La Coupole : retour sur l’âge d’or d’une brasserie parisienne mythique

La brasserie, dont l'histoire est à jamais liée au Montparnasse Bohème des Années Folles, fait un flamboyant come back après une période de déclin. Rénovée sans être transformée, elle renoue avec les éléments clés (déco, ambiance, menus...) qui ont assis son succès. L'occasion de revenir sur le passé singulier de ce lieu de 91 ans, qui fut longtemps le plus grand restaurant parisien.

Par Sophie Berthier

Publié le 21 octobre 2018 à 19h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h14

Elle a instantanément su se faire mousser, la Coupole ! Son inauguration, le 20 décembre 1927, s’est faite en présence de 2500 invités dans une envolée de bulles : les 1200 bouteilles de champagne prévues avaient eu peine à étancher la soif de nouveauté de cette assistance triée sur le volet : Cendrars, Cocteau, De Chirico, Foujita, Man Ray, Joséphine Baker, Mistinguett… En une soirée mémorable, la légende de la brasserie parisienne du boulevard du Montparnasse était née.

Il faut dire que prétendre faire d’un ancien dépôt de bois et de charbon frôlant les 1000 m2 le plus grand restaurant intra-muros de l’époque et y attirer les figures en vue de ce quartier bohème était un défi de taille. Il fut relevé par Ernest Fraux, un Aveyronnais qui, avec son beau-frère, René Layon, ont investi sans compter pour aménager et décorer une vaste et unique salle, grande comme un hall de gare, soutenue par 33 piliers symétriques. Avec, au premier étage, une terrasse, « La Pergola  », équipée d’un boulodrome !

Pour se démarquer des autres brasseries du secteur (Le Dôme, La Rotonde, Le Select, La Closerie des Lilas), l’ambitieux duo s’entoura des meilleurs architectes et décorateurs du moment. Le sol en mosaïque, les imposants plafonniers de verre, les galeries porte-chapeaux, les boiseries en citronnier, les lambrequins, le Lap vert (une matière encore plus luxueuse que le marbre) recouvrant les piliers… Tout fut peaufiné dans les règles de l’Art déco, style qui faisait alors fureur.

Le nec plus ultra : chaque colonne fut peinte par des peintres en vogue. Certains sont aujourd’hui tombés dans l’oubli (Jeanne-Rij-Rousseau, David Seifert, Louis Lapatie, Alexandre Auffray…), d’autres entrèrent dans la postérité (Matisse, Léger, Kisling, Chagall...) et leurs fresques contribuèrent à faire, bien plus tard, classer ces piliers à l’inventaire des Monuments historiques.

Le succès fut immédiat et il fallait 400 employés pour faire tourner cette ruche qui servait jusqu’à 1 000 couverts par jours. Mais ce sont surtout les fêtes débridées, relevées d’un parfum de scandale, de l’entre-deux guerres (seule la grande crise financière de 1929 les mit un temps en sourdine) qui constituèrent l’âge d’or de La Coupole. Acteurs et actrices du music-hall y frayent alors avec les intellectuels, les peintres, les sculpteurs, des inconnus. Cette foule bigarrée se déchaîne sur de nouvelles danses comme le charleston et shimmy, qui avaient débarqué avec les troupes de Pershing en 1917-1918.

L’orchestre cubain Rico à la Coupole. Paris, vers 1936.

L’orchestre cubain Rico à la Coupole. Paris, vers 1936. © Roger-Viollet

Il n’était pas rare que des nymphettes éméchées, pour imiter la jolie Kiki — compagne et muse du photographe Man Ray — se jettent, totalement dénudées, dans la grande vasque centrale pour un bain de minuit. Des débordements qui faisaient jaser au point que la femme du patron, excédée, y mit fin en faisant purement et simplement détruire cette source de tentations déplacées !

Reste qu’avec son nouveau dancing, ouvert le 24 décembre 1928 au sous-sol, les fêtards de la capitale pouvaient s’égayer à toute heure sur trois niveaux, dans une bousculade souvent monstre. Apparat et délires surréalistes assurent le spectacle. Ainsi, tandis que le curry d'agneau, très réputé, était servi « à la roulotte » mais en grande cérémonie par un Indien revêtu d’une somptueux costume tamoul, au café-jardin, à l’étage, on pariait de grosses sommes sur les courses de cafards dans une ambiance chauffée à blanc. Surtout lorsque Joséphine Baker faisait son apparition en tenant son guépard en laisse, ou quand Michel Simon débarquait avec sa chimpanzée, Zaza, dans les bras.

La Seconde Guerre Mondiale laissa Paris meurtrie et la Coupole endormie. C’est pourtant là qu’Hemingway, le 25 août 1944, vint fêter la Libération… et la liberté de fréquenter à nouveau ce nid à personnalités. Durant les décennies qui suivirent, l’éclat de la Brasserie perdura grâce à un chapelet de célébrités et/ou à leurs excentricités.

Albert Camus choisit La Coupole pour célébrer le Prix Nobel de Littérature qui lui avait été décerné en décembre 1957. Autres écrivains engagés habitués du lieu, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre avaient une table attitrée, la 149, dans la partie restaurant. Simone la délaissait parfois pour s’installer dans le secteur « brasserie  » où les nappes en papier remplaçait le tissu car ses amis artistes pouvaient y dessiner tout en mangeant ; ce que ne manquait pas de faire Giacometti… tout comme il n’omettait jamais de déchirer sa portion griffonnée en partant, à la grande déception des serveurs aux aguets !

Jean-Paul Sartre, gros fumeur, laissait lui, des cendriers pleins et l'un de ses mégots fut figé dans du plastique par le sculpteur Arman puis vendu aux enchères, en 1973, pour financer les débuts du quotidien Libération. En 1986, à la mort de Simone de Beauvoir (six ans après Sartre), les serveurs du restaurant n’ont pas hésité à former une haie d'honneur au cortège funèbre, en témoignage de fidélité.

Yves Saint Laurent lors d'une soirée organisée par Betty et François Catroux à la Coupole. A droite Betty Catroux. Paris, 1971.

Yves Saint Laurent lors d'une soirée organisée par Betty et François Catroux à la Coupole. A droite Betty Catroux. Paris, 1971. © Jack Nisberg / Roger-Viollet

Entre temps, la Coupole demeura ce que l’on appellerait aujourd’hui «  The place to be ». Certes assagie, elle vit quand même, en 1968, le provocateur Daniel Cohn-Bendit monter sur une table pour commander du homard avec, il le confessa plus tard, de l’argent détourné d’une cagnotte destinée à payer les avocats des camarades de lutte emprisonnés.

En 1971, Coluche venait là en voisin car sa mère était fleuriste sur le boulevard du Montparnasse ; une habitude qui lui permit de repérer, d’aborder Véronique Kantor, sa future femme. Tout à ses manœuvres de séduction, peut-être ne reconnut-il pas Gainsbourg sirotant un « 102  » (un double Pastis 51) tandis que Jane dansait au sous-sol ; et sans doute ignora-t-il un blondinet qui grattait sa guitare en faisant la manche en terrasse : Renaud dédiera en 1975 une jolie chanson à cette scène improvisée de ses débuts fauchés.

Puis, lentement, la fidélité de la clientèle s’est émoussée. Les années 1980-90 virent fleurir dans la capitale de nouveaux lieux plus branchés où aller danser, manger, se montrer. Livrée aux touristes, La Coupole céda à la hausse des prix. L’ambiance en pâtit, le chiffre d’affaires aussi et l’institution parnassienne changea de mains une fois, deux fois. Mais la revoilà, élégamment rafraîchie et non pas vulgairement « liftée », belle et fière comme autrefois, avec l’envie affichée de regagner son rang de brasserie mythique et, surtout, l’amour des Parisiens.

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