une autorisation de mise sur le marché (le Marinol), cette légalisation est toute relative : le Sativex, l’un des médicaments souvent utilisés pour traiter la sclérose en plaques, reste, par exemple, interdit. Cette situation, régulièrement critiquée par les associations et certains professionnels de santé, commence à faire figure d’exception en Europe, où les législations se sont fortement assouplies depuis le début des années 2000.
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