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«Au Brésil, la démocratie est en danger»

Le leader du Parti des travailleurs, Fernando Haddad, dit de son adversaire Jair Bolsonaro: «c'est le type le plus effrayant que j'aie jamais rencontré de ma carrière».

Fernando Haddad semble exténué. Il s'assied, le dos à une immense fenêtre. Sur la façade d'en face pendent un drapeau brésilien décoloré et une affiche qui exalte Jair Bolsonaro, le candidat d'extrême droite avec lequel le leader du Parti des Travailleurs (PT) va se disputer la présidence du Brésil le 28 octobre. Le PT tente de renverser en quelques jours l'avantage pris par Bolsonaro au premier tour du 7 octobre, lorsque ce dernier a obtenu 46% des voix contre 29,2% pour Haddad.

Fils de parents d'origine libanaise, professeur de sciences politiques, ancien ministre de l'éducation et maire de São Paulo, Fernando Haddad a repris en septembre la candidature de l'ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, détenu pour corruption. Avec des sondages donnant Jair Bolsonaro à 59%, Fernando Haddad, avec 41% d'intentions de vote, fait face au défi de regagner le vote des pauvres et des classes moyennes.

Selon le camp de Haddad, leur adversaire recourt à une campagne WhatsApp basée sur des «fake news» (une enquête a été ouverte samedi sur l'envoi de fausses informations concernant les deux finalistes, ndlr). «Grâce à ces informations, je sais tout de moi, même que j'ai failli renoncer à voter pour moi», plaisante Fernando Haddad. «Mais je ne m'attendais pas à autre chose. C'est le type le plus effrayant que j'aie jamais rencontré de ma carrière», dit-il de Bolsonaro.

Comment expliquez-vous l'ascension du candidat d'extrême droite?

Les effets de la crise qui a surgi en 2008 se font toujours sentir. Le Brexit, Trump, le phénomène Bolsonaro découlent de cette situation. Il y a ici et là l'émergence du néonazisme; ici, c'est du néofascisme.

Vu de l'extérieur du Brésil, la démocratie brésilienne semble en danger.

Bolsonaro, comme député, a à son crédit de ne pas avoir menti pendant 28 ans. Mais il ment maintenant. Par le passé, il a dit qu'il fermerait le Congrès s'il était président; que ses fils n'épouseraient jamais une afro-descendante parce qu'il les avait bien éduqués; que les gens de la communauté LGBT sont ignobles et doivent être jetés aux ordures. Il n'a jamais caché ses opinions. Maintenant, durant la campagne, il se contrôle.

Mais cela signifie-t-il que la démocratie brésilienne est en danger?

Je le pense, oui.

Quel est le danger? Un coup d'État militaire?

Cela fait au moins cinq ans que les institutions brésiliennes se portent mal. Elles sont tout sauf solides. Et avec un personnage comme lui à la tête de l'Exécutif, tout peut arriver. Y compris qu'il se fasse expulser du système. On ne peut rien écarter.

Cette perception est partagée à l'étranger, mais pas au Brésil. L'ancien président Fernando Henrique Cardoso lui-même ne semble pas si convaincu. Il a dit «Bolsonaro, non», mais il ne vous soutient pas non plus.

Celui qui est à l'extérieur voit parfois les choses beaucoup plus clairement que celui qui est à l'intérieur. Mais cela me surprend tout de même que les gens qui se sont battus pour la redémocratisation du Brésil demeurent neutres face à une personne qui soutient manifestement la dictature et la torture. Qu'est-ce que cela signifie? Qu'il y a des femmes qui méritent d'être violées (Bolsonaro avait fait de telles insinuations envers une députée, ndlr)? Quel est l'intérêt de ces expressions? C'est très compliqué ce qu'il se passe en ce moment au Brésil, mais oui, il y a un risque évident.

Vous avez déjà dit que votre candidature n'est pas celle du PT, mais une candidature démocratique. Avez-vous fait des efforts pour avoir le soutien de Cardoso? Avez-vous appelé Ciro Gomes, du Parti démocratique travailliste?

Ces derniers jours, je me suis consacré à recomposer l'unité du camp auquel j'appartiens, soit le camp progressiste: le Parti démocratique travailliste (PDT), le Parti socialiste brésilien (PSB), le Parti socialiste et de la liberté (PSOL), les centrales syndicales, les dirigeants progressistes, les mouvements de la société civile. Je me soucie moins des partis politiques de centre droit. En fait, j'ai attendu un positionnement de leur part, pour savoir quelles sont leurs attentes, mais le centre droit a préféré rester neutre.

Quelles sont leurs attentes? Vous l'ont-ils dit?

La déclaration de Fernando Henrique Cardoso a été très rapide en ce qui concerne la neutralité. Il a dit qu'aucun des deux camps de la bataille présidentielle ne l'intéressait. Il n'a pas dit qu'il y avait un risque pour le pays.

Quelle est la part de responsabilité du PT dans la situation actuelle du Brésil?

Je ne peux répondre qu'en mon nom. J'ai mentionné à plusieurs reprises les erreurs de politique économique de la première législature de Dilma Rousseff; par exemple, les exonérations, la lutte contre l'inflation par une politique de fixation des prix par l'État. Je les ai mentionnés, mais je n'ai cessé de dire qu'à la suite de sa réélection, son gouvernement a été saboté.

Nous aurions également dû faire une réforme politique en 2003, pour empêcher des individus de recourir à certains mécanismes afin qu'ils s'enrichissent. Ce n'est pas le parti, ce sont des gens qui en ont profité pour s'enrichir. Et tous les partis sont concernés. Aujourd'hui, nous savons que cela est beaucoup plus systémique qu'il n'y paraissait à première vue. Ce que je défends? Il faut continuer à renforcer les organes de lutte contre la corruption, c'est ce que j'ai fait au ministère de l'Éducation et à la mairie de São Paulo.

Le PT a-t-il omis de s'excuser pour l'implication de ses membres dans des affaires de corruption? Seriez-vous prêt à le faire publiquement?

Celui qui s'est enrichi paie pour cela. Et il paie pour cela par le biais d'une loi que nous avons approuvée, par un renforcement des institutions que nous avons promu. Il faut toujours avoir une vue d'ensemble, parce que sinon, les gens imaginent qu'aujourd'hui, il n'y a plus de corruption au Brésil. Et ce n'est évidemment pas vrai. Si vous parlez en toute confidentialité avec un homme d'affaires honnête, il vous dira: il y a plus de corruption au Brésil aujourd'hui qu'il y a dix ans.

Si vous devenez président, allez-vous gracier l'ancien président Lula?

Deux appels sont en cours de traitement et je suis convaincu que les tribunaux, surtout après les élections, auront la sérénité nécessaire pour évaluer le processus avec la plus grande neutralité.

Cela veut dire que vous n'envisageriez pas une grâce?

Lula ne l'a pas demandée. C'est drôle qu'on s'attende à ce que je me positionne sur quelque chose que le président n'a pas demandé. Il veut juste un procès équitable.

Et quel rôle pourrait-il tenir dans un gouvernement comme le vôtre?

Le président Lula a été le plus grand président de l'histoire de ce pays. En ce sens, son opinion compte pour moi. Je ne nierai jamais ma relation avec le président Lula. Je suis engagé dans cette élection parce qu'il me l'a demandé. Je ne vais pas tromper les électeurs en disant que je n'ai aucune relation avec lui. Je l'écouterai quand je le jugerai bon.

Dans sa campagne, Bolsonaro lie le PT au président vénézuélien Nicolas Maduro.

Mais c'est de la science-fiction! Le PT a gouverné ce pays pendant 13 ans, il s'est employé à étendre les libertés. J'ai affaire à un type qui non seulement soutient la dictature, mais aussi le viol sous la dictature, et c'est moi qui dois répondre à ça, alors que j'ai consacré toute ma vie à la démocratie?

La question, c'est: quelle est la position du PT sur le Venezuela?

Quel est l'intérêt? Bolsonaro avance sur ce terrain et la presse, naturellement, reprend du «Bolsonaro», sans se questionner. C'est «Bolsonaro paix et amour»! Mais à quoi pensent les gens? À l'âge de 26 ans, en 1989, j'ai publié mon premier livre, qui est une critique, de la première à la dernière page, des régimes autoritaires de gauche. Ce n'est pas à partir de maintenant que je défends la démocratie. Bolsonaro, c'est tout le contraire. Aussi loin qu'on se souvienne, il défend la dictature. Il a créé le fantasme du Venezuela pour détourner l'attention. Je ne suis attaché à aucun régime autoritaire. Maintenant, je ne vais pas déclarer la guerre à un voisin. Et je ne vais pas permettre qu'une base militaire américaine s'installe ici. L'Amérique se fiche de la démocratie dans le monde. Elle ne s'intéresse qu'au pétrole. Mettre face à face le Brésil et le Venezuela, les deux pays qui ont les plus grandes réserves de pétrole du sous-continent? S'il s'agit de réprimander Caracas, nous pouvons utiliser le Mercosur, avec une Argentine qui a beaucoup de poids sur le sous-continent. Lula a évité une intervention militaire américaine au Venezuela à l'époque de Hugo Chávez. Fernando Henrique Cardoso lui-même a également essayé, avec les Amis du Venezuela (un groupe de plusieurs pays latino-américains issus de l'Organisation des États américains, ndlr), de trouver des moyens de sortir de la crise, qui ne date pas d'aujourd'hui. Nous avons des forces pour sortir de manière démocratique le Venezuela de cette situation économique et politique, cela doit se faire avec l'appui de l'ONU, de l'OEA, des Amis du Venezuela.

Votre position est toutefois différente de celle du PT, moins dure pour Caracas.

Mais le président de la République, ce sera moi. Le PT ne m'a pas choisi par tirage au sort. J'ai été choisi en raison de mon profil. Le Brésil a besoin de quelqu'un qui sait parler, qui sait comment réconcilier le pays. Je discute à l'académie avec toutes les écoles de pensée, mes collègues me respectent; dans la classe politique, je suis quelqu'un qui transige avec tous les partis. Je suis de centre gauche. La mission de ma vie est de combattre les inégalités au Brésil. Je suis probablement la personne qui dialogue le plus avec les autres forces politiques démocratiques.

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