Brexit : ces Britanniques qui militent pour un deuxième référendum

Brexit : ces Britanniques qui militent pour un deuxième référendum
Manifestation contre le Brexit, en août 2018, à Londres. (TOLGA AKMEN/AFP)

Un rassemblement se tient ce samedi 20 octobre à Londres pour réclamer un vote sur l'accord – ou l'absence d'accord – avec l'Union européenne. "L'Obs" a rencontré des membres de People's Vote, à l'origine de la manifestation.

Par Sophie Fay
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Lorsqu'ils ont entendu le résultat du référendum sur le Brexit ce 24 juin 2016 aux aurores, ils ont reçu un coup de poing en plein plexus. Quitter l'Union européenne (UE), comme ça, sur un vote ? Impossible. Ils n'y croyaient pas. La plupart ont voté pour rester dans l'UE, mais certains ne se sont pas déplacés – pas motivés, pas assez inquiets ou trop jeunes pour mettre un bulletin dans l'urne – et d'autres ont voté Brexit pour revendiquer leur identité "so British" en pensant que le vote "Leave" ("sortir") ne passerait… jamais.

Tous veulent une deuxième chance, un deuxième référendum, un deuxième vote. Et, alors que le sommet européen des 17 et 18 octobre s'est achevé sans accord sur les conditions de la sortie du Royaume-Uni de l'UE, ils se rassemblent ce samedi 20 octobre pour une grande marche dans Londres. Peter Cook, un consultant devenu activiste qui ne quitte pas son t-shit "Fuck Brexit", affirme, résolument optimiste :

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"Nous espérons un million de personnes."

Qui sont ces militants de People's Vote ? A quoi ressemblent-ils ? Comment se mobilisent-ils ? Ont-ils une chance d'obtenir gain de cause ? "L'Obs" les a rencontrés.

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"Every step you take, I'll be watching you"

Près de la station de métro Tower Hill, à l'heure de la sortie des bureaux, Peter Cook et son groupe de musique Rage Against the Brexit Machine (un clin d'œil au groupe de rap metal américain, Rage Against the Machine) attirent les regards et les sourires des passants. Passionné de management et de rock, ce consultant a décidé de combattre le Brexit avec le sourire. Pour ouvrir la discussion – c'est comme cela que nous l'avons rencontré –, il a customisé ses t-shirts blancs : "Fuck Brexit" d'un côté, "Bollocks to Brexit" de l'autre. Son opinion est claire. Pour son groupe, ce sont les grands tubes britanniques qu'il a réécrits, comme ce "Space Oddity" de David Bowie devenu "Brexit Oddity", Major Tom appelant Theresa May, la Première ministre britannique, pour lui demander d'arrêter le compte à rebours !  

Ce jour-là, Peter Cook joue pour convaincre les Londoniens de venir en masse à la marche de ce samedi et réclamer un deuxième vote. Il leur présente aussi sa dernière création. Une "chanson poignante", prévient-il : "In Limbo", qui mixe toutes les langues de l'Europe. Signe pour lui de la popularité de sa cause, elle se vend bien sur Amazon :

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"Devant Kylie Minogue et Ed Sheeran."

Une fois la ruée vers le métro passée, le groupe se dirige vers le 10, Downing Street et se plante devant les bureaux de Theresa May pour lui jouer sa chanson préférée : "Dancing Queen", de Abba. Peter Cook sait qu'il agace la chef du gouvernement mais ne renonce pas pour autant. Il veut faire passer deux messages : considérez la possibilité d'un nouveau vote et nous surveillons étroitement la négociation avec Bruxelles et les fausses promesses du Brexit.

"En avril, Theresa May recevait les dirigeants du Commonwealth. Nous nous sommes placés sur le passage du cortège pour faire passer notre message. Elle a toujours eu un message dur contre l'immigration. Mais lorsqu'elle voudra négocier un accord de libre-échange avec l'Inde ou le Pakistan, ne demanderont ils pas la libre-circulation des personnes autant que des marchandises ? Qu'est-ce que le Brexit nous aura apporté ? Je veux qu'elle le reconnaisse et qu'on le dise aux gens."

Pour que Theresa May comprenne que les opposants au Brexit, qui ont sans doute raté la campagne référendaire, ne se tairont plus, le consultant lui a chanté la chanson de Police : "Every step you take, I'll be watching you” ('je surveillerai chacun de tes pas')", fredonne-t-il en rigolant. Il raconte :

"Elle m'a jeté un regard noir ! J'aurais rêvé qu'elle fasse comme Emmanuel Macron, qu'elle vienne discuter, débattre avec moi. Elle aurait montré qu'elle sait négocier, qu'elle peut surprendre la partie adverse, la désarmer."

Mais non !

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"Des mots sont trop chargés d'émotion"

Caroline Kuipers, elle aussi, vient marcher ce samedi. Elle vit habituellement à Sonning, le village du Berkshire où Theresa et Philip May ont leur maison. C'est ici que la Première ministre a été élue députée en 1997 et réélue sans exception depuis. La maison de Caroline est adossée au pub The Bell, où l'on voit parfois la Première ministre après l'office à l'église St Andrew où elle vient dès qu'elle peut le dimanche. Caroline a placardé sur ses fenêtres des posters People's Vote et distribue des tracts à tous ces voisins pour réclamer un deuxième vote :

"Je ne parle plus de référendum, ni de Brexit, mais de 'vote' et de quitter l'Europe, car les deux premiers mots sont trop chargés d'émotion pour les gens et il n'y a pas de débat possible avec ces mots."

Elle est certaine qu'ils seront nombreux à la manifestation ce samedi. Elle a un signe : elle a reçu par erreur 10.000 prospectus à distribuer dans son petit village de Sonning :

"C'était une erreur, c'était beaucoup trop. Mais j'ai envoyé un message à mon groupe People's Vote. Dans l'heure, quatorze personnes se sont manifestées pour venir en chercher et les distribuer dans leur ville. Ils sont partis très vite."

Quelques semaines plus tôt, elle était au Reading Rock Festival :

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"Nous avions des auto-collants 'Bollocks to Brexit ['merde au Brexit', dans une traduction soft], it's not a done deal #people'svote'. Au début, je trouvais cela un peu vulgaire, mais tous les jeunes du festival en voulaient un ! On en a distribué 19.000 !"

Ce slogan, on le retrouve à Londres… sur le toit des immeubles. C'est un entrepreneur à succès, Charlie Mullins, fondateur de Pimlico Plumbers, une grosse entreprise à Londres, et ami de Peter Cook, qui a décidé de s'exprimer autant que possible tant qu'il est encore possible de faire demi-tour. 

John Schwiller sera là aussi pour marcher ce samedi. Il assiste à autant de rassemblement que possible et débat sans fin avec son ami Peter Cook. Même s'il n'a pas de chien, dimanche 7 octobre, il était l'un des marcheurs de la "Wooferendum march", la marche des chiens pour un "wooferendum" : ils veulent pouvoir continuer à voyager en Europe ! Lui était habillé normalement, mais d'autres, faute d'avoir un animal pour les accompagner, s'étaient tout simplement déguisés en chien !

"Il faut un évènement extérieur"

La grande marche de People's Vote rendra-t-elle un nouveau vote possible ? Joe Twyman, qui a fondé la société d'études d'opinion Deltapoll, est convaincu que non. Les marcheurs, eux-mêmes, ne se font pas d'illusion : ils se souviennent qu'ils étaient très nombreux dans la rue pour protester contre l'engagement de Tony Blair dans la guerre en Irak et qu'ils n'ont pas été écoutés. Mais Peter Cook insiste :

"Il faut un évènement extérieur pour faire bouger Theresa May : l'absence d'accord ou cette grande marche ou autre chose peuvent déclencher un évènement."

Hugo Dixon, un des fondateurs de People's Vote, est, lui, plus déterminé que jamais. Pendant la campagne, avant le référendum, ce petit-fils de Winston Churchill, qui n'a absolument pas la silhouette de son aïeul, a combattu les mensonges des "Brexiters" en fondant le groupe InFacts. Pas assez. Il continue. Et fait tous les jours le compte des membres du Parlement qui s'expriment en faveur d'un deuxième vote. On n'est pas encore à la majorité, mais la barre des dix était largement passée avant que la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon apporte son soutien à l'initiative et ses 35 députés !

Sophie Fay, envoyée spéciale en Grande-Bretagne

Sophie Fay
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