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Le Sénat rejette la création d’une commission d’enquête sur la pédophilie dans l’Eglise

Les sénateurs socialistes regrettent une opportunité manquée de faire la lumière sur les dysfonctionnements de la justice.

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Publié le 17 octobre 2018 à 12h53, modifié le 18 octobre 2018 à 06h34

Temps de Lecture 4 min.

Messe en hommage aux victimes du père Preynat, accusé de pédophilie, à Sainte-Foy-lès-Lyon près de Lyon, en novembre 2016.

Il n’y aura pas de commission d’enquête sur la pédophilie dans l’Eglise. Lancée par une pétition de l’hebdomadaire Témoignage chrétien, cette idée vient de buter contre les murs du Sénat après avoir été abandonnée à l’Assemblée nationale.

Les sénateurs débattaient de cette proposition, portée par les socialistes, mercredi 17 octobre au matin en commission des lois. A l’issue de la réunion, elle a été jugée irrecevable par une majorité d’élus. Ceux de la droite et du centre s’y sont opposés, tandis que leurs collègues socialistes, communistes et de La République en marche (LRM) ont voté pour. Les radicaux de gauche se sont, eux, abstenus.

La raison invoquée par la droite est technique. Selon le président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas (Les Républicains, LR), la demande déposée par les socialistes n’est pas recevable pour des raisons juridiques qui tiennent à l’encadrement des commissions d’enquête. Celles-ci ne peuvent pas porter sur des faits qui font l’objet de poursuites judiciaires, ce qui est le cas selon l’avis de la garde des sceaux Nicole Belloubet, invoqué par M. Bas. « Tous les arguments sont des écrans de fumée », affirme de son côté Laurence Rossignol, sénatrice socialiste de l’Oise, signataire de la pétition de Témoignage chrétien. « Il y a des faits prescrits », rappelle-t-elle.

Un grand embarras dans le monde politique

Les socialistes souhaitaient par ailleurs que la commission d’enquête porte plus largement sur le « traitement » des abus sexuels par l’Eglise catholique et non pas la révélation de nouveaux faits. « Le résultat du vote de ce matin traduit une réponse purement politicienne à une demande légitime portée par de nombreux acteurs », a dénoncé le groupe socialiste au Sénat dans un communiqué mercredi matin.

« L’histoire retiendra que le Sénat, après s’être grandi au moment de l’affaire Benalla, fait preuve de faiblesse en refusant la création d’une commission d’enquête », s’est indignée pour sa part la sénatrice socialiste de Paris Marie-Pierre de La Gontrie sur Twitter. « Ce vote est un mystère alors que les catholiques sont pour », renchérit-elle auprès du Monde, un sondage du Parisien à l’appui, montrant que 87 % soutenaient l’initiative de Témoignage chrétien.

Ce débat traduit en fait le grand embarras dans lequel la pétition a plongé le monde politique. Dans le contexte des révélations qui se sont multipliées sur les actes de pédophilie dans l’Eglise, il est difficilement soutenable pour les élus de ne pas donner suite à cet appel.

Ne pas « stigmatiser » l’Eglise catholique

Le débat a d’ailleurs traversé les deux assemblées parlementaires. Au Palais-Bourbon, le groupe des députés socialistes avait aussi tenté de s’en emparer, mais avec des pincettes. Il avait d’abord proposé que l’institution elle-même le porte plutôt qu’eux-mêmes, ce que le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, avait rejeté.

Les députés socialistes proposaient, en outre, d’élargir le champ de l’enquête non plus uniquement à l’Eglise mais à tout type de structure accueillant des enfants (éducation nationale, clubs sportifs, etc.). Un souhait partagé par leurs collègues communistes qui avaient débattu de l’opportunité de répondre à l’appel de Témoignage chrétien.

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A l’arrière-plan, la volonté de ne pas « stigmatiser » l’Eglise catholique, relatent plusieurs parlementaires. L’initiative n’avait finalement pas abouti à l’Assemblée et avait rebondi au Sénat. Au Palais du Luxembourg, les socialistes avaient pris le parti de circonscrire le champ de la commission d’enquête à l’Eglise catholique. En vain.

Une proposition de compromis

Afin de ne pas donner l’impression de se désintéresser du sujet, les sénateurs de droite ont brandi une proposition de compromis. A l’invitation de Philippe Bas, ils ont voté en faveur de la mise en place d’une mission d’information qui s’intéressera plus largement à la prévention de la pédophilie dans les institutions accueillant des enfants.

« La droite essaie de sauver la face », a tweeté Marie-Pierre de La Gontrie. « Nous avons fait la seule proposition qui puisse prospérer, se défend Philippe Bas auprès du Monde. Il y avait une impasse [la position des socialistes] et quelque chose d’efficace [la sienne]. Les socialistes ne sont pas à la hauteur des attentes en proposant quelque chose d’impossible. »

« Ils noient le poisson », tempête encore Mme de La Gontrie. « Une mission d’information n’a pas les mêmes pouvoirs qu’une commission d’enquête », renchérit Mme Rossignol. La seconde a notamment un pouvoir de convocation et les personnes interrogées prêtent serment, ce qui n’est pas le cas pour la première. « C’est pratiquement la seule différence, la mission d’information aura exactement les mêmes possibilités de mettre à jour la vérité », assure de son côté M. Bas.

« Il y a deux poids deux mesures »

« Ils veulent échapper à des auditions qui gêneraient l’Eglise catholique », s’indigne encore Mme Rossignol. « Aucunement !, se défend Philippe Bas. Quand nous examinons de sujets de protection des enfants, nous ne voyons que des citoyens. » « Mais notre mission n’est pas d’exhumer le passé de l’Eglise, nous ne sommes pas des historiens », ajoute-t-il. « S’il y a des problèmes à régler entre fidèles de l’Eglise catholique, c’est à eux de mener ce combat. » « On a vu que l’Eglise est incapable de faire ce travail », estime au contraire Mme Rossignol, qui regrette qu’avec cette décision « on entretienne l’omerta et l’opacité ».

Alors que le Sénat est sur le point d’achever ses travaux dans le cadre de l’affaire Benalla, les macronistes, ultraminoritaires au Palais du Luxembourg tiennent, eux, leur revanche. « Avoir passé soixante heures d’audition sur l’affaire Benalla et rejeter ce sujet qui touche des milliers de Français… Il y a deux poids deux mesures », s’indigne le président du groupe LRM au sein de la Haute Assemblée, François Patriat, pour qui « le Sénat, qui voulait apparaître comme l’assemblée du recul et de la réflexion, se discrédite ».

La droite sénatoriale se retranche, elle, derrière la Constitution et la séparation des pouvoirs pour justifier son choix. Les socialistes pour leur part ruminent un vieil adage : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires. »

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