Le South China Morning Post a révélé dans son édition du 6 octobre la détention à Pékin de Meng Hongwei, le président d’Interpol et vice-ministre chinois de la Sécurité publique.

Un coup de tonnerre, tant l’élection de Meng Hongwei à la tête d’Interpol en novembre 2016 était un signe de l’influence que Pékin souhaitait gagner sur la scène internationale.

Zhao Kezhi, le ministre chinois de la Sécurité publique, confirmait l’information dès le lendemain en accusant le président d’Interpol de malversations.

La disgrâce de Meng a été mise en œuvre sous la houlette du Comité national de surveillance. Créé en mars, c’est un outil de la lutte anticorruption, une priorité du président Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir en 2012.

Pour The Atlantic, la détention de Meng illustre à quel point “la participation chinoise, même au plus haut niveau des institutions internationales, continue d’être subordonnée au diktat du Parti communiste”.

Un contraste important, poursuit le titre, par rapport à l’attitude chinoise sous les présidences de Hu Jintao et de Jiang Zemin, périodes durant lesquelles la Chine faisait montre de respecter les règles internationales. The Atlantic poursuit :

Les circonstances dans lesquelles Meng a disparu mettent en lumière l’importance prééminente du parti sur Meng, alors qu’il était à la tête d’une institution supposément neutre politiquement.”

Courrier International a rencontré, le 16 octobre, Grace Meng, la femme de Meng Hongwei, à Lyon, où se trouve le siège d’Interpol et où elle vit. Le 25 septembre, elle a vu pour la dernière fois son mari avant son départ pour la Chine. Le 4 octobre, elle a porté plainte devant la police française pour disparition inquiétante. Ce jour-là, ses deux téléphones portables sont tombés en panne. Personne ne lui répondait au bureau de la présidence d’Interpol.

Elle a quitté son domicile pour aller vivre à l’hôtel. Elle vit depuis sous protection policière avec les deux enfants du couple, des jumeaux âgés de 7 ans. Elle accuse la Chine de la menacer et de ne pas respecter le droit international dans la mise en cause de son mari.

L’entretien s’est tenu en partie en chinois et en partie en anglais.

Courrier international : Pensez-vous revoir votre mari ?

Grace Meng : C’est une question si dure pour moi. Je ne sais pas.

Avez-vous de ses nouvelles ?

Je n’ai aucune nouvelle.

L’ambassade de Chine en France m’a contactée en disant que mon mari m’avait écrit une lettre. Je leur ai dit que je souhaitais récupérer cette lettre en étant accompagnée, devant témoins.

Depuis, je n’ai plus de nouvelles de l’ambassade. Plus personne ne m’a contactée. De plus, tous mes moyens de communication vers la Chine ont été coupés. Mon téléphone chinois ne fonctionne plus.

Comment vivez-vous aujourd’hui ?

Un brouillard enveloppe désormais ma vie. Je ne sais pas ce qui va se passer

Comment vont vos enfants, âgés de 7 ans ?

Mes enfants ne savent rien. Ils sont jeunes. Je leur ai juste dit que leur père est en voyage pour son travail. Aujourd’hui [16 octobre], mon fils a fait un dessin pour son père. Il savait qu’il devait être de retour pour un exercice de lutte antiterroriste à Lyon.

Que pensez-vous de la réaction d’Interpol ?

Parlons plutôt de celle de la France. La France a fait tant d’efforts pour nous aider. Le peuple français, nos amis nous protègent et nous aident selon leurs possibilités. Nous remercions les autorités françaises du fond du cœur. Mais je sens que la France subit une énorme pression chinoise. [Elle ne souhaite pas en dire davantage.]

Je suis femme de policier, je connais le travail très difficile et tendu des policiers qui assurent notre sécurité dans ces circonstances extrêmes. Leur travail est ultra-dur.

Aviez-vous un pressentiment sur ce qui pouvait arriver à votre mari ?

Non. Franchement, nous n’avons jamais pensé à ça. M. Meng est une personne intègre. La théorie du complot, ce n’est pas sa tasse de thé. Il est très brillant et honnête. Il a travaillé pendant de nombreuses années dans la police mondiale, et puis il est maintenant l’[ex-]président d’Interpol. Y compris à Interpol, son prestige, sa crédibilité, sa manière de bien traiter les gens et les affaires sont reconnus.

[Elle dément la suspension de son mari du bureau du Comité du Parti communiste au sein du ministère, qui serait intervenue en avril 2018.]

La nomination de M. Meng au poste de président d’Interpol a créé des polémiques dans les pays occidentaux. Notamment de la part des organisations non gouvernementales, inquiètes de l’influence du régime chinois sur cette organisation de coopération en matière de police. Pensez-vous que cette inquiétude soit justifiée ?

Je ne peux pas répondre à cette question. J’attends d’en savoir plus sur la situation de mon mari.

Vous avez lancé sur votre compte Facebook une accusation contre Liao Jinrong, le directeur du Bureau de la coopération internationale du ministère de la Sécurité publique chinoise. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Liao Jinrong a mis en œuvre la “persécution politique” de mon mari. Le 5 octobre, quand le cabinet d’Interpol lui a demandé ce qu’il en était de la disparition de mon mari, Liao Jinrong a répondu qu’il était en vacances pour la fête nationale en Chine. En même temps, il a également demandé aux membres du cabinet combien de personnes étaient au courant de sa disparition. On lui a alors répondu que seul le personnel du cabinet l’était. [Conctactée, Interpol n’a pas répondu au moment où nous publions.]

Pourquoi souhaitez vous porter cette accusation ?

Je suis libre. je veux tout faire pour protéger et sauver mon mari. Jusqu’à maintenant, Liao Jinrong est un homme de l’ombre. Or je l’accuse d’exécuter cette “persécution politique” de mon mari. Il s’agit pour moi de mettre son rôle en lumière, d’avoir des témoins, afin d’empêcher son action néfaste sur mon mari.

Que pensez-vous de l’accusation de corruption portée par les autorités chinoises à l’encontre de votre mari ?

Dans notre pays, le mot “anticorruption” est un autre nom pour dire “justice”. Maintenant, ce mot a été complètement sali.

La campagne anticorruption [lancée par Xi Jingping à son arrivée au pouvoir, en 2012] est devenue un outil de persécution politique, à tel point que l’on peut dire qu’il est devenu synonyme d’“accusations injustifiées”.

Dans la déclaration du ministère de la Sécurité publique chinoise au sujet de la détention de votre mari pour corruption, on peut lire cette phrase : “Le chantage avec le parti n’est pas permis”, sans que le parti précise la nature de cette accusation.

Je ne sais pas quelles sont les raisons de cette accusation. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas de réponse. J’aime mon mari, j’ai confiance en lui, et je le respecte.

Vous contestez l’accusation de corruption sur votre mari. Vous parlez d’une persécution politique, quels sont vos arguments ?

Nous n’avons jamais fait ce genre de chose ! Je n’ai pas d’arguments, c’est un fait. Cette accusation ne nous concerne pas. Je dis la vérité. Nous sommes transparents.

Mais quelles sont les raisons d’une telle accusation, alors ?

C’est une très bonne question. À cette question nous devons chercher une réponse ensemble. C’est pour cela que je la confie à la communauté internationale. Je souhaite alerter l’opinion internationale pour éviter que ce genre de chose ne se reproduise.

Interpol émet des notices rouges sur des personnes recherchées. Selon certaines sources, votre mari aurait eu des soucis du fait du retrait de la notice rouge concernant Dolkun Isa, le président du Congrès mondial ouïgour, un opposant au régime de Pékin ?

Non, il n’y a aucun lien entre cette affaire et les accusations contre mon mari. Il a respecté les directives d’Interpol. Il n’a rien fait de mal.

La Chine aurait-elle pu prendre ombrage de la levée de cette notice rouge ?

Je ne sais pas. Mon mari n’a fait que respecter les règles d’Interpol.

Vous sentez-vous aujourd’hui dans une position semblable à celle de Liu Xia ?

Qui est Liu Xia ?

[Elle demande deux fois en chinois. Nous lui expliquons que c’était de la femme de Liu Xiaobo, lauréat du prix Nobel de la paix en 2010, mort en août 2017 sans avoir pu quitter sa résidence surveillée, alors qu’il était en phase terminale de cancer].

La situation de ce couple ne vous intéresse pas ?

Auparavant, je consacrais mon temps à m’occuper de mes enfants et de mon travail. Ce n’est pas que je ne m’intéresse pas à ce genre de sujet, mais je lis peu.

En Chine, mon mari et moi n’appartenons à aucun camp politique. Ce que nous voulons, c’est une Chine plus ouverte, nous souhaitons que la Chine soit un pays de droit. Mon mari a toujours poursuivi cet objectif. En tant qu’épouse et femme, je fais ce que je peux pour le soutenir dans cette démarche.

Le président Xi Jinping exige une fidélité absolue. Cette exigence aurait-elle pu poser un problème à votre mari ?

Nous sommes absolument fidèles à notre patrie, à la Chine.