Traite des êtres humains: "On sait qu'il y a 3000 mineures nigérianes qui arrivent en Europe chaque année"

Traite des êtres humains: "On sait qu'il y a 3000 mineures nigériennes qui arrivent en Europe chaque année"

© BENOIT DOPPAGNE - BELGA

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Par RTBF La Première

Un nouveau rapport de Myria vient d'être publié sur le trafic et la traite des êtres humains, avec un focus spécial sur les mineurs. Si l'on parle souvent d’exploitation sexuelle, l'exploitation économique est, elle, moins connue mais existe tout autant. Au micro de La Première, le directeur de Myria François De Smet apporte son éclairage sur les différents types d'exploitations.  

Que désigne le terme exploitation économique? 

François De Smet : "Ça peut être de tout. On a le cas d’un mineur bulgare qui a été exploité dans une champignonnière. Ça peut être de l’exploitation dans le secteur de l’horticulture, dans le secteur de l’Horeca, des titres et services. Ça peut être de l’exploitation de mineurs en vue de commettre des délits, comme des vols, des vols à l’étalage ou des mineurs qui sont dans du trafic de drogue. Donc, l’exploitation économique recouvre vraiment une palette très diversifiée.

"Et vous avez en effet l’exploitation sexuelle. Ça peut être la prostitution à grande échelle, avec les réseaux nigérians dont on va peut-être parler, ou des réseaux, oserais-je dire, un peu plus artisanaux, comme des victimes de " loverboys ". Ce sont des gens qui jouent les séducteurs dans des pays de l’Est et qui recrutent des victimes une par une dans des liens affectifs pour les amener jusqu’ici. C’est une réalité vraiment protéiforme et très complexe."

Les mineurs sont-ils les premières victimes?

"En termes de nombre, ce ne sont pas les premières victimes et c’est d’ailleurs un peu tout le problème. On a un modèle de lutte contre la traite et le trafic qui est bon en Belgique. Il est reconnu à l’étranger. On a des centres d’accueil qui fonctionnent correctement, une police et une justice pour qui c’est une priorité. Mais il nous semble qu’il y a une grosse marge d’amélioration possible sur les mineurs et il nous semble qu’il y a un gros problème en termes de détection. Pour prendre le cas des Nigérianes, on sait qu’il y a 3000 mineures nigérianes qui arrivent en Europe, sur une année type et on n’a que 20 déclarations de mineures nigérianes en Belgique au service des tutelles. Ça veut bien dire qu’il y a un souci." 

"Et le souci est sans doute lié à des problèmes de détection et au fait que ces mineurs ne nous " aident " pas trop, n’aident pas les services de première ligne, car ils ne se déclarent pas souvent comme mineurs et ils se font passer pour des majeurs, formatés qu’ils sont par les gens qui les exploitent bien sûr. Ils ont parfois peur d’entrer dans la procédure par peur de représailles. Il faut dire qu’il y a une procédure de victimes de traite et de trafic des êtres humains dont le deal est : 'Je bénéficie d’un titre de séjour et d’une protection dans un centre d’accueil si je collabore avec la justice et si je dénonce les gens qui m’exploitent ou des trafiquants '. Et ça, ce n’est pas si simple pour une série de victimes. Et en particulier les mineurs qui sont particulièrement précarisés. Il peut aussi y avoir un sentiment de loyauté si vous êtes dans un lien familial avec les gens qui vous exploitent, ce qui arrive, et il y a en effet la peur des représailles."

Le rapport révèle des exemple de lavage de cerveau de certaines Nigérianes. Est-ce fréquent?

"Le trajet type c’est une très jeune fille de 14-15 ans qui ne sait pas qu’elle va vers des réseaux de prostitution. En général, on leur fait croire qu’elles vont garder des enfants. Mais surtout, au pays, on leur fait faire des rituels vaudou qui les enserrent dans un système de dettes, de dettes psychologiques. Elles sont enfermées dans un univers mental particulier et elles croient très sincèrement que si elles ne remboursent pas les dettes du voyage, les pires malédictions vont s’abattre sur elles ou sur leur famille restée au pays. Ce qui veut donc dire que c’est un phénomène qu’il faut davantage étudier parce que pour sortir une victime de cet enfermement mental, il faut pouvoir y aller d’une manière à briser  ce sortilège."

Pour lutter contre le trafic, il faut se battre contre les passeurs en collaboration avec les victimes?

"Oui, on insiste là-dessus parce que ces derniers temps on voit de grands mouvements contre la migration illégale. C’est oublier qu’il faut travailler avec ces personnes contre les passeurs si on veut faire quelque chose d’efficace, sinon on n’arrivera jamais à attraper ces trafiquants. Et là, il faut revenir à la philosophie de départ qui est de travailler avec les victimes contre les trafiquants. Ça veut dire arriver à casser le rapport de confiance entre les victimes et les trafiquants eux-mêmes. Ça veut dire négocier avec ces gens dans des structures peut-être plus adaptées que des centres fermés où on se contente de les mettre en vue de les expulser pour essayer de faire passer un message d’intimidation à tout le monde, ça veut dire avoir une autre approche peut-être plus qualitative et peut-être plus lente parfois, mais qui donne des résultats." 

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