LGBTphobie"A toi qui, parce que tu es lesbienne, trans', bi ou gay, ne vivras jamais complètement en sécurité"

Par Rozenn Le Carboulec le 17/10/2018
homophobie

Voilà maintenant près d'un mois qu'Arnaud Gagnoud, comédien, a subi une violente agression homophobe à Paris, alors qu'il prenait son compagnon dans ses bras. Un énième acte de haine, alors que les agressions LGBTphobes se multiplient ces derniers mois et dernières semaines. Pas plus tard que ce 16 octobre, Guillaume Mélanie, président d'Urgence Homophobie, a reçu un coup de poing au visage. Face à cette recrudescence inquiétante d'actes homophobes, Arnaud Gagnoud a pris la plume pour TÊTU, dans une tribune volontairement provocatrice, pour sommer les pouvoirs publics de réagir.

« A toi, qui te fera agresser dans quelques jours, quelques mois ou quelques années.

A toi, qui parce que tu es lesbienne, transgenre, bi.e ou PD, ne vivras jamais complètement en sécurité.

A toi, je veux t'écrire aujourd'hui ces quelques mots.

Comme un guide pratique sur l'agression homophobe ou transphobe que tu vas vivre. Comme le tome 1 du petit manuel de la vie quotidienne d'un homosexuel en France en 2018.

« Crier, le plus fort possible »

Sache, tout d’abord, que tes agresseurs seront lâches et rapides. Ils t’attaqueront sans prévenir en plein milieu de la discussion (s’ils prennent le temps de t’insulter avant). Tu pourras parer un ou deux coups, mais leur lâcheté les poussera à tous t’attaquer en même temps. Et il est impossible de rendre les coups quand un mec te frappe avec son casque au visage et que deux ou trois autres te martèlent de coups de pieds le milieu du dos et les omoplates.

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Rester debout, tenir sur tes deux jambes : c’est l’objectif que tu dois viser dans l’immédiat. Ne pas les laisser te faire tomber au sol, car là, les coups de pieds seront destructeurs. Et tout en te maintenant debout, pense à te protéger la tête. C’est le deuxième objectif.

« Je n’ai pas réussi à crier. Je m’y étais pourtant préparé depuis des mois. Et rien n’est sorti de ma bouche »

Enfin, troisième et dernier objectif : crier. Le plus fort possible. Pour que des gens viennent à ton secours. Là, je t’avouerai mon échec cuisant : je n’ai pas réussi à crier. Je m’y étais pourtant préparé depuis des mois. Et rien n’est sorti de ma bouche. Aucun son. Heureusement pour moi, les spectateurs du théâtre sont arrivés. En criant, eux. Ils nous ont probablement sauvé la vie, à Rémi et à moi.

Mais tu n’auras peut-être pas cette chance d’avoir du monde à proximité. Alors, crie ! Crie pour les faire venir.

« Il y aura des cons partout »

Une fois l’agression passée, que dois-tu faire ? Il faut que tu appelles les pompiers pour constater les blessures, t'apporter les premiers soins, et te transporter à l'hôpital. Il faut que tu te fasses soigner aux urgences de l'hôpital public. Il faut que tu portes plainte au commissariat le plus proche.

Je sais, tu as peur des remarques et des comportements déplacés. Des petites phrases du style 'vous l'avez bien cherché, quand même ?'. Peur que la police refuse de t'écouter, se moque de toi, ou classe directement l'affaire sans suite.

Mais les services publics français ont changé. Et je me dois de remercier ici les sapeurs-pompiers de Paris, les urgences de l'hôpital Tenon, et l'ensemble du commissariat du XXe arrondissement de Paris, pour l'écoute, l'attention, et le respect qu'ils nous ont témoignés à chaque étape de cette maudite soirée et des jours qui ont suivi.

Oui, peut-être que nous avons eu de la chance. Peut-être, et même sûrement, que cela ne se passe pas partout comme ça en France. Je comprends tes craintes. J'ai eu les mêmes. Mais il y aura des cons partout. Et tu dois savoir dès maintenant que tu pourras être reçu par ces cons (peut-être également homophobes) dans un des services publics.

Ce fut également notre cas, deux jours plus tard, au service de la médecine judiciaire de l’Hôtel-Dieu de Paris. Ce ne sera vraiment pas agréable à vivre. Se retrouver face à un prétendu médecin qui se moquera de toi, t’humiliera et rigolera ouvertement à ce qui t’arrive.

Comme une seconde agression. Un crachat en pleine figure.

« En parler, le plus possible »

Il arrivera un moment où tu te poseras la question de ce que tu fais avec ton histoire. Est-ce que tu en parles ? A ta famille, à tes amis, à tes collègues de travail ? Est-ce que tu postes la photo de tes blessures sur les réseaux sociaux comme Wilfred de Bruijn en 2013 ? Est-ce que tu acceptes de donner des interviews aux médias par la suite ?

« Publier chaque photo, de chaque agression homophobe ou transphobe, jour après jour »

Mon opinion personnelle est qu’il faut en parler, le plus possible. C’est le seul moyen pour réveiller l’opinion publique et faire un peu bouger les lignes. Publier chaque photo, de chaque agression homophobe ou transphobe, jour après jour. Pour que les hétéros comprennent enfin ce que nous vivons. Qu’ils comprennent que le mythe de l’égalité entre hétérosexuels et homosexuels est une chimère avec laquelle ils s’abreuvent pour ne pas voir les coups que nous recevons chaque jour qui passe, pour ne pas voir nos souffrances et nos désillusions.

Mais il s’agit là de prendre une décision importante qui va profondément modifier ta vie quotidienne. Alors, tu as le droit de ne pas être d’accord avec Rémi et moi, de ne pas faire comme nous. Evidemment ! Et quelle que soit ta décision, ce sera la bonne décision. Parce que ce sera ton choix, pour toi, à ce moment-là de ta vie.

« Il faut que tu te prépares psychologiquement »

Cependant, si tu fais le choix de publier ta photo sur les réseaux sociaux et de répondre aux médias, voilà les conseils que je peux te donner. Il faut que tu te prépares psychologiquement. Prépare-toi à recevoir des messages de haine, des moqueries, des insultes et des menaces.

Mais prépare-toi également à recevoir des centaines de messages de soutien de la part d’inconnus. Des milliers de messages qui feront planter ton téléphone, ta tablette et ton ordinateur, eux-mêmes dépassés par le trop grand nombre de nouvelles notifications à chaque allumage. Prépare-toi à être reconnu dans les transports en commun, dans les lieux publics, ou dans la rue. A ce que des gens te témoignent leur soutien en silence, par un regard franc accompagné d’un immense sourire qui te fera pleurer de joie.

Prépare-toi à ce que d’autres aient des mots parfois maladroits, tournant autour du pot, n’osant pas évoquer l’agression verbalement. Parfois tu auras peur, parfois tu auras envie de partir en courant.

Prépare-toi à recevoir des messages de soutien de la part de femmes et d’hommes politiques connus. Certains le feront discrètement, d’autres essayeront de te récupérer publiquement.

« Alors, surtout, prépare-toi bien à l’atterrissage »

Prépare-toi enfin au jeu des médias qui se serviront autant de toi pour l’audimat et les clics, que tu te sers d’eux pour faire bouger les lignes. Sache qu’au bout d’une semaine, ce tourbillon se calmera. Et au bout de trois semaines, tout redeviendra comme avant.

Alors, surtout, prépare-toi bien à l’atterrissage. Garde un peu d’énergie de côté pendant ces jours d’intense activité. Pour ne pas te faire mal lorsque tu te retrouveras tout seul, face à toi-même et à tes blessures qui elles ne te quitteront plus jamais.

« Tu attendras avec angoisse l’agression suivante »

Et puis tu attendras avec angoisse l’annonce de l’agression homophobe suivante. Lorsque tu comprendras que la violence que tu as vécue ne s’arrêtera pas. Ne s’arrêtera jamais.

Les médias auront beau s’être étonnés de l’agression à laquelle tu as fait face. Ta famille, tes amis, et les citoyens, auront beau t’avoir écrit qu’ils n’imaginaient pas l’homophobie encore si présente et si forte en France en 2018. Tu auras la confirmation que cette violence, cette haine des PD est là, bien ancrée. Grandissante. Et que rien, vraiment rien, ne l’arrête.

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Les politiques se sont mobilisés ? Oui, sur Twitter. La société s’est remise en question ? Oui, quelques minutes. Et tu seras saisi d’effroi quand tu te rendras compte que l’agression homophobe qui suit la tienne est encore plus violente, encore plus destructrice, et que finalement tu as eu de la chance.

« Nous nous ferons tous insulter »

Avec Rémi, nous nous sommes faits agresser le 18 septembre. En quatre semaines, il y a eu cinq autres agressions homophobes médiatisées, quatre à Paris et une à Lyon. Plus d’une agression par semaine. Et combien passées sous silence ?

Enfin, je te conseille, lecteur, de garder toujours précieusement ce petit guide près de toi. Puisque les choses ne bougent plus depuis la promulgation du mariage pour tous. Puisque, depuis cette date, on considère que les minorités sexuelles et sentimentales sont à égalité avec les hétéros. Et puisque, de fait, nous ne sommes pas du tout à égalité avec eux.

Pense aux débats qui arrivent. La PMA, la GPA, le don du sang. Ces débats qui déclencheront une nouvelle vague de haine, avec laquelle les femmes et les hommes politiques joueront.

Il est certain, alors, que tu te feras insulter. Que nous nous ferons tous insulter. Il est certain, alors, que tu te feras casser la gueule. Que nous nous ferons tous casser la gueule. Alors, au 1er janvier, ce petit guide pratique sera malheureusement toujours utile. Il suffira de barrer 2018 et de le remplacer par 2019. Et ainsi de suite. »

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Chaque mercredi, retrouvez «NRV ET TÊTU », la chronique de TÊTU dans « Le Nouveau Rendez-Vous », l'émission de Laurent Goumarre sur France Inter. Ce 17 octobre, elle est consacrée au témoignage d'Arnaud Gagnoud :

Crédit photo : Arnaud Gagnoud.