Japon. L’emprise des yakuzas sur la classe politique

Par Agnès Redon

D’après les rares journalistes d’investigation que compte l’archipel, les relations entre le pouvoir japonais et la mafia ont conservé un fort degré d’intrication. Malgré les lourdes menaces qui pèsent sur ces enquêteurs, ils mettent régulièrement à jour des vastes réseaux de corruption politique.

Au Japon, les membres de Yamaguchi-gumi, une des plus grandes - et riches - organisations criminelles du monde, adoptent une rigueur militaire.
Au Japon, les membres de Yamaguchi-gumi, une des plus grandes - et riches - organisations criminelles du monde, adoptent une rigueur militaire. (Photo archives EPA)

De notre correspondante au Japon. Avec son dédale de 200 sorties et une fourmilière de quelque 2,5 millions de voyageurs, les repères se brouillent facilement dans la gare de Shinjuku, à Tokyo, la plus fréquentée du monde. À la sortie B13, menant tout droit vers Kabukicho, le quartier des plaisirs où les yakuzas font régner la loi du plus fort, c’est ici même que Shunsuke Yamaoka, 59 ans, a eu l’épaule fracturée et sept points de suture après une chute dans les escaliers de la station, en août dernier. Fondateur du site d’investigation Access Journal, Shunsuke Yamaoka enquêtait alors sur les liens de corruption entre le premier ministre, Shinzo Abe, et la mafia japonaise.


Une enquête gardée sous silence


Dans cette enquête que l’intégralité des grands médias nippons a préféré taire, Shunsuke Yamaoka forme depuis une vingtaine d’années un duo de choc avec Yu Terasawa, 51 ans, qui a consacré toute sa carrière à l’enquête de la corruption policière. Pour ce dernier, la chute de son confrère n’a rien d’accidentel : « La police a refusé d’enquêter sur cette affaire au motif qu’il n’y a pas de caméra de surveillance couvrant la zone dans laquelle il est tombé. Or, les faits se sont déroulés dans la gare la plus fréquentée du monde et la vidéo surveillance, bien que secrète au Japon, est massive et omniprésente. C’est extrêmement suspect, d’autant plus que Shunsuke fait régulièrement l’objet de menaces de mort sur cette affaire ».


Des rapports opaques avec la pègre


D’après l’Agence de la police nationale, pas moins de 39 000 yakuzas étaient encore en activité au Japon, en 2016. Malgré leur nombre en déclin, la mafia japonaise est une des plus grandes organisations criminelles mondiales et conserve une grande influence dans la vie politique du pays. Jake Adelstein, le journaliste auteur du best-seller autobiographique Tokyo Vice* en sait quelque chose. Gravement menacé il y a 10 ans par le célèbre Yamaguchi-gumi, le plus grand groupe criminel du pays, il confirme les relations opaques avec les politiciens : « les yakuzas ont toujours entretenu des liens historiques profonds avec la classe politique. Depuis l’accident de Fukushima en 2011, ils travaillent main dans la main sur des contrats de construction lucratifs et dans le recrutement des travailleurs du nucléaire ».

Certains hommes politiques cherchent tout de même à lutter contre l’influence de la pègre par la voie légale, mais c’est à leurs risques et périls, explique encore Jake Adelstein : « comme beaucoup d’hommes japonais, ils fréquentent les bars à hôtesses et les lieux de la prostitution. Or, les yakuzas collectent l’argent de ces clubs et ont accès aux informations de leurs clients, y compris les hommes politiques. Ces derniers savent que s’ils renforcent les lois contre les yakuzas, ceux-ci révéleront leurs secrets, et leur carrière sera anéantie ».


Tokyo Vice
publié en 2016, aux éditions Marchialy

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