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«Jair Bolsonaro a un goût affiché pour la dictature»

Professeure de sociologie à l’Université fédérale de Rio de Janeiro, Graziella Moraes Silva enseigne actuellement au Graduate Institute de Genève

Jair Bolsonaro, au centre, lors d'une conférence de presse le 11 octobre 2018   — © AP
Jair Bolsonaro, au centre, lors d'une conférence de presse le 11 octobre 2018   — © AP

Le Temps: Jair Bolsonaro semble très populaire auprès des Brésiliens de Suisse…

Graziella Moraes: Oui, j’ai pu m’en rendre compte moi-même en allant voter à Genève. Je l’explique en partie par le rôle que jouent les Eglises évangéliques. Ces Eglises ont récemment affiché leur soutien à Bolsonaro. C’est un élément décisif, un «game-changer» si on veut. Au Brésil même, ce sont elles qui viennent en aide aux plus démunis, et qui tiennent la société à travers leurs réseaux. Et ce phénomène est encore plus fort à l’extérieur du pays, à Genève ou ailleurs, où les nouveaux arrivants brésiliens s’inscrivent souvent dans ces réseaux de solidarité.

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Ce qui saute surtout aux yeux, c’est le rejet du Parti des Travailleurs (PT). Quelles sont les raisons?

Le fait que (l’ancien président) Lula se soit retrouvé en prison a confirmé chez les gens l’idée que le PT était synonyme de corruption. Le discours de Bolsonaro trouve ici l’une de ses meilleures prises. Après Lula, Dilma Roussef a été élue contre la volonté de la classe politique. Notez que la présidente a complètement changé de discours au cours de son mandat, allant jusqu’à adopter des mesures très libérales. Mais l’image du PT est devenue celle d’un repaire de communistes qui veulent mettre à sac les richesses du pays.

Bolsonaro est-il un populiste, comme on les a vus surgir aussi en Europe ou aux Etats-Unis?

C’est incontestablement un populiste, en ce sens qu’il dit aux électeurs ce qu’ils veulent entendre. Il y a néanmoins des thèmes sur lesquels il est resté très constant pendant le quart de siècle qu’il a passé au parlement. La violence est l’un de ces thèmes, dont il a fait son fonds de commerce. De même, son discours opposé aux droits humain et son goût affiché pour la dictature apparaissent aussi constamment. Ce qui a changé, c’est sa conversion soudaine au libéralisme économique. Auparavant, il se montrait plutôt réceptif à la question des droits des travailleurs et des corporations, spécialement, il est vrai, lorsque cela touchait les militaires ou certaines catégories proches de ses intérêts. Mais il y a peu, il a conclu une alliance avec un économiste ultralibéral, Paulo Guedes, qui a fait ses classes à Chicago, à l’image des «Chicago boys» qui entouraient en son temps le dictateur chilien Augusto Pinochet.

Bolsonaro est une sorte de boule à facettes qui séduit des secteurs distincts avec des arguments très différents.

Pourquoi cette alliance?

Elle a immédiatement séduit les élites qui, jusque-là, avaient de la peine à acheter le modèle que leur servait Bolsonaro. Désormais, il fait le plein au sein des plus riches Brésiliens, ceux dont les revenus sont dix fois supérieurs au salaire minimum. De même, sa popularité est très haute parmi les porteurs d’un titre universitaire.

Ce ne sont pourtant pas ces groupes réduits qui vont le porter au pouvoir?

Bolsonaro est une sorte de boule à facettes qui séduit des secteurs distincts avec des arguments très différents. La classe moyenne, dans ce scrutin, veut donner le message qu’elle «souffre» par la dégradation de ses conditions de vie, de la même manière qu’elle peut le faire en Europe. Pour les classes plus basses, cela répond plutôt à un agenda «identitaire». La corruption, les questions de genre, le retour de l’autorité et la lutte contre le «désordre»…

Quels sont les dangers s’il était élu?

J’en vois trois principaux. D’abord, les recettes économiques qu’il veut appliquer, en termes fiscaux notamment, ne feraient qu’accroître les inégalités dans un pays qui est déjà l’un des plus inégaux du monde. Ensuite, cette élection peut avoir un impact énorme en termes d’environnement, avec les grands groupes qui auront les coudées franches, notamment en Amazonie. Enfin, et c’est sans doute le plus grave, la violence policière et les meurtres de jeunes noirs vont s’accroître. Aujourd’hui, déjà, la police est responsable de plus d’un quart des meurtres dans les favelas. Pour cette population, l’élection qui vient est une question de vie ou de mort.