Midterms express, épisode 9

Midterms, J-17 : une icône progressiste noire en Géorgie, le tabou climatique et la double peine en Floride

Midterms: Élections américaines de mi-mandat 2022dossier
Le 6 novembre, les Américains votent pour les élections de mi-mandat. Deux fois par semaine, «Libération» fait le point sur ces Midterms, leurs visages et leurs enjeux. Ce samedi, portrait de Stacey Abrams, qui pourrait devenir la première femme noire élue gouverneure aux Etats-Unis et interview sur l'absence du sujet climatique dans la campagne électorale.
par Isabelle Hanne, correspondante à New York, Frédéric Autran et Aude Massiot
publié le 20 octobre 2018 à 12h12

Deux fois par semaine jusqu’aux élections américaines de mi-mandat,

Libération

décrypte les enjeux de ce rendez-vous électoral crucial, le premier depuis l’élection de Donald Trump, à travers des profils de candidats et des interviews sur les grands thèmes qui agitent la campagne.

A relire L'épisode 8

La candidate du jour

En Géorgie, Stacey Abrams en quête d'une victoire historique

«Gene Talmage doit se retourner dans sa tombe»

, écrivait le politologue Alan Abramowitz

, après la très nette victoire à la primaire démocrate pour le poste de gouverneur de Géorgie de l’avocate et femme politique afro-américaine Stacey Abrams, en mai dernier. Il invoquait là le gouverneur de Géorgie des années 1930 et 1940, du temps où le parti démocrate dans cet Etat du Sud était le premier défenseur de la ségrégation et de la suprématie blanche.

«Et ce n'est pas n'importe quelle Afro-américaine», reprend le politologue : Abrams, 44 ans, mène une campagne de «fervente progressiste», note-t-il. Elle a d'ailleurs reçu le soutien de Bernie Sanders et de l'organisation de gauche MoveOn. Ainsi que le blanc-seing de l'ancien président Barack Obama, pour ces élections de mi-mandat le 6 novembre, où l'intégralité de la Chambre des représentants, un tiers du Sénat et 36 postes de gouverneurs sont remis en jeu, outre des législatives locales.

Si Stacey Abrams l’emporte, elle deviendrait la toute première femme noire de l’histoire des Etats-Unis à être élue gouverneure. Les sondages d’opinion la donnent deux petits points en dessous de son rival républicain, Brian Kemp, secrétaire d’État de Géorgie depuis 2010. Depuis sa victoire à la primaire, tous les projecteurs de la gauche américaine sont braqués sur cette ancienne cheffe de la minorité démocrate à la chambre des représentants de Géorgie.

Dans cet Etat remporté par Donald Trump avec cinq points d'avance sur Hillary Clinton, Stacey Abrams fait campagne sur l'extension de Medicaid (l'assurance santé pour les plus démunis), le soutien à l'école publique, la réforme de la justice pénale, l'encadrement plus ferme des armes à feu, les droits des personnes LGBT ou encore l'accès à l'avortement. En face, les républicains dénoncent son «programme extrémiste». Donald Trump l'a même accusée d'être «pour l'ouverture des frontières» et «d'encourager la criminalité».

Fille de pasteurs méthodistes, qui se rêvait en auteure de romans policiers (elle en a publié plusieurs sous le nom de plume de Selena Montgomery), Abrams est diplômée de la prestigieuse université de Yale, et connue en Géorgie pour ses efforts bipartisans à la chambre de l’Etat. Elle a notamment réussi à convaincre les élus des deux bords de bloquer une réforme fiscale très défavorable aux plus pauvres et à la classe moyenne, et empêché un retour en arrière sur les droits reproductifs. Elle sillonne en ce moment la Géorgie dans le cadre d’une tournée en bus, intitulée #WeAreGeorgia («Nous sommes la Géorgie»).

Sa campagne se focalise sur les électeurs indécis ou peu mobilisés pour faire la différence le 6 novembre. La marche est haute dans cet Etat qu'aucun candidat démocrate à la présidentielle n'a remporté depuis Bill Clinton en 1992. Alan Abramowitz conclut : «En choisissant de nominer Stacey Abrams, les démocrates de Géorgie ont fait le pari que la colère envers Donald Trump [un sondage le donnait à 53 % d'impopularité dans l'Etat, ndlr] et une candidate à l'attrait certain pour l'électorat non-blanc en pleine croissance dans l'Etat pourraient conduire assez d'électeurs démocrates aux urnes pour inverser la tendance et faire l'histoire.»

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L’interview du jour

Changement climatique : «Cet enjeu reste tabou dans certains milieux républicains»

Malgré les intenses vagues de chaleur et incendies qu'a subis une grande partie des Etats-Unis cet été, et malgré la publication du rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) sur les perspectives alarmantes du réchauffement climatique à court terme, le sujet reste marginal dans les campagnes électorales pour les scrutins du 6 novembre. Daniel Richter, vice-président de l'organisation Citizens' Climate Lobby décrypte les raisons de cette absence et décrit leur approche pour y remédier.

Comment expliquez-vous que le changement climatique soit très peu abordé dans les campagnes électorales actuelles ?

Un sondage mené par l'université de Yale a montré que les démocrates progressistes [«liberals», en anglais, ndlr] se préoccupaient beaucoup du dérèglement du climat, au contraire des républicains conservateurs qui ne s'y intéressent pas. Seulement, au milieu, les modérés des deux partis ne votent pas avec le changement climatique en tête. Ils s'en inquiètent en privé mais cela ne va pas influencer leur vote. Les candidats se disent alors : pourquoi parler du sujet si cela ne va pas nous apporter des électeurs ? Par ailleurs, cet enjeu reste encore tabou dans certains milieux républicains où c'est mal vu d'exposer ses préoccupations sur le sujet en public.

Quelle est votre stratégie pour inclure le changement climatique dans ces élections ?

Nous voulons que le climat devienne un sujet qui dépasse les lignes partisanes. Nous avons réussi à former au Congrès le «Climate Solutions Caucus». Il réunit 96 membres à parité entre démocrates et républicains. Pour que cette alliance fonctionne, nous n'apportons notre soutien à aucun candidat pour les élections. Le climat doit devenir une grande question sur laquelle tout le monde peut travailler.

Est-ce que cela fonctionne ?

En quelques années, je vois des progrès accomplis. De plus en plus de républicains prennent position sur le sujet. Mais ces avancées restent fragiles. Aux Etats-Unis, les groupes d’influence payés par l’industrie des énergies fossiles financent énormément les campagnes électorales, surtout chez les républicains. Beaucoup de candidats craignent donc de voir partir chez leur adversaire cet argent s’ils prennent position pour la lutte contre le dérèglement du climat, qui implique de cesser le recours aux combustibles fossiles.

A relire L'épisode 7 de Midterms Express

Le chiffre du jour

10,4 %

Le pourcentage d’adultes interdits de vote en Floride, en raison d’une condamnation pénale. La Floride est l’un des quatre Etats américains qui imposent une privation à vie des droits civiques aux criminels condamnés, y compris lorsqu’ils ont purgé leur peine. En 2016,

, environ 1,6 million d’adultes étaient ainsi privés de droit de vote. L’appareil policier et judiciaire visant la population noire de manière disproportionnée aux Etats-Unis, cette dernière est la plus affectée par ces sanctions civiques. 21 % des Afro-Américains de Floride en âge de voter en sont ainsi interdits. Le 6 novembre, un référendum local

vise à restreindre considérablement cette pratique, en ne dépossédant du droit de vote que les condamnés pour meurtre ou crime sexuel. Si cette mesure est approuvée par la population, 1,4 million de personnes en Floride

.

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