Interview

«Une fois leur pécule épuisé, les migrants venus du Venezuela vivent dans la rue»

Directrice pour l’Equateur de l’ONG Care, Alexandra Moncada décrit la situation des migrants qui fuient un Venezuela en crise et les réponses qu’apportent les pays de la région à leur arrivée.
par François-Xavier Gomez
publié le 19 octobre 2018 à 19h36

En juillet, l'Equateur a recensé 5 000 arrivées de réfugiés du Venezuela par jour - un pic dû à la fin de l'année scolaire. Mais ce chiffre ne prend en compte que les entrées par les frontières officielles, souligne Alexandra Moncada, directrice pour l'Equateur de l'ONG Care, qui précise qu'un nombre indéterminé de migrants utilise aussi les trochas, des sentiers clandestins. De passage à Paris, elle décrit les efforts de la société civile et des dirigeants équatoriens pour accueillir ces migrants qui fuient le chaos sanitaire et social. Une situation qui concerne d'autres pays de la région, comme la Colombie, le Brésil ou le Pérou.

L’Equateur n’a pas de frontière avec le Venezuela. Pourquoi tant de réfugiés frappent-ils à votre porte ?

La grande majorité d’entre eux a d’abord traversé la Colombie en bus ou à pied. Quand le flux migratoire s’est intensifié en 2016, les réfugiés mettaient le cap sur le Pérou ou le Chili, où ils pensaient trouver les meilleures possibilités d’emploi et de couverture médicale. Ils savent désormais que cette image était idéalisée et sont de plus en plus nombreux à désirer rester dans les pays qui n’étaient au départ que des lieux de transit. La dollarisation (1) joue un rôle aussi, puisqu’elle facilite les envois d’argent à la famille restée au pays.

Quel est le profil de ces migrants ?

Il a évolué au fil du temps. Les réfugiés de 2016 venaient des classes moyennes ou aisées, certains gagnaient Lima ou Santiago en avion. Ils avaient des diplômes et des compétences qui leur permettaient de trouver du travail. Il y avait beaucoup d’hommes jeunes, partis seuls. Les migrants d’aujourd’hui sont plus pauvres et moins formés. Ce sont souvent des familles entières, voire des mineurs isolés.

Comment font-ils concrètement ?

Dans les entretiens que nous avons avec les nouveaux arrivants, ils nous disent qu’ils ont vendu tous leurs biens (maison, véhicule…) pour acheter un billet de bus vers une grande ville de Colombie. Leur pécule épuisé, ils vivent dans la rue, cherchent des petits boulots pour manger et, si possible, poursuivre leur voyage. Impossible de ne pas les voir dans les parcs publics ou en train de mendier aux feux rouges.

Les gouvernements de la région ont-ils apporté une réponse adéquate ?

Ils ont globalement tardé à réaliser l’ampleur de la crise, malgré les alertes des ONG. Et ils ont apporté des réponses isolées à un problème global. Pour améliorer la coordination, nous avons mis en place un groupe de 120 mouvements de la société civile et rencontré les médiateurs des pays d’accueil pour définir les besoins les plus urgents.

Quels sont-ils ?

La santé en premier lieu. Beaucoup de réfugiés arrivent malades, sans avoir eu accès à des traitements au Venezuela, où le système sanitaire s’est effondré. C’est notamment le cas des personnes séropositives. Le sexe transactionnel étant souvent le seul moyen de se procurer de l’argent, nous constatons une recrudescence des maladies sexuellement transmissibles.

Les enfants réfugiés ont-ils accès à l’éducation ?

La Constitution de l’Equateur le leur garantit, mais dans les faits on en est loin. Les capacités d’accueil des établissements sont limitées, et même si l’école est gratuite, elle n’est pas sans frais : l’uniforme, les fournitures, le transport… Conséquence : 80 % des enfants migrants sont déscolarisés.

L’ONG Care est-elle présente au Venezuela ?

En tant qu'organisation basée aux Etats-Unis, le gouvernement ne nous autorise pas à travailler dans le pays. Mais nous avons des rapports étroits avec des organisations locales, en particulier Caritas et le Réseau jésuite pour les réfugiés [catholiques toutes les deux, ndlr].

Une hostilité envers les réfugiés s’est manifestée au Brésil. Et en Equateur ?

Les réactions xénophobes sont rares, quel que soit le pays. Au Brésil, elles ont eu lieu à Roraima, une ville qui est passée de 50 000 à 80 000 habitants en quelques semaines. En Equateur, nous sommes vigilants et transmettons les informations correctes. Les chiffres du ministère de l’Intérieur, par exemple, qui ne montrent aucune augmentation de l’insécurité dans les zones où s’installent des réfugiés.

Peut-on parler de crise humanitaire au Venezuela ?

Sans aucun doute, la situation est celle d’un pays en guerre. Et il faut en envisager les conséquences : des écoles ferment car les enseignants fuient le pays, les enfants sont mal nourris… Dans ces conditions, comment vont-ils grandir, quels adultes vont-ils devenir ?

(1) L'Equateur a abandonné sa monnaie en 2000.

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