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Inondations et réchauffement climatique : pourquoi le sud de la France est loin d'en avoir fini avec les catastrophes
Quatorze personnes ont perdu la vie dans les intempéries ayant touché le département de l'Aude.

Inondations et réchauffement climatique : pourquoi le sud de la France est loin d'en avoir fini avec les catastrophes

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Après les inondations qui ont touché l'Aude ce lundi 15 octobre, faisant au moins 14 morts, les spécialistes de la question s'accordent à dire que le pourtour méditerranéen est la zone la plus exposée aux effets du réchauffement climatique. Les épisodes pluvieux "exceptionnels" pourraient être beaucoup plus fréquents à l'avenir.

L'"exceptionnel" deviendra-t-il bientôt la norme ? Les habitants du département de l'Aude ont eu à faire face à des précipitations "records" ce lundi 15 octobre et jugées cette fois particulièrement "inquiétantes", de l'avis de tous les prévisionnistes et spécialistes de la question. Sur la ville la plus touchée, Trèbes, il est tombé 295 millimètres entre minuit et six heures. Sur tout le département, l'équivalent de trois mois de pluie ont été enregistrés sur ce même laps de temps, selon Météo France. Quatorze personnes ont perdu la vie dans ces intempéries. L'alerte rouge désormais levée, l'heure est aux questions : le pourtour méditerranéen doit-il craindre les années à venir ? Le sud de la France sera-t-elle la zone du territoire la plus exposée aux effets du réchauffement climatique ? Climatologues, hydrologues et géographes sont unanimes : les phénomènes de ce type vont peu à peu gagner en intensité. Les inondations et leurs dégâts pourraient se multiplier. La cause : la hausse des températures dans l'atmosphère. Explications.

"Les températures augmentent, les pluies gagnent en intensité et les dégâts sont considérables"

Ces épisodes n'ont, à l'origine, rien d'inhabituel. Chaque automne, la Provence, l'Ardèche et le Languedoc connaissent de violents épisodes orageux appelés "épisodes cévenols". Après l'été, des remontées d'air chaud humides et instables en provenance de la mer entrent en contact avec les reliefs montagneux. Ces nuages, chargés, se refroidissent alors très rapidement et déversent une pluie intense, violente et localisée. "Des épisodes cévenols, il y en a chaque année, explique Françoise Vimeux, climatologue à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), à Marianne. Mais celui-ci a atteint une certaine violence pour plusieurs raisons. D'abord, ces masses d'air chaud ont récupéré une queue de cyclone, Leslie. Le fait de croiser Leslie a intensifié cet épisode. Mais ce sont surtout les températures extrêmement chaudes de cet été qui ont joué un rôle majeur dans ces précipitations."

En effet, plus l'eau de la Méditerranée est chaude l'été, plus il y a de vapeur d'eau stockée dans l'atmosphère. Et donc, potentiellement, plus de précipitations à l'automne. C'est ce qu'il s'est passé cette année. Au mois de juillet et août, un phénomène de canicule marine a été observé sur la côte méditerranéenne. En moyenne, les températures relevées ont dépassé la normale de trois degrés. "C'est une bonne illustration des évènements plus extrêmes qui nous attendent, ajoute la climatologue. Les températures augmentent, les pluies gagnent en intensité et les dégâts sont considérables..."

D'après les prévisions du Groupe d'experts indépendants sur l'évolution du climat (GIEC), les températures pourraient augmenter, dans le pire des scénarios, de 4,8° d'ici 2100. Cela dépendra évidemment de la quantité de gaz à effet de serre émise ces prochaines décennies. "Avec ces inondations, on observe la réalisation d'une sorte de scénario catastrophe pour l'environnement. Ce que l'on redoutait prend forme", estime Antoine Colmet-Daage, docteur en hydrologie, à Marianne.

Et c'est le sud, plus que tout autre zone du territoire, qui pourrait continuer à en payer le prix fort si les températures augmentent comme l'annoncent les prévisions. "Ailleurs, des crues peuvent et pourront être observées. Mais elles seront toujours lentes, on l'a vu cette année avec celle qui a touché la Seine par exemple, expose l'hydrologue. Dans le sud, la sécheresse qui va s'installer, et ses températures très élevées, vont amplifier l'apparition de crues éclairs meurtrières..." "Le relief et la météorologie de ces territoires en font une zone propice aux évènements de pluie extrêmes, observe Françoise Vimeux. Mais le réchauffement climatique va venir amplifier cette base, cette propension naturelle à récupérer des pluies."

Des "précipitations extrêmes" en augmentation depuis 1961

Une évolution à venir qui se place dans la continuité des tendances constatées ces dernières années. Selon les travaux de Robert Vautard, chercheur au CNRS au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, l'intensité des "précipitations extrêmes" aurait augmenté de "22% sur la période 1961-2015". Et d'ici la fin du siècle, cette fois selon un article publié dans la revue spécialisée Climatic Change le mois dernier par Samuel Somot (chercheur au centre national de recherches météorologiques) et Yves Tramblay (hydrologue au laboratoire HydroSciences), une intensification des pluies extrêmes située autour de "20% en moyenne" devrait être observée dans le sud de la France, mais aussi au nord de l'Italie et dans les Balkans. Une augmentation qui pourrait même atteindre 100% dans certains bassins, notent les chercheurs.

Ces conditions climatiques nouvelles devraient perturber, voire menacer, les cultures propres à ces territoires. Si la pluie tombera en plus grande quantité, les jours qui connaîtront des précipitations seront en revanche moins nombreux. "Nous verrons des phénomènes très brutaux mais plus rares, rapporte Magalie Reghezza, géographe et maître de conférences à l'École normale supérieure (ENS), spécialisée dans les risques liés à l'environnement, à Marianne. Nous allons donc nous retrouver avec des problèmes de pénurie d'eau les trois quarts de l'année avant de recevoir trop d'eau pour pouvoir la stocker convenablement." Selon elle, l'agriculture locale va donc devoir s'adapter. Elle qui "s'est développée grâce aux progrès de l'irrigation" va donc devoir faire avec moins d'eau... "Si les conditions climatiques changent, la société est contrainte de suivre le mouvement, poursuit-elle. C'est vrai pour l'agriculture, ça l'est aussi pour l'urbanisme. Le problème, c'est que ces conditions vont changer trop vite par rapport aux capacités d'adaptation de notre société... Le sud va devoir affronter un défi immense dans les prochaines années."

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne