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Selfie-Mérogis : les détenus racontent la prison

Emilie Blachère

Autoportrait d’une prison moderne mais inhumaine. Pour la première fois, les détenus de Fleury-Mérogis nous racontent comment survivre à deux dans 9 mètres carrés.

Fleury-Mérogis, la « grotte », comme ils appellent la cellule. Parmi les équipements autorisés : plaques à induction et réfrigérateur.
Fleury-Mérogis, la « grotte », comme ils appellent la cellule. Parmi les équipements autorisés : plaques à induction et réfrigérateur. ©
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 Fleury-Mérogis, la « grotte », comme ils appellent la cellule. Parmi les équipements autorisés : plaques à induction et réfrigérateur.
Fleury-Mérogis, la « grotte », comme ils appellent la cellule. Parmi les équipements autorisés : plaques à induction et réfrigérateur. ©
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 Fleury-Mérogis, la « grotte », comme ils appellent la cellule. Parmi les équipements autorisés : plaques à induction et réfrigérateur.
Fleury-Mérogis, la « grotte », comme ils appellent la cellule. Parmi les équipements autorisés : plaques à induction et réfrigérateur. ©
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Dans cette cellule, les détenus ne prennent pas de précaution pour recharger leur Smartphone
Dans cette cellule, les détenus ne prennent pas de précaution pour recharger leur Smartphone ©
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Un magasin de téléphonie clandestin : dans une cellule, une trentaine d’appareils, 1 500 euros pièce.
Un magasin de téléphonie clandestin : dans une cellule, une trentaine d’appareils, 1 500 euros pièce. ©
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Ce téléphone mesure moins de 2 centimètres de largeur
Ce téléphone mesure moins de 2 centimètres de largeur ©
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2009 la douche était collective. Et si vétuste qu’il fallait l’actionner avec une fourchette.
2009 la douche était collective. Et si vétuste qu’il fallait l’actionner avec une fourchette. © INDETERMINE
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Chaque cellule est équipée d’un WC et d’une douche.
Chaque cellule est équipée d’un WC et d’une douche. © chaque cellule est équipée d’un Wc et d’une douche. Pas de pommeau, pour éviter les pendaisons.
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Pas de pommeau, pour éviter les pendaisons.
Pas de pommeau, pour éviter les pendaisons. ©
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Les réchauds aussi clandestins que dangereux de 2009.
Les réchauds aussi clandestins que dangereux de 2009. © INDETERMINE
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Les détenus peuvent désormais cuisiner sur des plaques à induction.
Les détenus peuvent désormais cuisiner sur des plaques à induction. ©
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Fleury-Mérogis, la « grotte », comme ils appellent la cellule. Parmi les équipements autorisés : plaques à induction et réfrigérateur.
Fleury-Mérogis, la « grotte », comme ils appellent la cellule. Parmi les équipements autorisés : plaques à induction et réfrigérateur. ©
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 Fleury-Mérogis, la « grotte », comme ils appellent la cellule. Parmi les équipements autorisés : plaques à induction et réfrigérateur.
Fleury-Mérogis, la « grotte », comme ils appellent la cellule. Parmi les équipements autorisés : plaques à induction et réfrigérateur. ©
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 Fleury-Mérogis, la « grotte », comme ils appellent la cellule. Parmi les équipements autorisés : plaques à induction et réfrigérateur.
Fleury-Mérogis, la « grotte », comme ils appellent la cellule. Parmi les équipements autorisés : plaques à induction et réfrigérateur. ©
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Dans cette cellule, les détenus ne prennent pas de précaution pour recharger leur Smartphone
Dans cette cellule, les détenus ne prennent pas de précaution pour recharger leur Smartphone ©
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Un magasin de téléphonie clandestin : dans une cellule, une trentaine d’appareils, 1 500 euros pièce.
Un magasin de téléphonie clandestin : dans une cellule, une trentaine d’appareils, 1 500 euros pièce. ©
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Ce téléphone mesure moins de 2 centimètres de largeur
Ce téléphone mesure moins de 2 centimètres de largeur ©
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2009 la douche était collective. Et si vétuste qu’il fallait l’actionner avec une fourchette.
2009 la douche était collective. Et si vétuste qu’il fallait l’actionner avec une fourchette. © INDETERMINE
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Chaque cellule est équipée d’un WC et d’une douche.
Chaque cellule est équipée d’un WC et d’une douche. © chaque cellule est équipée d’un Wc et d’une douche. Pas de pommeau, pour éviter les pendaisons.
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Pas de pommeau, pour éviter les pendaisons.
Pas de pommeau, pour éviter les pendaisons. ©
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Les réchauds aussi clandestins que dangereux de 2009.
Les réchauds aussi clandestins que dangereux de 2009. © INDETERMINE
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Les détenus peuvent désormais cuisiner sur des plaques à induction.
Les détenus peuvent désormais cuisiner sur des plaques à induction. ©
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La recette du jour : tarte au chocolat. Depuis sa cellule, à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, Abdel* cuisine. Il n’a pas de four mais deux petites plaques à induction. « On fait des concours de gâteaux entre prisonniers ! Ça change les idées et ça passe le temps. » Fondants au chocolat, fraisiers, crèmes pâtissières. « Ici, prévient Abdel, c’est “MasterChef Fleury” ! » Lassé par la « gamelle », le détenu cantine, c’est-à-dire qu’il achète sur place de quoi faire ses gratins, tortillas, salades et pizzas « cuites entre deux poêles ». Il est particulièrement fier du globi, une omelette de fortune préparée avec des « chips écrasées, des œufs, des oignons, des tomates, du steak ou du thon ». Ce n’est peut-être ni très raffiné, ni très diététique, mais même « les émissions culinaires nous l’ont piqué » !

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Le parfum d’oignon ou de chocolat, à Fleury, c’est comme les brins d’herbe dans les failles du béton : le souvenir d’un ailleurs… Fleury-Mérogis est la plus grande prison d’Europe. Une architecture démesurée et singulière. Des pattes d’oie dépliées sur une trentaine d’hectares. Cinq bâtiments d’hommes, environ 2 000 surveillants pour 2 054 cellules, 2 857 places… et 4 500 prisonniers. « La première fois que je suis entré, déclare un gardien, j’ai cru que c’était un domaine militaire. J’avais peur de me perdre… » Portes qui claquent, ciel absent. Du gris, du noir, du blanc. Tristement monochrome. Comme si la couleur était hors la loi, « comme si la vie et la joie s’étaient enfuies », dit un prisonnier. « Notre quotidien, du Zola ! »

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Il est environ 23 h 30, un mercredi, lorsque nous entrons en contact avec Abdel et Ilyès. Deux détenus, la trentaine. Des copains dans la vie, séparés ici par des bâtiments différents. Le premier est incarcéré pour crime, le second pour délit de droit commun. Cette nuit est étonnamment calme. D’ordinaire, raconte Abdel, « les gens crient ou s’insultent d’une cellule à une autre. La télé, la musique assourdissante, les coups sur les portes, ou encore les pleurs… Le silence ? Connais pas. Ce mot n’existe plus ». Une vidéo capturée sur un téléphone, et nous voici invités à visiter « la grotte », comme ils disent. Les murs sont recouverts d’affiches, de photos. Ilyès fait le tour et nous montre les deux lits superposés, les draps blancs et les couvertures rêches. La lampe posée sur une table basse, fabriquée maison avec des cartons, et une seule chaise en plastique.

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C’est horrible, on ne peut plus regarder par la fenêtre, ça fait trop mal aux yeux !

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« Des mecs les cassent et les taillent pour fabriquer des lames », lâche Ilyès. Produits d’hygiène et de nettoyage « cantinés », évier, ventilateur. L’hiver, les plaques de cuisson servent de chauffage d’appoint. Au-dessus, suspendue, une petite télévision allumée en permanence. « C’est comme un aquarium, ça fait un peu d’animation… » Pour les chaînes qui manquent, plus des films, Ilyès a sa combine : une clé USB. Il y a aussi une chaîne Hi-Fi, une console de jeux. Et, derrière, une douche accolée aux toilettes. « C’est nouveau, ça. Comme le frigo. Côté confort, c’est mieux qu’avant. Mais, du coup, on a moins l’occasion de sortir… » Ilyès et Abdel vivent 22 heures sur 24, l’un et l’autre, dans leurs 9 mètres carrés verrouillés. Chaque cellule est occupée par deux hommes, voire trois, « parfois même quatre », reconnaît un surveillant… Cette surface réglementaire a été définie par l’Europe pour un individu.

La nuit, une lumière orangée et métallique perce à travers les serviettes pendues aux barreaux et aux grossiers grillages. Abdel – qu’on devine nerveux et sanguin – s’emporte. « C’est horrible, on ne peut plus regarder par la fenêtre, ça fait trop mal aux yeux ! Tu es enfermé des deux côtés, on n’a plus d’horizon, on devient fou ! » La direction a installé ces grilles pour empêcher les jets d’ordures – « Ils balancent moins, mais ils balancent toujours », souffle, découragé, un agent pénitentiaire – et les « yoyos », ces cordelettes, ficelles ou draps roulés permettant de faire passer d’une fenêtre à l’autre des chaussettes gavées d’objets. Raté… En voilà justement qui virevoltent dans les airs, balayés par une brise légère et encore chaude. On apprend même qu’ils ont été « optimisés » : il y a des « yoyos cerfs-volants » avec des « papiers au bout pour mieux les diriger face au vent ». Ainsi récupère-t-on clopes, fric, shit et minuscules téléphones portables.

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Avec mon portable, tous les soirs, je peux voir ma femme et mes enfants, jouer en ligne à Puissance 4 avec mon fils

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Ces « bigos » sont les bêtes noires de la chancellerie. Près de 40 000 ont été confisqués l’année dernière dans les prisons françaises. Il doit en rester autant à saisir. Les faire définitivement disparaître, c’est le travail de Sisyphe du ministère de la Justice. Nicole Belloubet, garde des Sceaux, imagine de brouiller les communications et de mettre à la disposition des détenus 50 000 téléphones fixes. Il faudra transmettre une liste de quatre numéros à un magistrat, qui validera – ou non – dans un délai de quelques semaines. Ouais… les prisonniers ne sont pas chauds. La plupart ont un téléphone portable clandestin. Abdel recharge le sien – un Smartphone dernière génération – sans discrétion. Système « débrouille » oblige, il le répare avec une pince à épiler. C’est un appareil d’occasion, racheté 1 500 euros, « tarif prison » – ce qui n’inclut ni la puce (entre 20 et 50 euros) ni le chargeur (près de 50 euros). On accepte tous les moyens de paiement : cocaïne, shit, mandat ou cash.

De g à dr. : loué une quinzaine d’euros par mois, le téléviseur reste allumé en permanence. La « chambre » : lits superposés et pages de BD pour décorer. Le coin cuisine. Et l’activité principale : fumer.
De g à dr. : loué une quinzaine d’euros par mois, le téléviseur reste allumé en permanence. La « chambre » : lits superposés et pages de BD pour décorer. Le coin cuisine. Et l’activité principale : fumer. © DR

Grâce à leurs portables, Abdel et Ilyès surfent sur les réseaux sociaux – Snapchat, Tinder, Facebook, WhatsApp, Telegram, etc. Ilyès a même rencontré une fille. Elle est venue au parloir. Et ? « Elle a eu un coup de foudre, pas moi… » Ça fait rire Abdel, casé et papa : « Avec mon portable, tous les soirs, je peux voir ma femme et mes enfants, jouer en ligne à Puissance 4 avec mon fils. C’est eux qui me permettent de tenir le coup. Je vis en décalage, je dors la journée et, la nuit, je mate des séries sur Netflix. En ce moment, “Reine du Sud”, sur les cartels sud-américains… » Tout à coup, il s’interrompt. Des pas, un tintement de clés… L’équipe de nuit ramène un prisonnier dans une cellule voisine. Abdel attend que le silence revienne, puis reprend : « Pour la journée, j’ai un autre appareil, beaucoup plus petit et discret. Il passe entre les mailles du grillage ! Avec lui, je gère ma vie dehors, entre gens de confiance. Par exemple mon cousin, c’est mes yeux, mes jambes, mes bras. Il achète des trucs pour moi, des cadeaux pour ma femme et mes enfants… » Ce portable serait indétectable aux portiques de sécurité. A entendre nos deux écroués, il est facile de s’en procurer. Et les complices seraient nombreux : « Familles, avocats, associations. Et matons ! Il faut bien s’entendre avec eux… » Des détenus en font un business juteux, comme ce barbu aux muscles solides. Dans une vidéo, il nous montre son stock : trente Smartphone, soit quelque 45 000 euros – « net d’impôt », précise-t-il… Des téléphones aussi utilisés pour racketter les prisonniers isolés, vulnérables. Ou veiller sur les « affaires ». « Autrement dit, les trafiquants trafiquent toujours », s’agace un surveillant. Ilyès corrige : « La plupart d’entre nous, ce n’est pas pour le trafic. C’est pour la solitude. Elle te bouffe. Ces appels, c’est la seule chose qui te maintienne vivant ! »

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Cinq suicides en 2016, trois en 2017. Treize depuis janvier, dont une femme et un surveillant ! 

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Il n’y a plus grand-chose d’humain à Fleury. Cette usine avec ses rats, ses puces, ses chats et ses punaises de lit. La gale, la tuberculose sévissent. Les détenus souffrent des conditions de détention ; les surveillants, des conditions de travail. « On n’a plus le temps de discuter, regrette l’un d’eux. C’est l’époque, il faut privilégier la sécurité plutôt que le social. Pourtant, on n’est pas des policiers. Ni des juges. Entre la punition et la réinsertion, il faudrait chercher un juste milieu. Mais c’est compliqué de prendre le temps. Nous sommes tous sur le qui-vive… » Il y a beaucoup de colère, d’amertume et de fatigue chez les gardiens de prison. La faute au manque de moyens humains – l’administration peine à recruter – et matériels. La pression est trop lourde. Un ancien nous lance : « On nous demande de réussir là où tout le monde a échoué, la famille, l’éducation, l’Etat, parfois même le médical pour les cas psychiatriques… On ne peut pas faire de miracle ! »

Alors, la prison blesse un peu plus les âmes déjà amochées… Et parfois elle tue. Nicolas* est incarcéré depuis une quarantaine de mois. Nous échangeons des messages. Le 8 juin dernier, le trentenaire a vécu une « douloureuse expérience ». Il nous écrit ceci : « J’étais dans ma cellule lorsque le surveillant de cantine m’a demandé, ainsi qu’à mon collègue, de l’aider à la distribution des gamelles. Dans une des cellules, j’ai découvert le corps sans vie d’un prisonnier pendu aux barreaux de sa fenêtre. Le surveillant était blême lui aussi. Il m’a alors ordonné de porter ce corps, et à mon codétenu de couper le lacet qui retenait le cadavre. J’ai commencé à lui faire un massage cardiaque en pensant éviter le pire, mais il était déjà trop tard… L’homme était pâle. Il s’appelait Aleksander Hasalla. »

Cinq suicides en 2016, trois en 2017. Treize depuis janvier, dont une femme et un surveillant ! En France, chaque jour, trois détenus tenteraient de se tuer. Un taux six fois plus élevé qu’à l’extérieur, et le record d’Europe. Pourquoi ? Personne ne parvient à nous répondre. L’administration est totalement démunie, le personnel, mal à l’aise, les détenus, inquiets ou en colère. « Personne n’est à l’abri, dit Abdel. Si tu rêves trop, si tu penses trop à ta vie dehors, tu craques et tu te tues… »

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Qu’est-ce qu’on fait les jours où ça ne va pas ? On ferme sa gueule, on reste dans sa couette et on chiale

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Ces chiffres ne laissent pas les gardiens indifférents. « Quoi que les prisonniers en disent, cela nous touche. On se prend le drame en pleine figure, la colère des détenus en pleine poire ! Mais on oublie de parler de ceux qu’on réussit à sauver, presque cent par an ! » jure Thomas, surveillant aguerri, encarté Ufap-Unsa (syndicat majoritaire de l’administration pénitentiaire). Nicolas écrit : « Fleury est une prison extrêmement dure et difficile. » Pas pour le confort ou l’hygiène, la maison d’arrêt a été rénovée. « Elle épuise la tête avec des détentions provisoires à rallonge, des problèmes pour aménager les peines. Il y a des listes d’attente pour tout : cantines, administratif, activités, soins médicaux… Il y a deux mois, mon codétenu a écrit pour une rage de dents. Il n’a toujours pas vu de médecin, il n’arrive plus à manger ! Forcément, les gens craquent, certains sont même des bombes à retardement. […] Ici, plus qu’ailleurs, règne un sentiment d’injustice très fort. […] Pour tous, Fleury c’est : écrivez, patientez mais, surtout, n’attendez rien ! »

« Dehors, les gens sont de plus en plus individualistes, irrespectueux de l’autorité, impolis, dit un agent pénitentiaire. Dedans, c’est cent fois pire, ils n’ont plus rien à perdre… » Un incident peut rapidement dégénérer. Par exemple, les arrivées dans les cellules. « Dans une maison d’arrêt, les peines sont inférieures à deux ans, nous explique Abdel. Or, il n’y a plus de place dans les prisons réservées aux longues peines. Donc, on reste. Comme moi. Du coup, je vois passer beaucoup de mecs dans ma cellule. C’est pénible. A chaque nouveau, tu dois retrouver un équilibre. Et quand c’est invivable, dans 9 mètres carrés, tout part en vrille… Qu’est-ce qu’on fait les jours où ça ne va pas ? On ferme sa gueule, on reste dans sa couette et on chiale. »

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Rien n’est gratuit à Fleury, à part la mort

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« Avant, c’était insalubre mais il y avait davantage de solidarité entre nous, regrette Ilyès. On se mouillait pour les autres. On pouvait bloquer des portes, refuser de remonter de promenade. Aujourd’hui, c’est comme dehors, on est devenu lâche, c’est chacun pour sa gueule. Les mecs ont peur de perdre leur téléphone, ils font l’autruche. Ou l’inverse… C’est le concours des “balances” pour avoir des privilèges auprès des matons. Plus tu collabores, plus t’es pistonné et plus tu as accès aux activités ! D’autres achètent leur tranquillité, ou leur came, auprès de détenus influents. Ou font porter le chapeau aux plus fragiles. Comme les “nourrices”, qui conservent les produits illicites dans leurs cellules. » Chacun ses méthodes. Selon Abdel, le secret pour tenir, c’est : « Famille, Smartphone et shit. Sans eux, je ne suis plus rien. » Les prisonniers s’assomment aux drogues, aux médicaments, aux écrans. Ilyès raconte une conversation avec un jeune en manque, isolé et sans argent. « Il m’a proposé de me sucer en échange de shit, c’est courant ici. Comme les viols entre codétenus. […] Rien n’est gratuit à Fleury, à part la mort. »

Une fois par jour, les détenus voient le ciel. Pendant environ deux heures, ils vont « casser des tours », ce qui signifie tourner en rond en promenade. On joue aux cartes, on fait du sport et on règle ses comptes… « Avant, explique Ilyès, c’était entre cités. Maintenant, c’est entre clans. Par exemple, Tchétchènes contre banlieusards. » Cet après-midi, il y a eu cinq bagarres. Une sortie comme une autre. Car les gardiens n’entrent pas. Cet espace est une zone de non-droit où se déroulent les « moulons », des passages à tabac consistant à asséner « un maximum de coups de pied et de poing à la tête en un minimum de temps ». On se cogne pour des dettes de shit, des histoires de « balance », un mauvais regard, des baskets neuves. Le jeudi 5 avril, un détenu de 39 ans a été frappé par quatre ou cinq autres prisonniers dans une cour de promenade. L’homme, du bâtiment D5, purgeait une peine de deux mois et devait sortir le lendemain. « Ils l’ont tapé à cause d’une dette pour un paquet de clopes, soit 20 euros, nous révèle Nicolas. Mais il est mal tombé, il est mort. Sa tête a heurté un gond de portail. »

La prison est dure, mais la sortie, c’est sûr 

Dans ces cours bétonnées, les détenus ont établi leurs lois, basées sur leur échelle morale de la délinquance et de la criminalité. « Par exemple, les pointeurs [violeurs d’enfants], ça ne passe pas, prévient Abdel. On ne veut pas les voir en promenade, ils le savent. S’ils insistent… dommage pour eux. Pareil pour ceux qui foutent le bordel la nuit. On doit respecter les codes de la grotte, à savoir : “Faire profil bas, être soi-même, ne pas se faire marcher sur les pieds, ne pas jouer un rôle.” Dehors, tu peux être qui tu veux, mesurer 2 mètres, peser 150 kilos… En prison, tu n’es personne […]. Un mec m’a balancé, on m’a saisi mon téléphone. Sa famille a dû me rembourser les 1 500 euros, et lui ne sort plus de sa grotte depuis quatre mois. » On n’imagine pas le nombre de « juges » en cellule…

Parmi ces leaders, des détenus radicalisés. Ils sont plus d’une centaine à Mérogis. L’administration dispose d’un quartier d’évaluation test de la radicalisation où des psychologues, des intervenants extérieurs et des conseillers d’insertion et de probation les jaugent pendant quatre mois. En théorie, les plus dangereux doivent être soumis à un régime proche de l’isolement. Comme Salah Abdeslam, membre du commando du 13 novembre. Nous apprendrons qu’il parvient cependant à communiquer avec les cellules de l’étage d’au-dessus et d’en dessous. Et même qu’« il peut désormais ouvrir la fenêtre et se faire entendre librement par ses sbires. Ils ont un langage codé qui ne présage rien de bon. Il est très agressif, il n’a pas de regrets, encore moins de remords. » Un surveillant se ronge. Abdeslam est, pour le moment, condamné à vingt ans. Mais les autres ? « Dans deux ans, des hommes potentiellement radicalisés et déterminés vont sortir… » La sortie… chacun y pense. Abdel nous répète le refrain : « La prison est dure, mais la sortie, c’est sûr ! » Il est plein de bonnes résolutions : « Je n’ai pas l’intention de revenir ici. » Et il retourne à sa cuisine. Pâtes au thon. Pour deux. « Je vais pas faire la cuisine pour moi tout seul ! » 

* Tous les prénoms ont été changés.

Certains sont membres du premier syndicat des prisonniers (PRP), créé pour faire valoir les droits des prisonniers et prisonnières, et de leurs proches. (www.syndicat-pour-la-protection-et-le-respect-des-prisonnier-e-s.webnode.fr/ )

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